Si près des étoiles, la nuit s'écoulait belle et douce dans la sublime
terrasse de l'hôtel de luxe où se déroulait la fête du film «Hors-la-loi» de
Rachid Bouchareb. Les polémiques et les tensions sont déjà oubliées, le film a
été applaudi à sa présentation officielle et les messages qui arrivent à Mme
Zehira Yahi, chef de cabinet du ministère de la Culture - à la tête de la
délégation algérienne venue à Cannes défendre le film - sont tous rassurants :
la projection du film à Alger, le même jour à El-Mouggar, a eu lieu dans de
bonnes conditions et les journalistes sont ressortis du film satisfaits.
Place à la fête donc : la baie de
Cannes à nos pieds, l'Algérie dans notre cÅ“ur et le champagne à notre portée,
on pouvait chanter «Douce France, cher pays de nos souffrances» en déambulant
parmi les convives. Jamel Debbouze n'est pas venu, Roschdy Zem et Sami
Bouadjila ont fait acte de présence avant de s'éclipser vers d'autres fêtes,
mais Rachid Bouchareb, accompagné de sa maman «enfoularée», est resté tard, et
ne parlait déjà plus que de son prochain film, une comédie qui sera tournée à
Hollywood. De nouveaux visages algériens illuminaient cette fête, des jeunes
qui veulent faire du cinéma, certains pétillant de malice et d'intelligence.
Cela nous change des vieux fonctionnaires du défunt cinéma gouvernemental qui
reviennent toujours à Cannes avec femmes et enfants, mais toujours sans film et
sans honte.
A propos du film de Rachid Bouchareb, même si les avis divergent, tout le
monde se retrouve pour dire que la polémique déclenchée par les nostalgiques de
l'Algérie coloniale a eu quelques heureuses conséquences. En effet, sans cette
polémique, nul doute que «Hors-la-loi» aurait sans doute eu quelques problèmes
en Algérie. Il y a quelques scènes qui montrent la violence des militants du
FLN qui, sans la polémique française, auraient eu sans doute beaucoup de mal à
passer chez nos gardiens de l'Histoire officielle.
Le quotidien Le Monde, à travers
un article de Jean-Luc Douin, a raison à cet effet de rappeler que c'est au
«goût du cinoche populaire, cette dévotion à une mythologie du flingue et des
cabarets louches qu'il faut juger «hors la loi», avant de préciser le refus du
film de faire la moindre concession au terrorisme, y compris celui des
nationalistes du FLN.
«Personnage central, le dogmatique Abdelkader est montré comme un homme
dont l'humanité et le sens de la justice sont dépassés par une radicalité
sauvage et glaçante. La manière dont il liquide un Algérien préférant le combat
démocratique est de nature à dissiper le doute sur le militantisme de
Bouchareb. Comme ces pleurs de Messaoud, dont les mains tremblent d'avoir tant
tué, «y compris des compatriotes», note le critique du quotidien Libération. Le
quotidien de gauche libérale consacre sa une et ses pages d'ouverture à la
polémique autour du film. Dans son éditorial, le directeur Laurent Joffrin
fustige les nostalgiques de «l'Algérie de Papa» qui contestent encore
aujourd'hui que «la colonisation de l'Algérie par la violence ne reposait sur
aucune légitimité». Dans un entretien avec le quotidien, l'historien Benjamin
Stora parle de «régression mémorielle», rappelant qu'en 1975, «Chronique des
années de braise» avait obtenu une palme d'or sans susciter aucune
protestation. Ce qui n'empêche pas par ailleurs le chef du service cinéma de
Libération, Didier Péron, d'être extrêmement sévère avec le film. Sous le titre
«Une saga sans souffle», le critique écrit : «Si l'on aime un tant soit peu le
cinéma dans ce qu'il a de vivant et d'énigmatique, il est difficile d'adhérer
aux 2h11 d'académisme vernissé du «Hors-la-loi» de Bouchareb.
Pour Jean-Luc Wachtausen du
Figaro, Rachid Bouchareb ne donne pas les éclairages historiques nécessaires à
la compréhension des événements relatés dans le scénario. C'est un film «bancal
et manichéen», tranche le quotidien de droite.
Le quotidien populaire Le Parisien note qu'en matière de fresque, Rachid
Bouchareb possède un savoir-faire indéniable. «Mais ce formatage façon
Hollywood a son revers, car si on ne s'ennuie pas à ce «Hors-la-loi», on n'est
jamais franchement emporté non plus».
Pour le reste et pour aller très
vite, l'Humanité, organe du Parti communiste français, a adoré le film, mais
pas La Croix, pas les Cahiers du cinéma, pas le Nouvel Observateur.
Sauf surprise de magnitude 8 à
l'échelle de Richter, «Hors-la-loi», hormis la palme du buzz, ne devrait
recevoir aucun des prix qui seront décernés ce soir par le jury présidé par Tim
Burton avant la clôture de la 63e édition de Festival de Cannes.
On termine donc par la figure imposée des pronostics...
• Notre Palme d'or va à l'émouvant «Another Year» du Britannique Mike
Leigh, qui l'avait déjà décrochée pour «Secrets et mensonges» en 1996. Mike
Leigh réinvente le cinéma social, sans excès ni fioriture, mais avec poésie.
Dans de film, il décrit le quotidien d'individus de la classe moyenne qui, à
l'orée de la vieillesse, affrontent la solitude et l'approche de la mort.
• Notre grand prix du Festival a deux films qui secouent les conformismes
: le très habité «Des Hommes et des Dieux» de Xavier Beauvois, qui redonne vie
aux moines de Thibirine assassinés, et le très déroutant «Biutiful» du Mexicain
Alejandro Gonzales Inarritu, brûlot social tourné dans les bas-fonds de
Barcelone où vient s'échouer la misère du tiers-monde.
• Meilleur acteur : Javier Bardem dans «Biutiful» justement.
• Meilleure actrice : Imelda Staunton, grande figure du cinéma
britannique, très grande comédienne dans «Another Year» de Mike Leigh.
• Prix de la mise en scène, de la poésie et du cÅ“ur : «Un homme qui
crie», du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, qui marque cette année à Cannes le
retour symbolique d'un continent à la dérive.
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Posté Le : 23/05/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Notre Envoyé Spécial A Cannes : Tewfik Hakem
Source : www.lequotidien-oran.com