Algérie

CANNES : L'Histoire avec un grand H, comme Hache de guerre



Réveillé aux aurores, petit déjeuner expédié de travers, pull enfilé à l'envers, et me voilà à 8 heures du mat' tapantes en bas des marches du Palais qui n'a jamais aussi bien porté son surnom de Bunker. Des centaines de zombies accrédités patientent sous un soleil précoce pour une séance de fouille minutieuse comme si on devait embarquer pour New York avec comme nom Ben Laden inscrit en rouge sur nos passeports. Quel cinéma !

 Mais bon on l'a enfin vu ! Et donc… et donc ? “Hors la loi” de Rachid Bouchareb méritait-il tout ce tintamarre ? Les vives polémiques précédant sa projection étaient-elles justifiées ? Peut-on parler objectivement de ce film en tant que critique de cinéma en omettant le fait qu'il représente l'Algérie en compétition officielle - donc il nous représente un peu quand même ?

 Pas facile de prendre du recul, d'autant plus qu'à l'heure où j'écris ce compte rendu le Palais est quadrillé par des gendarmes habillés en Rambo, gilet pare-balle et arsenal antiguérilla, et seules les personnes avec badge peuvent circuler dans un périmètre délimité par des escadrons de flics sur les nerfs - à la grande «joie» des commerçants qui trouvent «que ça commence à bien faire». Un peu plus loin, 1000 à 1500 manifestants sont rassemblés pour rendre hommage aux «victimes françaises» de la guerre d'Algérie et protester contre le film de Rachid Bouchareb taxé par un député de la majorité qui ne l'avait pas vu comme «anti-français».

 Après la projection, le député en question persiste et signe: «On ne peut pas laisser croire qu'à Sétif, et en Algérie en général, les Français étaient des salauds, les militaires français des SS, et la police la Gestapo, c'est insupportable. «Hors la loi» est une caricature derrière laquelle il va être indispensable d'organiser un débat, parce que l'Histoire ne peut pas être réécrite impunément».

 Parmi les manifestants, plusieurs élus UMP, le député-maire de Cannes, environ 70 anciens combattants portant des drapeaux français, des harkis et des pieds-noirs, des militants du Front national avec leur banderole. Qu'il y ait des arabes, pathétiques représentants des associations harkis, ce n'est guère étonnant. Le plus troublant ce sont les jeunes présents dans cette manifestation. D'où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Par quelles filiations et pour quelles sombres raisons sont-ils là ?

 Quel cinéma ! (bis) Après tout ça comment exprimer dans «la sérénité» notre point de vue critique ? L'Histoire de la guerre d'indépendance de l'Algérie, ses vieux démons, ses non-dits de toujours, ses réminiscences et prolongements d'aujourd'hui viennent écraser toute velléité de critique strictement artistique du film. Ces mêmes raisons plombent le film d'ailleurs. Comment dire que le contexte historique porte et condamne à la fois la superproduction de Rachid Bouchareb ? L'histoire avec un grand H se transforme en grande hache de guerre qui se retourne contre le film, ne permettant jamais aux petites histoires des protagonistes de «Hors la Loi» d'exister vraiment. Voilà un film manichéen par devoir et par principe, qui nous oblige pour les mêmes raisons aussi à le défendre sinon à passer pour un néo-harki.

 Résumons : «Hors la loi» c'est l'histoire de trois frères et de leur mère courage malmenés par les brimades de la colonisation et les violences de la guerre, une saga qui se déroule des massacres de Sétif en 1945 à l'indépendance du pays en 1962, et d'un village paumé des Aurès aux bidonvilles de Nanterre. Sur grand écran le film comme effrayé par son propre défi n'avance, hélas, qu'à grands renforts de scènes de guerre spectaculaires et de moments de mélos larmoyants. C'est d'autant plus frustrant que le film aborde souvent des thèmes inédits et courageux mais sans jamais aller jusqu'au bout de leur traitement (genre : jusqu'où la légitimité d'un combat juste peut-elle excuser les violences ? La guerre fratricide MNA/FLN. Comment peut-on avoir été résistant aux nazis et exécuter les sales besognes d'un Papon ou d'un Bigeard ordonnant la torture et les massacres des Algériens ?).

 Déçu ? A bien des égards oui, mais il faut relativiser cet «échec» : «Hors la loi» n'est pas un grand film mais c'est «le meilleur film algérien» réalisé à ce jour traitant de cette époque (oui désolé pour Lakhdar-Hamina, Ahmed Rachedi et compagnie), ne serait-ce que parce que jamais personne n'avait aussi bien filmé les massacres de Sétif. Et les comédiens ? Sami Bouajila dans le rôle du militant intello qui épouse la cause du FLN avec zèle et passion et Roschdy Zem dans celui du guerrier qui applique les consignes sans états d'âme restent prisonniers de leurs caricatures emblématiques et laissent à Jamel Debbouze le beau rôle tout en nuance du jeune frère qui préfère les affaires à la politique. Et dans le rôle de la mère de tous ces fils d'Algérie ? Oui, notre Aïni chérie depuis toujours, Chafia Boudraa, comment est-elle dans ce film ? Que répondre sinon que Chafia Boudraa est Chafia Boudraa jouant Chafia Boudraa comme seule Chafia Boudraa peut le faire. Ouf !

 Vu que le film «Hors la loi» a très peu de chance d'être récompensé demain lors du Palmarès, offrons à son équipe qui a animé une des conférences de presse les plus drôles les prix qu'elle mérite.

- Palme de la larme dorée attribuée à l'unanimité à Chafia Boudraa qui débarque en conférence de presse avec son foulard de grand-mère et qui déclare : «J'ai souvent joué le rôle de la mère des Algériens dans mon pays. Avec ce film j'espère avoir incarné la mère de tout le monde.»

- Grand Prix Abdelaziz Bouteflika du patriotisme affiché attribué à Rachid Bouchareb pour sa déclaration suivante : «En Algérie on ne m'a jamais posé de problème. Et pourtant dans mon film j'aborde le problème de la violence politique lié aux mouvements révolutionnaires. Mais je voulais souligner que contrairement à ce qu'on dit, moi en Algérie je n'ai pas eu affaire à la censure. A aucun moment».

- Grand prix de la langue de miel attribué au coproducteur tunisien Tarek Ben Ammar, pour avoir présenté ainsi Chafia Boudraa : «Cette femme est une ancienne résistante et veuve d'un martyr de la guerre d'indépendance, et aujourd'hui elle est là parmi vous»

- Grand prix de la langue de fiel, attribué au même Tarek Ben Ammar qui présente le coproducteur algérien, Mustapha Ourif, par ailleurs directeur général de l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC), comme «Le représentant du gouvernement algérien».

- Prix du comique intelligent attribué à Jamel Debbouze qui voyant le débat historico-politique autour du film s'enliser un petit chouia, s'exclamera: «Au fait, moi aussi j'ai été violé par Roman Polanski quand j'avais 16 ans»

- Prix du discernement attribué à Henri Béhar qui a animé le débat en donnant la parole à la jolie Affef Belhouchet, correspondante de la télévision algérienne, mais a refusé de céder le micro à l'immonde Amira Soltane («on n'a plus le temps désolé») ; mais oui bon sang, on est à Cannes, pas dans un hammam de Hadjout !

 Reste à savoir comment la presse internationale et particulièrement française va accueillir le film de Rachid Bouchareb, comment se déroulera la montée des marches et la fête qui suivra la présentation officielle de «Hors la loi». D'ici là on peut s'attendre à des événements et débordements de toutes sortes et de tous bords… A demain donc, si tout va bien. Tiens, déjà un texto urgent: «Biyouna est très jalouse de voir Chafia Boudraa monter les marches à Cannes. C'est L'Incendie !».




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