Algérie

Camping d'Abdelkader Djemaï ed Seuil, Paris 2002



Camping d'Abdelkader Djemaï ed Seuil, Paris 2002
Le bonheur sous la tente

Un roman algérien où l’on baigne dans l’insouciance et le plaisir, est-ce possible ? C’est que l’action de celui-ci se noue dans un passé tissé des souvenirs à la fois banals et merveilleux d’Abdelkader Djemaï.

Pour son dernier roman Camping (le premier publié par les éditions du Seuil), l’écrivain algérien Abdelkader Djemaï nous emmène dans la promiscuité d’un lieu de vacances et d’insouciance, sur les traces d’une enfance, à la veille des bouleversements qui allaient de nouveau emporter le pays dans les folies inhumaines. Pas n’importe quel camping ! La «Marmite», le camping de Salamane, un camping «zéro étoile» sur le bord de mer, «un bout de terre qui ressemblait à une page de mon cahier de géographie ou plus exactement -j’exagère à peine- à un timbre-poste sur lequel s’agglutinaient plus d’un millier d’êtres vivants, sans compter les resquilleurs, les pistonnés, les invités et les clandestins». La clôture est faite de planches, de briques et de parpaings, les toilettes empestent, le lieu est surpeuplé et c’est un Titi algérien, entre le Kid et le P’tit Gibus, qui va nous servir de guide : «J’allais bientôt avoir onze ans et mes premiers poils. C’étaient aussi les première vacances de ma vie.»

A ses côtés, il y a là Butagaz le gardien, son beau-frère Keskess qui tient l’«Epicerie du bonheur» - une pièce de sa maison transformée pour l’occasion- la voisine qui écoute cheikna Ritni «la grand-mère du raï», le couple Zembla (que l’on dirait tout droit sorti de La Strada) avec la femme, «une blonde à la bouche toute rouge» avec «trente ans trop maquillés, ses jupes courtes et ses épaules nues» et le mari jaloux, manieur de sabre, «ancien infirmier accroché aux amphétamines, à la bière et au vin».

Il y a bien sûr sa mère qui regarde Le Juste prix à la télé et rêve de gagner une machine à laver, et son père dont on apprendra qu’il ne sait pas nager, qu’il travaille à la sécurité sociale, qu’il a jadis joué au handball et découvert le cinéma au patronage. Et puis, il y a Yasmina, aperçue plus que vue, avec laquelle à peine si la timidité lui permit quelques mots, mais qui le troubla de tant d’attentes inassouvies.

Les distractions sont là, à proximité immédiate. Entre la plage et la télé. Entre l’«Oasis bleue», un «cabaret à la réputation vénéneuse», et le cinéma Mogador dont on attend qu’il programme Barabbas avec Anthony Quinn, Silvana Mangano et Jack Palance... C’est dans cet univers que le gamin vit ses premières vacances et connaît ses premiers émois, ses premiers interdits transgressés, et qu’il verra sa première femme nue, un fabuleux souvenir même s’il s’agissait d’un tatouage sur l’avant-bras d’un touriste allemand...

Ainsi vont les anecdotes, les petits riens qui font les grands souvenirs en prenant des rides de tendresse avec les années qui passent. La mémoire est là, intacte, de ce temps qui fut et précéda d’autres douleurs, ô combien plus graves et qui installèrent à jamais le camping de La Marmite parmi les hauts lieux du bonheur simple et fragile.
Camping est un roman enhardi de tendresse pour ses personnages, qui sont aussi pour le romancier ses congénères, ses semblables. Un roman bourré de chaleur populaire comme les zincs des cafés, les allées de certaines fêtes foraines, le cinéma des années débutantes ou les tribunes des stades et des vélodromes. Un roman baigné par les saveurs quotidiennes de la chorba, de la BAO, «la bière qui met K.-O.», de l’anisette ou des Kinder Bueno.


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