Algérie

«CALIDOUN»... « CAYEN»



Publié le 05.09.2024 dans le Quotidien d’Oran
par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Déportations (Déportés/Relégués/ Regroupés/Résistants/Insurgés/Insoumis). Etudes. Naqd, Revue d'études et de critiques sociales, N° 43, Printemps 2024, 270 pages en français et 120 pages en arabe. 1 000 dinars

Un travail d'histoire, mais aussi un témoignage -souvent, sinon toujours, glaçant-de ce qu'a été le Droit de l'Empire napoléonien à la République française.

Un travail d'histoire et d'historiens parsemé de témoignages. Car, la plus grande partie de ce travail de recherche a, d'abord et avant tout, donné la parole aux survivants, ce qui a permis de compléter le travail accompli à partir de sources écrites.

Des témoignages ! De ceux qui ont survécu à l'épreuve des sévices et du temps. De ce fait, ce n'est plus le juge des Conseils de guerre, des Cours d'assises ou des Cours criminelles, le responsable de l'administration pénitentiaire, le garde-chiourme qui occupe la focale avec les minutes du procès, mais le forçat lui-même. Il a été rendu visible et audible, ce qui permet au déporté/transporté/relégué, le sujet pensant et agissant de l'histoire, non comme pure victime mais comme figure principale de la résistance à la domination étrangère.

Un trait dominant : l'angle d'approche reste souvent lié à la logique du pouvoir colonial et plus précisément à la jurisprudence qui élabore les déportations comme un régime punitif envers ceux et celles qui dérangent – à leur manière- l'ordre colonial.

Toutes les études, sans exception, sont intéressantes et éclairantes, mais une en particulier retient toute notre attention car concernant directement un concitoyen originaire du M'zab... Saïd ben Bakir ben Kacem, né en 1897 qui avait été condamné aux travaux forcés en 1928 et déporté pour «complicité» (crime d'honneur !). Il ne revint au pays qu'en 1961 pour y décéder en décembre 1979. Un récit (de son fils) qui montre toute l'horreur de la répression coloniale : d'abord torturé durant 11 jours d'interrogatoire, ensuite condamné à 15 ans de travaux forcés ... et à 20 ans d'interdiction de séjour. Il a été déporté en Guyane en septembre 1931.

Note : Les condamnés étaient classés en 4 catégories. Ainsi ceux issus de la 1ère catégorie, la plus «favorisée» (sic !), c'est-à- dire ceux condamnés au bagne pour une période de cinq, six et sept ans étaient... astreints à la peine du «doublage», donc tenus de résider dans la colonie pénitentiaire pour une période égale à celle de la peine... pour mener une vie, après leur «libération», certes sans chaîne mais se retrouvant sans aucune prise en charge. D'où une aubaine et une autre forme d'exploitation par les colons fermiers.

Les Auteurs : Michel Pierre, Louis-José Barbançon, Christophe Sand, Viktoria Luisa Metschl, Jamal El Kattabi, Abismail Bakir, Mustapha Hadj Ali, Daho Djerbal , Ariella Aïscha Azoulay, Saliha Zerrouki, Hamid Mokaddem, Abdelhamid Bourayou.

Sommaire : Présentation/ Introduction générale/11 études en français et en arabe (dont celle de Abdelmadjid Bourayou, seulement en arabe) /Annexes/Cv auteurs : Photos d'archives (7)

Extraits : «Les condamnés «arabes» demeurent nombreux pendant tout le XXe siècle, n'étant jamais inférieur au tiers du flux total des transportés vers la Guyane, mais très minoritaires dans la catégorie des relégués» ( Michel Pierre, p 31), «Le maréchal Pétain a appliqué le principe de la terre brûlée, utilisant des armes chimiques et des bombes incendiaires contre les combattants (du Rif), les habitants non armés, les cultures et le bétail» (Jamal El Kattabi, p 80), «Les camps (note : de concentration en Algérie durant la seconde guerre mondiale) n'étaient qu'une des technologies de la violence coloniale qui a déraciné les juifs du peuple Algérien, de leur monde juif musulman, et de l'Algérie tout court» (Ariella Aïscha Azoulay, p 166), «Créée par la nomenclature euro-sioniste, la catégorie des mizrahim facilita l'incorporation des Juifs venus des pays musulmans en tant que groupe infériorisé au sein d'un peuple juif reformé dans la colonie sioniste comme rival fondamental des «Arabes» (Ariella Aïscha Azoulay, 183), «En Kanaky, nom de souveraineté du pays confisqué que revendique en Nouvelle Calédonie, le peuple originel -sont écrasées par le poids des autres histoires :celles des transportés, déportés, relégués, immigrés, pratiquement tous devenus petits ou gros colons. Les victimes se sont transformées en maîtres» (Hamid Mokaddem, p 209), «La Nouvelle-Calédonie n'est jamais vraiment sortie du Bagne. Les assujettis reproduisent les structures des comportements serviles (Hamid Mokaddem, p 216)

Avis - Des études sérieuses certes, mais des études qui se lisent comme un roman (très noir !), avec une réalité qui dépasse de loin la fiction. Avec une charge émotionnelle rencontrée, pour ma part, nulle part.

Citations : «Ne pas avoir peur d'aller à la rencontre de son histoire, signifie aussi penser de nouvelles temporalités et des nouvelles géographies» (Viktoria Luisa Metschl, Introduction générale, p20), «Précaution ne signifie pas manque de confiance» (Jamal El Kattabi, p 109), «Le comble de la disparition, c'est sa propre disparition. Le propre des Etats autoritaires ou totalitaires, c'est bien de dire qu'il n'y a pas de disparus, mais des absents qui reviendront» (Jean-Louis Déotte cité, p 157), «Quand on est entouré d'un silence assourdissant, les mots «dis quelque chose» expriment le manque d'un acte de parole» (Ariella Aïscha Azoulay, p 202)


Les bagnards algériens de Cayenne. Essai de Hadj Ali Mustapha. Editions El Amel,( lieu d'édition non indiqué) 2017, 600 dinars , 176 pages (Fiche de lecture déjà publiée le 18/8/ 2018. Extraits pour rappel seulement. Fiche complète in www.almanach-dz.com/justice/bibliopthèque dalmanach)


Cayenne !Un nom qui reste gravé – aujourd'hui encore- dans les mémoires des grands et des petits, et dans la noire histoire de l'inhumanité franco-coloniale ; faite de dépossession, de brutalités, d'apartheid....et qui avait engendré les causes profondes des émeutes, des insurrections, des révoltes , des rebellions des individus ou des groupes, «le colonialisme étant source de misère laquelle, à son tour, est source du mal». Emile Larcher (Hachette/Bnf, Paris 2014) le note : «La plupart des délits commis par les Algériens durant la colonisation française et qui ont fait l'objet de leur transportation au bagne de Guyane avaient pour origines «la faim» et ce au moment où quelques savants estimaient que l'Algérie pourrait nourrir quarante millions d'individus».

Cayenne et ses camps de détention... Du début de la «transportation» en 1852 à sa fermeture en 1946, le nombre d'Algériens condamnés au bagne s'est élevé à environ 20 145, entre forçats et relégués. «On» a commencé avec les déportations d'ordre politique... «Éloigner pour intimider !» en commençant à partir de 1936 avec l'internement des khalifas de l'Emir Abdelkader, puis ceux d'Ahmed Bey, puis les Braknas... dans des forts sur la côte méditerranéenne et en Corse... tous vite surpeuplés.

Seuls moments de répit enregistrés par l'auteur-chercheur (sur la base de témoignages convaincants... des médecins, des historiens, des bagnards...) : la période de la guerre de 14-18, et pour la dernière tranche, celle allant de 1921 à 1938 (année de l'abolition de la transportation au bagne de Guyane).

1852-1866 : 1 041 condamnés

1867-1885 : 5 624

1886-1896 : 780... un effectif réduit suite à l'envoi des «coloniaux» (forçats)... en Nouvelle- Calédonie en raison de la recrudescence des évasions.

1897-1912 : 4 800 condamnés (transportés dès 1900 par un steamer effectuant une desserte, Saint Martin de Ré-Alger-Guyane, deux fois par an).....soit 200 condamnés/an. Pour la plupart des Algériens musulmans.

1921-1938 : 7 900 au total avec des convois de 400 personnes /an et des pics de 600 et plus (...) La vie à Cayenne durant l'époque des bagnes ? L'enfer... surmultiplié sur terre (...)

A noter aussi que c'est le journaliste-reporter Albert Londres qui , grâce à ses grands reportages, en 1923, a dévoilé les conditions inhumaines des bagnes de Guyane. Par la suite, à partir de 1933, l'Armée du Salut s'installa pour apporter son aide aux bagnards libérés (car, auparavant, ils étaient livrés à eux-mêmes)

Ce ne sont pas seulement les hommes qui furent transférés en Guyane : Ainsi, en 1872 on y vit la première femme algérienne, Yamouna bent Benallel... Au bout de 35 ans, il y eut seize condamnées...

L'Auteur : Né en 1951 à Haizer (Kabylie). Fonctionnaire au sein de l'administration et d'entreprises, enseignant de français dans un lycée ; déjà auteur d'un roman et d'un recueil de poésie, édités en France.

Extraits : «Lors des insurrections, les premiers à payer les frais de la colonisation étaient les colons fermiers qui représentaient aux yeux de la population musulmane le symbole même de leur misère, avant d'en découdre avec l'armée qui rappliquait aussitôt(...)(p 63).

Avis - Un peu fourre –tout, ce qui ne facilite pas la lecture, et pas mal de «coquilles»... sujet déprimant... mais d'un apport historique formidable. Il nous rappelle que la colonisation, ce n'est pas seulement l'occupation et l'exploitation du sol au profit d'une seule population étrangère... ce sont aussi des méthodes génocidaires pour se «débarrasser» de tous ceux et celles qui résistent. Au nom d'une «Justice»... à la seule vitesse du colon.

Citations : (...) «Au bagne, on meurt par la faim, les travaux forcés sont une peine, la faim en est une autre» (p 129), «En France, il y a le chevreuil , du faisan, du lièvre, en Guyane, il y a l'homme et la chasse est ouverte toute l'année» (p 149), «La justice française n'était jamais juste quand il s'agissait de traiter une affaire où la victime fut un Arabe, autrement dit : un Algérien» (p 156)




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