Oui, le banc sur lequel vous vous reposez fait face à une ruine romaine, au cœur de la ville. Et si vous avez quelques doutes, il suffit de constater la présence du musée sur les abords de la placette. Comme un chien qui monte la garde.
Cherchell, contrairement à Tipaza, a choisi d’offrir à l’urbanisation de la ville un cachet pittoresque. Pas besoin de pénétrer l’alcôve d’une aire protégée par un grillage ni de présenter patte blanche à l’entrée de l’ancienne ville, Cherchell a choisi de faire confiance et de composer avec le temps et l’espace. La mer en contrebas et la montagne en aval, l’ancienne capitale romaine de la Méditerranée semble fâchée avec la civilisation, mais s’aligne dans l’esprit des conquêtes et des batailles. Caesaria impose non par sa taille mais par sa différence. Les commerces sont inexistants et tout ce qui peut révéler la présence de l’homme moderne est soit caché, soit transformé. La ville a pris tout juste ce qu’il fallait de la société de consommation. Les quelques badauds dans les rues ou sur la place romaine font partie d’un décor de film hollywoodien. Le mouvement lent, la posture gracieuse, homme et femme, habillés à la coutume arabo-musulmane, ne font pas tache mais s’harmonisent amoureusement avec les reliques de Juba II. Tel est le message de Cherchell : l’harmonie des civilisations, le mariage des couleurs et l’amour de l’histoire. Cherchell se plaît à conter son histoire à ceux qui sont prêts à l’écouter. Une histoire qui remonte à la nuit des temps pour finir sporadiquement avec une assertion contemporaine. Car si Caesaria mêle fable et vérité, elle est quelque peu fâchée avec son histoire contemporaine. Les ruines viennent illustrer ses poèmes tantôt chantés sur le ton d’une confidence tantôt murmurés chaudement à l’oreille. Cherchell n’a pas la pudeur des autres villes romaines qui affichent restaurant sur fond de fumée de grillades et pavé ancestral. Cherchell s’est alliée franchement à Rome. Sans fard ni honte. Et sans oublier cet amour d’un temps lointain, elle épousa la conquête française sans qu’on puisse la gratifier de traîtresse. Cherchell, sur fond de verdure, a offert son âme à ceux qui réussirent à la conquérir. Et comment la plaindre ou la pester quand on sait qu’autant d’amour a ponctué son passage dans l’histoire. De l’amour donné par Juba II qui l’auréola au rang de reine des villes romaines. De toutes les conquêtes, de Carthage à la Mauritanie, c’est Cherchell qui s’est vu couronnée capitale méditerranéenne de l’Empire romain. Le musée de Cherchell, comme la caverne d’Ali Baba, a enfermé colonnes, statues et représentations marbrées des rois et reines de l’Empire. Le coffre à trésors de Cherchell, ouvert tous les jours de la semaine, permet aux yeux de s’ouvrir sur les pierres précieuses des Romains. Apollon, le Dieu de l’amour, apparaît dans sa parfaite nudité comme l’apôtre de la beauté. Vénus, lui, fait face dans le couloir opposé mais parallèle. Le musée ouvert sur une cour intérieure recense le plus beau de l’art romain. En contrebas, la mer vient lécher la roche et les quelques bateaux amarrés au port. Bleu turquoise, la Méditerranée n’est pas l’essentiel de Cherchell. Aujourd’hui, elle en est tout juste l’accessoire. Autrefois, la mer fut l’instrument de conquêtes. A Tipaza ou Alger, les conquêtes furent coloniales. A Cherchell, les conquêtes furent amoureuses. Et comme pour perpétrer une tradition lyrique, c’est encore dans cette ville qu’Assia Djebar a vu le jour. L’inspiration serait-elle léguée en héritage par la ville conquise ? Jalousement, Caesaria n’offre pas le gîte. A peine le couvert. Aujourd’hui, parce que trahie ou vieillie, la ville se contente tout juste de partager une glace ou un repas. Pas question de s’y installer. Nulle place pour dormir ou passer des vacances. Fermée sur elle-même à idolâtrer ses amours passés, la ville se donne en spectacle comme le joyau d’un diadème. Mais elle se refuse d’orner la tête de quiconque.
Posté Le : 22/08/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : Zineb A. Maiche
Source : www.elwatan.com