Algérie

C'était le 19 juin 1956


Par Amar Belkhodja(*)
Quand les Algériens décident de prendre les armes un certain premier Novembre 1954 pour abattre un système qui n'avait que trop duré, les Français, eux, sont convaincus que la «rébellion» va être matée en très peu de temps. Par quel moyen ' Semer la terreur, institutionnaliser la torture et pratiquer l'assassinat tant individuel que collectif. Le napalm est utilisé dès les premiers moments de l'insurrection, notamment dans les Aurès. Mais le brasier ne s'éteint pas. Les Algériens sont décidés d'aller jusqu'au bout pour la reconquête de la liberté. Peu importe la somme des sacrifices et le temps que cela exigera.
Point de marchandage avec la patrie.
Le pouvoir français n'a jamais pris conscience de ce credo et misa sur la répression à outrance en renforçant l'appareil policier et militaire. Les pouvoirs spéciaux sont votés par la majorité des parlementaires français en mars 1956, y compris par les députés communistes. Désormais tous les abus seront permis malgré tous les scandales que cela va induire.
Robert Lacoste, ministre résident, est dans les murs d'Alger. C'est le partisan de la manière forte. C'est l'homme qui convient aux «cent seigneurs», ces colons exploiteurs et avides pour lesquels l'Algérie ne saurait être «détachée» de la France. Lacoste répond favorablement aux «v?ux» sanguinaires des magnats de la colonisation : à savoir agir rapidement pour faire exécuter la peine capitale. Non pas passer par les armes les insurgés algériens mais utiliser contre eux une sinistre machine : la guillotine.
Gouvernement, depuis Paris jusqu'à Alger, et institutions optent sans hésiter à employer une méthode horrible, barbare, ignoble, la décapitation. Méthode utilisée déjà aux premières années de la conquête, en public et par le yatagan. Sauf qu'en 1956, la sentence est faite «proprement» par une machine qu'on appelle guillotine. Elle est mise en action pour la première fois (pendant la guerre d'Algérie) le 19 juin 1946 contre un militant du mouvement de libération : H'mida Zabana, de son vrai nom Ahmed Zahana, né en 1926 dans la région de Saint-Lucien actuellement Zahana, à quelques lieues de la ville d'Oran. Avant d'être à la tête d'un groupe armé qui lança l'assaut contre la citadelle colonialiste le 1er novembre 1954, Zabana a fait ses armes dans le PPA-MTLD puis désigné membre de l'OS (Organisation spéciale) issue du congrès de 1947 du mouvement cité. Il est également un fervent syndicaliste et membre actif des SMA. Un militantisme exercé à Oran, une grosse métropole de l'Ouest algérien où les parents de Zabana étaient installés depuis longtemps déjà.
Ses compagnons de combat ne sont pas des moindres : Mohamed-Larbi Ben M'hidi, Hadj Benalla, Hamou Boutlélis... C'est au lendemain de l'attaque de la maison forestière de la Mare d'eau (entre Tlélat et Sig) du 3 novembre 1954 que Zabana et ses compagnons furent cernés et neutralisés le 8 novembre 1954. Zabana n'échappe pas à l'offensive des forces françaises. Il est blessé d'une rafale à la jambe. Il reçoit une autre balle au bras. Sérieusement touché, il refuse d'être pris vivant, s'empare d'un pistolet et se tire une balle dans la tête qui traverse la tempe droite pour ressortir de l'orifice de l'?il gauche. La mort n'est pas encore au rendez-vous ce jour-là. Il se trouve dans un très mauvais état. Il se rétablit avec de sérieux handicaps. C'est en prison, en 1955, qu'il est autorisé à porter une prothèse dans l'orifice de l'?il abîmé. Son calvaire se poursuit dans la sinistre prison de Serkadji (Barberousse) où le célèbre poète du nationalisme algérien se trouve parmi les captifs. Son procès se termine par la sentence tant désirée et tant réclamée par le système, par ses hommes et ses institutions : la peine capitale par décapitation.
La guillotine fera peur aux Algériens, estiment les forces répressives et leurs protégés, les colons d'Algérie. Un leurre. La sinistre machine fonctionnera plus de 200 fois contre les Algériens, à Alger, Constantine, Oran et en France.
Les Algériens, condamnés à mort, marchèrent, dans leur majorité, dignement vers l'échafaud. Le premier exemple de courage, de bravoure et d'esprit de sacrifice, fut bel et bien celui du premier martyr de la guillotine : H'mida Zabana. Lorsqu'on viendra le réveiller, à l'aube de ce 19 juin 1956, il accepta son sort avec calme, sérénité et dignité. Sur le chemin du supplice, il réclama à haute voix le pardon (smah) de ses compagnons de captivité, tout en déclamant des slogans de «Tahia el Djazaïr». «Je meurs, mais l'Algérie vivra», scandera Zabana.
Les moments sont poignants, émouvants. Ses compagnons répliquent, en ch?ur, qu'ils prêtent serment pour suivre son exemple, entonnant en même temps des chants patriotiques. La population de La Casbah y fera l'écho. Ses exécuteurs hésitent puis l'autorisent à faire sa prière. C'est son avocat, maître Mahmoud Zertal, qui raconte les derniers moments de vie de H'mida Zabana.
L'avocat est stupéfait. Le couperet qui pèse un quintal est lâché à deux reprises et deux fois de suite il s'arrête net à quelques centimètres de la tête de Zabana. Maître Zertal use, vainement, de réclamations auprès des officiels conviés au rendez-vous macabre, tentant de faire commuer la peine capitale en réclusion perpétuelle. Les concertations iront jusqu'en haut lieu. Mais non ! Pas de clémence pour Zabana. Il faut faire actionner cette maudite machine jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Le couperet est soulevé puis lâché, dans un bruit sourd, une troisième fois sur la tête de H'mida Zabana, weld el Hemri, ami de Blaoui Houari qui lui consacra un émouvant hommage par ya dbayli ana ala zabana», chanson reprise et arrangée par le groupe Rayna Ray de Sidi-Bel-Abbès. Abdelkader Ferradj avance à son tour. C'est le deuxième homme décapité de la guerre d'Algérie. Cette fois les choses se passent rapidement. Le couperet ne se coincera pas deux fois... La machine est démontée pour être de nouveau remontée. Elle fonctionnera des dizaines de fois, parfois en exécutions multiples (plusieurs condamnés à mort au même moment). Autre événement qui semble se dérober à nos mémoires, surtout à celle de notre jeunesse, c'est de rappeler que Moufdi Zakaria était détenu à Serkadji lorsque Zabana fut exécuté. C'est de rappeler aussi et surtout que l'auteur de Qassamen a composé une qacida sublime en hommage à Zabana et à son sacrifice. Ahmed Ben Allam, dans Algérie-Actualité du 5 au 11 juin 1986 nous livre un extrait de la traduction du puissant poème de Moufdi Zakaria :
«Il s'est (Zabana) dressé majestueusement comme le Christ.
Avec volupté et sérénité, il a entonné son hymne. A la bouche un sourire d'ange, le sourire d'un enfant accueillant le matin nouveau, la tête haute, l'allure solennelle, dialoguant avec la gloire. Les boulets à ses pieds sont comme des khalkhal qui poussent des youyous, emplissant de leur concert l'espace lointain. Comme Moïse s'adressant à l'Être Suprême ; le jour de l'Ascension, il s'élève comme l'Esprit la nuit de la Révélation, répandant sur l'Univers les Lumières de la fête. Il gravit les marches de la guillotine avec l'assurance du Prophète s'élevant vers le Ciel.» Avons-nous le droit d'oublier le supplicié et le poète '
A. B.
(*) Docteur honoris causa, journaliste historien.
Document
La dernière lettre de Zabana à ses parents
«Très chers parents, chère mère,
Je vous écris cette lettre ; je ne sais si c'est la dernière. Dieu seul le sait. Toutefois, s'il m'arrive quoi que ce soit, il ne faut pas croire que c'est fini, parce que mourir pour la cause de Dieu, c'est la vie éternelle. Et mourir pour sa patrie ce n'est qu'un devoir. Et votre devoir à vous c'est celui d'avoir sacrifié l'être qui vous est le plus cher. Il ne faut pas pleurer, mais, au contraire, il faut être fier de moi.
Enfin recevez, peut-être, le dernier bonjour du fils et frère qui vous a tous chéris. Le bonjour à toi très chère mère, à papa, à mon frère Lahouari, à toi cher frère Abdelkader ainsi qu'à tous ceux qui partageront votre peine. Dieu est grand et seul juste.
Votre fils et frère qui vous embrasse très fort.
Hamida»
(Source : Patrick Kessel et Giovanni Pirelli :
Le Peuple algérien et la guerre - Lettres et témoignages - 1954-1962 - p. 47 - Ed. François Maspero - Paris - 1962
Document
Rapport anonyme sur l'exécution de Hamida Zabana. Incomplet in Consciences Magrébines n°7, reproduit par P. Kessel et G. Pirelli : Le Peuple algérien et la guerre 1954-1962 - p.47 - Ed. Maspero - Paris - 1962.
Alger, 19 juin 1956
«Nous avons été avertis dans la soirée du 18, les avocats ayant eux-mêmes été convoqués à 18 h 30 pour le lendemain.
Zabana est monté à l'échafaud en héros, il a refusé le soutien des gardiens et a dit à ses camarades : ?'Qu'importe mon sort personnel, l'Algérie vivra libre.'' Aux derniers instants, il a demandé à prier, ce que les bourreaux lui refusèrent. Son défenseur intervint auprès du colonel et obtint l'autorisation. Zabana fit sa prière et se tournant vers les fenêtres de la prison, il demanda pardon à ses camarades du mal qu'il avait pu commettre selon la tradition rituelle. Puis il ajouta :
?'Je suis fier de monter le premier à l'échafaud. Avec nous ou sans nous, l'Algérie vivra.''Les détenus répondirent des fenêtres en demandant pardon à leur frère et en criant :
?'Nous te suivrons sur l'échafaud, mais qu'importe, avec nous ou sans nous, l'Algérie vivra libre.''»
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