Algérie

«C'est mon témoignage sur nos prisons»



Au terme de ce «voyage» inédit, on se fait une cure des ragots colportés au sujet des pénitenciers algériens. Maître Zerrouk sait parfaitement de quoi il parle pour avoir été directeur central de l'administration pénitentiaire de 1990 à mai1994. Embarquez dans ce voyage passionnant...L'Expression: À l'ouverture de l'année judiciaire, le président Tebboune, en sa qualité de premier magistrat du pays, a insisté sur l'installation des tribunaux de commerce spécialisés. Dans quelle mesure ces tribunaux vont-ils solutionner les conflits commerciaux qui sont posés actuellement'
Maître Chaâbane Zerrouk: L'instruction prodiguée par le président de la République lors de la cérémonie d'ouverture de l'année judiciaire à l'endroit du gouvernement aux fins d'être diligent dans l'installation des tribunaux commerciaux dénote clairement de la volonté farouche du président Abdelmadjid Tebboune de booster l'investissement, notamment l'investissement étranger en lui offrant les meilleures garanties en termes d'indépendance, d'impartialité et de célérité.
C'est un défi grandiose lancé à la justice. Il lui appartient, en conséquence,à elle, de relever ce défi en s'armant de professionnalisme par référence aux normes internationales et en se départant des pratiques désuètes, anachroniques et préjudiciables aux intérêts bien compris de l'Algérie.
En somme, le juge commercial et les jurés de la profession composant le tribunal commercial doivent savoir qu'ils sont investis d'une mission sacerdotale d'importance nationale comparable à bien des égards au patriotisme de l'élite de Novembre 1954.
Quel mécanisme faut-il instaurer pour renforcer le rôle de la défense'
L'avocat est le partenaire incontournable du juge en toutes matières: pénal, civil, commercial et administratif... Il est l'éclaireur du juge par sa collaboration sincère et loyale pour l'éclosion de la vérité, de toute la vérité, rien que la vérité. L'avocat doit être d'abord un professionnel de droit dans son acceptation la plus large pour mieux mener sa noble mission de défense. Ensuite, il doit être doté d'un sens aigu de l'éthique et de la déontologie, un véritable code moral. Enfin, il doit jouir de garanties d'indépendance constitutionnelles et légales pour mener sa mission en toute liberté.
Une bonne nouvelle pour cette profession, garante des droits de l'homme et pour la justice: la création d'une école nationale de formation des avocats. Cette institution permettra à coup sûr d'éviter le recrutement massif qui s'assimile à «l'emploi de jeunes».
Enfin, l'Etat et l'ordre national des avocats doivent veiller pour que cette profession fructifie davantage sa notoriété pour gagner le sacré challenge: la confiance du citoyen et, notamment les justiciables.
Le recours à la détention provisoire est une exception. Or, on est devant une situation où dans de nombreux cas, l'exception est devenue la règle. Comment agir pour faire en sorte que cette détention provisoire reste toujours une exception'
Il est vrai que la liberté est la règle, la détention l'exception. Il est également vrai que le recours à la détention est devenu presque la règle. Les raisons de cette situation déplorable. Nos juges sont-ils insuffisamment sereins et indépendants' Il faudrait le dire franchement:Dans certains cas de liberté provisoire, il est demandé au juge des justifications par « la hiérarchie judiciaire». Par contre, jamais en cas de détention provisoire. Il faut savoir que face à cette situation, l'Etat a prévu un dispositif légal:l'indemnisation.
Par ailleurs, il faut savoir également que la détention préventive est incontournable dans des cas prévus par la loi:
*lorsque les garanties de représentation ne sont pas suffisamment assurées;
*le risque d'effacement des preuves;
* le risque de subornation de témoins.
Dans des cas de crimes de sang, la détention préventive est demandée par l'inculpé lui-même pour être à l'abri de la justice parallèle.
Enfin, il ne faut pas se leurrer:le recours à la liberté provisoire par les magistrats dépend dans une large mesure des moyens extrajudiciaires qu'offre l'Etat en matière de surveillance de l'inculpé laissé en liberté provisoire.
Il en est ainsi de la libération conditionnelle prévue pourtant, depuis 1972 dans le Code de l'administration pénitentiaire, mais les ministres de la Justice qui se sont succédé depuis, n'y ont eu recours que très rarement, faute de moyens suffisants de l'Etat pour contrôler les libérés conditionnels.
En dernière analyse, la justice dépend pour une part non négligeable de l'état de développement et de civilisation d'un pays.
Dans le cadre de l'exercice de vos fonctions de haut cadre de l'Etat, vous avez été directeur des pénitenciers. Comment jugez-vous la situation des détenus'
Dés l'indépendance, l'Algérie avait opté-dans l'optique d'une meilleure garantie de respect des droits de l'homme et notamment, des détenus-de placer les établissements pénitentiaires sous la tutelle du ministère de la Justice à la différence de nombre de pays arabes et du tiers-monde. Il faut rappeler que l'Algérie avait hérité d'un parc pénitentiaire en nombre réduit et en état de vétusté très avancé. Après le départ du personnel pénitentiaire français, l'Algérie a dû faire face à ce vide par le recours à des moudjahidine et des jeunes n'ayant pas le niveau d'instruction requis pour appliquer le programme de rééducation prévu par le Code de l'administration pénitentiaire promulgué en 1972. Ce Code était très progressiste et novateur en matière de droits des détenus et des méthodes modernes de rééducation.
Cette situation perdurait jusqu'aux événements d'octobre 1988. Après ce tsunami sociopolitique, l'Etat avait changé de paradigme en optant carrément pour la démocratisation de la vie nationale tout en accordant une importance primordiale au respect des droits de l'homme et des libertés individuelles et collectives.
Dans ce sillage, le secteur pénitentiaire allait connaître une véritable révolution touchant tous les aspects de la vie carcérale à commencer par le nouveau langage officiel: pour l'anecdote, l'illustre ministre de la Justice, Si Ali Benflis désignait les détenus sous le nom d'hôtes des établissements de rééducation.
Cela étant, un programme consistant de réhabilitation des établissements pénitentiaires a été mis en oeuvre. Il avait consisté en ce qui suit: -création d'une école nationale pénitentiaire avec plus d'une vingtaine d'annexes réparties à travers le territoire national; - recrutement de plus de 5000 agents et officiers de rééducation; -formation à l'ENA de la première promotion de directeurs d'établissements pénitentiaires; - formation de plusieurs promotions d'officiers licenciés de l'enseignement supérieur dans de multiples disciplines à l'école des sous-officiers de gendarmerie de Sidi Bel Abbès. À signaler que l'actuel DG de l'administration pénitentiaire a été formé à Sidi Bel Abbès. C'est le lieu pour rendre un grand hommage à la Gendarmerie nationale et à monsieur Mohamed Adami, l'ancien ministre de la Justice qui fut à l'origine de cette initiative heureuse lorsqu'il était PG à Sidi Bel Abbès; -une promotion d'officiers pénitentiaires a été même formée en Arabie saoudite dans un institut international de sécurité.
Pour l'Histoire, jusqu'à 1990, le secteur pénitentiaire ne comptait aucun diplômé de l'enseignement supérieur -construction, extension et équipement des établissements pénitentiaires en literie, chauffage central, équipements de cuisine et infirmerie...etc; -institution des corps des personnels médicaux et paramédicaux, enseignants, éducateurs, psychologues....etc; -Ouverture de chantiers extérieurs. Tel est résumé l'essentiel des actions entreprises pendant la période où j'avais assumé la responsabilité de directeur central de l'administration pénitentiaire(1990 à mai1994).
Il faut signaler que pendant cette période où cette structure qui était une «simple direction chargée de la gestion des détenus» fut érigée en véritable direction générale dans la mesure où elle a obtenu son autonomie financière avec un budget propre et un ordonnateur en la personne du directeur central d'une part et le transfert de la gestion du personnel pénitentiaire de la direction des personnels du ministère de la Justice ainsi que le transfert de la gestion financière de la direction des finances et des moyens du ministère de la Justice d'autre part.
-Il faut signaler avec force que durant ladite période les établissements pénitentiaires furent dotés de l'autonomie financière avec un budget propre et un ordonnateur délégué en la personne du directeur de l'établissement pénitentiaire. Pour la petite histoire: de 1962 jusqu'à 1990, toutes les dépenses de fonctionnement et d'équipement des établissements pénitentiaires algériens étaient réglées au niveau central au ministère de la Justice.
Depuis 1994, beaucoup de choses ont été réalisées, notamment la construction de pas moins de 82 nouveaux établissements pénitentiaires répondant aux normes internationales et répartis à travers le territoire.
En somme, les conditions de détention à tous points de vue et le respect des droits des détenus placent objectivement, l'Algérie au premier rang des pays arabes et des pays du tiers-monde d'une manière générale. Pour l'anecdote:pendant la période du terrorisme, certains parents suppliaient la justice, dans un souci de protection, pour placer leurs jeunes enfants en détention.
Pour ma part et durant la période de ma responsabilité, je témoigne devant Allah et devant le peuple algérien que si certains dépassements avaient eu lieu, c'était imputable à leurs auteurs.
Jamais, au grand jamais, des instructions officielles avaient été données dans ce sens. Bien au contraire, tous les dépassements portés à la connaissance des responsables avaient été sévèrement sanctionnés. J'avais assisté en 1992 et en 1993 à deux congrès regroupant l'ensemble des DG des établissements pénitentiaires des pays arabes. Le premier en 1992 s'est déroulé en Tunisie. Un refus diplomatique a été signifié à notre demande à visiter un établissement pénitentiaire tunisien. Idem en 1993 au Maroc où un niet à la soviétique nous a été notifié.
En 1993, l'Etat algérien avait autorisé la Croix-Rouge suisse à visiter nos établissements pénitentiaires. À l'issue de ces visites, des félicitations pour respect des droits, nous avaient été adressées. Je suis toujours fier, avec la conscience tranquille d'avoir servi mon pays pendant cette période cruciale.
Je ne saurais terminer ce récit émouvant sans rendre un vibrant hommage au personnel pénitentiaire tous corps confondus pour le travail formidable qu'il est en train d'accomplir vis-à-vis d'une population pénale majoritairement jeune dont certains d'entre elle sont des cas sociaux méritant une prise en charge autre que le traitement pénitentiaire.
Ce personnel pénitentiaire classé corps de sécurité doit bénéficier des mêmes droits et avantages que les autres corps de sécurité. Peut-être davantage, car il est l'éternel détenu.
Ultimement, la question lancinante qu'il faudrait nous poser tous: La justice, d'une manière générale et pénale en particulier et partant l'administration pénitentiaire remplissent t-elles réellement leur fonction sociale, celle d'infliger les peines qui siéent aux véritables auteurs des multiples préjudices causés à la société'En réalité, cette lourde mission est l'affaire de tous, Etat et société.


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