Algérie

C'est ma vie Les réfugiés de Saoula



Les bombardements des alliés, le sifflement des sirènes, la petite Fifi, alors âgée de 12 ans, ne pouvait plus les supporter. Il fallait fuir coûte que coûte le quartier de Belcourt où elle vivait avec sa famille. C'est à Saoula, en pleine campagne, qu'elle a élu domicile. Elle découvre pour la première fois la nature. Quatre années de pur bonheur pour cette citadine.
Quelques effets personnels rangés dans une valise, et voilà notre famille embarquée vers une nouvelle terre. «Je ne savais pas ce qui nous attendait. L'important pour moi était de ne plus vivre cette terreur. Nous étions nombreux à partir à Saoula où, dans un premier temps, nous étions hébergés dans des vestiaires des écoles. Nous les avons aménagés et nous y avons vécu à peu près un an et demi. Pour moi, c'était une nouvelle vie. La verdure à perte de vue, l'air pur, les vaches, les moutons et les chèvres, dont le lait est devenu mon unique breuvage ; tous ces animaux qui faisaient partie du décor me fascinaient. Nous avons créé une nouvelle communauté où l'entraide et la solidarité régnaient. Les liens de voisinage que nous avons eus à Belcourt s'étaient renforcés. Pour l'anecdote, un soir, en plein hiver, j'ai demandé à ma mère si je pouvais passer la nuit chez nos voisins de vestiaire où se trouvaient des filles de mon âge et surtout une vieille femme qui avait le don de raconter de belles histoires. Après de longues négociations, j'ai eu son accord, et j'en étais très heureuse. Silencieuses, les lèvres accrochées à notre conteuse, assises autour du nafekh, nous nous nous réchauffions en nous délectant des hadjaiate, car les soirées étaient glaciales à cette période de l'année ; quand soudain ma mère ouvre la porte et s'écrie : «Sortez vite ! vous allez mourir !» Elle m'a trainée dehors et m'a fait assoir à même le sol en me demandant de respirer profondément. Elle nous a sauvés in extremis. Nous avons inhalé du gaz carbonique. Depuis, il n'était plus question que je dorme ailleurs. Fifi et ses parents quitteront les vestiaires et seront accueillis chez une famille possédant un lopin de terre qu'elle mettra à leur disposition. «Mon père passait son temps à cultiver. Nous y avons planté toutes sortes de légumes, de fruits et nous vivions de ces produits. Nous avons même élevé un agneau, devenu un véritable compagnon. Je me rappelle lorsque ma mère l'emmenait paître, il refusait de brouter si elle n'était pas à ses côtés. Un jour, devant s'absenter quelques instants, elle ôta son haiek et le mit discrètement sur une branche comme un épouvantail. Le mouton broutait et jetait de temps à autre un coup d'œil à l'épouvantail pour s'assurer que ma mère était toujours là, jusqu'au moment où le vent laissa s'envoler l'étoffe. L'animal interrompit son déjeuner et se mit à la recherche de ma mère. Il faisait office de chien de garde aussi. Lorsque nous nous absentions de la maison, personne n'osait s'en approchait.» Fifi évoquera avec tristesse l'histoire de ce petit poussin qu'elle a adopté, et qui a grandi. Il est devenu une superbe et adorable poule qu'une vieille femme d'un village voisin avait volée. «J'en ai pleuré les larmes de mon corps. Mon petit poussin, le soir venu, se blottissait dans mon cou et y dormait toute la nuit. Ma poule vivait pratiquement avec nous. Son nid se trouvait au poulailler, elle y pondait ses œufs et revenait à la maison. Un jour, la vieille femme l'a vue, elle a jeté son dévolu sur elle. Elle était exceptionnelle notre poule, grasse et d'une blancheur immaculée. La voleuse l'a prise et l'a dissimulée sous son haiek. Ma mère s'est rendue chez elle et l'a sommée de la rendre. Elle ne cessait de lui répéter que «la poule c'est ma fille qui l'a élevée, elle ne peut pas s'en séparer. Depuis sa disparition, elle ne mange plus et ne dort plus, alors remets-la là où tu l'as prises». «Bien sûr, elle a nié, mais le lendemain, elle l'a rendue sans se faire remarquer.» Fifi se souvient aussi de cette jeune femme française qui avait réuni toutes les filles du village pour leur faire la classe. «Comme les écoles de la région étaient réquisitionnées pour les militaires, elle avait emménagé le garage de sa maison en salle de cours. C'était avec joie que je me rendais à «l'école». C'est comme ça que j'ai pu passer mon certificat d'études que j'ai décroché avec brio.» Citadine jusqu'au bout des doigts, Fifi, malgré le bonheur que lui ont procuré les quatre années passées dans la campagne, commençait à se languir de sa chère ville. «Les rues, les magasins, les voitures, les bus, les beaux immeubles me manquaient. Je voulais rentrer chez moi. On avait proposé à mon père de nous installer définitivement à Saoula, il a dû renoncer à cause de moi. Nous sommes retournés au bercail, j'étais contente, mais je n'ai jamais pu oublier les agréables moments que j'ai vécus là-bas. De merveilleux souvenirs qui ne se sont jamais effacés de ma mémoire. D'ailleurs, la nostalgie de la nature, de l'air pur a refait surface. L'indépendance recouvrée, le destin a voulu que, plusieurs années plus tard, mon mari et moi construisons une maison à Saoula, histoire de fuir le vacarme de la ville, d'offrir plus d'espace à nos sept enfants qui ont grandi et de retrouver ma chère campagne. Mais je serai contrainte de la quitter une seconde fois. Le terrorisme battait son plein, nous avons dû, la mort dans l'âme, abandonner les lieux. Aujourd'hui, Dieu merci, je suis toujours en vie à 85 ans, mes enfants aussi. Parler de Saoula avec vous m'a plongée dans un passé bien lointain, et cela m'a procuré bien du bonheur !»


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