Algérie

C'est ma vie Khalti Mimi, la maman de cœur



C'est ma vie Khalti Mimi, la maman de cœur
A 97 ans, khalti Mimi a gardé la finesse de ses traits, la douceur de son regard et toute sa beauté. Elle était prédestinée à donner de l'amour à ceux qui en étaient privés, à s'entourer d'enfants aux yeux souvent tristes pour leur redonner joie et bonheur. Ces enfants, abandonnés, khalti Mimi les a accueillis, leur a ouvert ses bras et son cœur, pour les aimer, les chérir et les accompagner dans la vie. Elle en a adopté neuf, sept filles, parce qu'elle n'en a jamais eu, et deux garçons. Aujourd'hui devenus des femmes et des hommes, ils parlent avec beaucoup d'émotion de celle qui leur a donné une vraie famille.
Khalti Mimi a mis au monde trois garçons, et en a perdu un. Mais la fille lui manquait. Elle ne pouvait concevoir une maison sans elle, alors elle décide d'en adopter. «En fait, il faut préciser que c'est une quarantaine d'enfants qui ont défilé dans cette chaleureuse maison, sur les hauteurs de Kouba. Il y en a qui ont retrouvé leurs parents, et ont dû la quitter, non de gaieté de cœur ; d'autres, pour des raisons que nous ignorons, ont été accueillis par d'autres familles. Ensuite, il y a eu nous, ses neuf enfants, qui nous nous sommes jamais séparés d'elle jusqu'à sa mort, il y a un peu plus d'un mois», nous raconte son aînée, Nadia. C'est en 1957 que la petite fille qu'elle était fut adoptée. «J'avais deux ans, ma mère était française ; étant très malade, elle ne pouvait pas s'occuper de moi, alors elle m'a laissée à l'orphelinat. Ma seconde maman s'y trouvait ce jour-là, et a demandé si elle pouvait me recueillir. Sitôt dit, sitôt fait. J'ai grandi dans cette maison, où ma mère m'a donnée toute l'affection et tout l'amour dont a besoin un enfant. Ma mère nous aimait tellement qu'elle ne nous a jamais dit que nous avons été adoptés. D'ailleurs, je l'ai su à l'âge de 15 ans, je m'en souviens comme si cela datait d'hier. Un jour, je me trouvais au jardin, on s'amusait avec des voisines à la balançoire que mon père avait conçue spécialement pour nous, (elle était accrochée à un arbre à l'abri du soleil), on se balançait joyeusement en chantant, quand l'une des filles qui avait à peu près mon âge me lance : «Tu sais, khalti Mimi n'est pas ta vraie maman.» A ce moment précis, c'est comme si on m'avait enfoncé un couteau dans la poitrine. J'ai pleuré tout en la traitant de menteuse. Je ne voulais souffler mot à ma mère pour ne pas la blesser, mais je ruminais cette phrase qui me hantait, et je commençais à me remémorer certains détails, comme par exemple le fait que je ne pouvais pas consulter mon extrait de naissance. Mes soupçons se confirmaient, j'ai voulu alors savoir la vérité. Un après-midi, profitant de l'absence de ma mère, je suis allée dans sa chambre et j'ai fouillé dans un des tiroirs de son armoire où elle cachait ses documents. J'ai découvert qu'effectivement, j'étais une enfant adoptée. Sur le coup, cela m'a fait très mal, je n'ai pas accepté qu'on m'ait menti tout ce temps. Mais je ne lui ai jamais tenu rancune, cela n'a en rien altéré l'amour que je lui vouais. Pour moi, c'était elle ma vraie maman. J'ai compris qu'elle l'a fait pour nous protéger. Elle nous a donné une éducation exemplaire, elle débordait d'amour pour nous. Elle était la douceur personnifiée. Lorsque je me suis mariée en 1978, j'ai eu droit à une cérémonie digne des contes de fée. Un trousseau dont rêvaient toutes les jeunes filles. Aujourd'hui, je suis grand-mère, mon petit-fils c'est ma mère qui lui a choisi son nom. Elle m'a dit : «Prénomme-le Anis, qui signifie compagnie en arabe, comme ça tu ne seras jamais seule.» Elle tenait à lui faire son trousseau, méticuleuse elle était, rien ne manquait à la liste. J'étais tellement heureuse, épanouie, comblée d'amour, que je n'ai jamais voulu chercher mon autre mère. Lila, la deuxième fille, la cinquantaine bien entamée, parle de khaltiMimi comme d'un ange que le bon Dieu a envoyé sur terre pour aimer ceux que l'on avait reniés. Elle nous a réunis dans cette maison où il faisait bon vivre, elle nous a appris les bonnes manières des citadines, comment tenir une maison propre, la cuisine algéroise, elle répétait sans cesse : «Levez-vous toujours tôt, faites votre ménage, on ne sait jamais, des invités pourraient débarquer à l'improviste, votre maison doit toujours sentir la propreté, et l'ordre doit toujours y régner.» «C'était un cordon bleu, perfectionniste, elle ne voulait pas que l'on mette la main à la pâte, mais tenait à ce qu'on l'assiste pour apprendre. Les gâteaux étaient l'une de ses spécialités. D'ailleurs, l'une de mes sœurs a hérité de ce don, c'est elle qui a pris la relève. Ma mère était une femme exceptionnelle, elle avait l'art de vivre qu'elle a réussi à nous inculquer, elle avait beaucoup de classe et elle a eu de la chance d'avoir épousé un homme qui dépassait son époque. Il l'a gâtée, il était très attentionné envers elle et envers nous. Ils ont réussi à eux deux à effacer le malheureux sort qui allait nous être réservé. Mais les mauvaises langues se déliaient, et on pensait tout bas que « khalti Mimi finira par avoir des bâtards sous les lits». Ma mère n'en avait cure, convaincue qu'elle n'avait pas failli à sa mission, qu'elle nous avait préparés à affronter la vie. Dieu merci, nous ne l'avons pas déçue. C'est d'ailleurs grâce à elle que nous avons pu surmonter les quelques déceptions que nous avons vécues par rapport à notre statut d'adoptés. Elle nous a toujours dit de ne jamais le cacher à celui qui un jour sera l'élu de notre cœur. «Cela fait partie de vous, il ne faut pas en avoir honte. Et celui qui ne vous accepte pas comme vous êtes, vous ne pouvez partager sa vie.» Et il y en a eu qui se sont débinés quand ils l'ont appris. Mais cela nous rendait plus fortes, car nous avions l'essentiel : notre dignité. Ma mère était intraitable avec ceux qui voulaient nous humilier. Je me souviens, nous étions enfants, elle était fière de nous, elle voulait nous emmener avec elle pour assister à des fêtes de mariage, bien entendu, pas toutes à la fois. Nous étions très bien habillées comme des princesses, sages et polies, des petites filles modèles, au point où l'on nous jalousait. Au moment de servir les gâteaux, ma mère avait remarqué que tous les yeux étaient braqués sur nous, elle a vite compris le manège. On avait offert les gâteaux à tous les enfants sauf à nous. Ma mère, rouge de colère, s'était levée, nous a pris par la main et a quitté la salle sans même dire au revoir à la maman de la mariée, qu'elle a juré ne plus jamais revoir.» Nora, enseignante, les yeux rougis, évoque sa mère avec beaucoup de tristesse : «C'était ma confidente, en fait, la confidente de toutes celles et ceux qui lui ouvraient leur cœur ; elle savait convaincre dans le calme et la sérénité. Ma mère c'est cette main de fer dans un gant de velours. Quand j'ai atteint mes 18 ans, elle m'a dit que je pouvais entamer des recherches pour retrouver ma vraie mère. J'ose à peine le dire, car je n'en ai qu'une seule, celle qui m'a prise dans ses bras alors que j'avais tout juste 3 mois, qui ma accueillie chez elle, qui m'a donné une famille, qui m'a aimée de toutes ses forces et de toute son âme, qui m'a donné la meilleure éducation, qui m'a aidée dans mon instruction et qui m'a comblé de bonheur. J'ai refusé. Jusqu'à présent, je n'en ressens pas le besoin. Elle me manquera atrocement. Heureusement qu'elle a su cultiver en nous l'esprit de famille, elle nous a appris à rester unies quelles qu'en soient les circonstances. Elle a laissé une famille, celle qu'elle a forgée dans l'amour.» Khalti Mimi n'est plus de ce monde, elle a laissé derrière elle Nadia, Lila, Nora, Meriem, Lynda, Zineb, Sonia, Boualem et Halim, ses enfants, dont la plupart ont à leur tour fondé une famille, ils sont fiers de leur mère qui, grâce à elle, ont pu renaître. «Elle a eu un enterrement digne d'un président. Il y a vait un monde feu, même les 40 enfants qu'elle avait adoptés ont tenu à lui rendre un dernier homage, et l'accompagner à sa dernière demeure.» «Elle restera dans nos cœurs à tout jamais.»


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)