Algérie

C'EST MA VIE Boulehdid Messaoud, le torturé de Berrouaghia



Des tortures, des blessures, des séquelles… l'Algérie en inventorie beaucoup. Des suppliciés s'opposeront éternellement à la face de la barbarie et de l'inhumanité «civilisationnelle», parmi eux, Boulehdid Messaoud, alias El Harrouchi, le «Lion» pour les intimes. Il est né le 9 juillet 1921 à El Ouldja (Collo) et est décédé le 23 juillet 2005 à l'âge de 84 ans à Skikda, précisément à la cité 700 Logements, dans la zone sud de la ville.
Qui est Boulehdid Messaoud '
C'est un illustre inconnu ne figurant pas sur la liste officielle des combattants, mais un célèbre torturé dans la biographie des crimes coloniaux. Il a été un compagnon de cellule du colonel Abdelghani et de Moufdi Zakaria. Cellule n°1. Celle-ci restera à jamais la preuve justificative de l'extinction des «lumières», période pendant laquelle se distingua la France, pays des liberté, égalité et fraternité. De la torture, subie durant sa détention à la prison de Berrouaghia, dans la wilaya de Médéa, de 1954 à mars 1962, il s'en sortira avec un seul poumon, une surdité et une invalidité à 100%. Il vivra avec jusqu'à sa mort. Il survivra surtout, stoïquement, avec la douleur de ne pas être vu par sa mère, devenue aveugle dès son incarcération. Père de six enfants, dont deux filles, la plupart employés au sein d'institutions étatiques, Boulehdid Messaoud est aussi la preuve vivante, même après sa disparition, de la non-reconnaissance officielle, à l'échelle nationale et locale, de la souffrance des enfants du pays. Il mourra des suites d'un accident vasculaire cérébral (AVC) tout seul, comme le rapportent ses enfants. Il franchira l'au-delà, loin des feux de la rampe, de l'amitié conjoncturelle et de la récupération politicienne. Modeste, il a occupé durant 17 ans le poste de gardien au lycée Larbi-Tebessi. Après sa retraite, il a travaillé en tant que contractuel au sein de la raffinerie de Skikda. Une vie simple et austère, contrairement à celle vécue par beaucoup de ses compères, de moindre aura, témoignent des fonctions qu'il a occupées depuis l'indépendance. A son fils qui lui recommandait, ou suppliait souvent, de leur procurer un café à gérer ou une licence de taxi à exploiter, il rétorquait : «Vous n'avez qu'à retrousser vos manches ! Travaillez à la sueur de vos fronts.» Discret, selon ses enfants, il évite les polémiques sur les moudjahidine, vrais ou faux. Les noms de quelques-uns, devenus des membres influents au plan local ou national, lui donnaient le tournis, mais par humilité, il s'abstenait de commenter quoi que ce soit. Une pudeur qui en dit long sur ce que le commun des mortels pensait tout bas. Ainsi, il a emporté avec lui beaucoup de vérités indispensables à l'écriture de l'histoire de la guerre de libération. Des «déperditions mémorielles» qui nous taquineraient immodérément. Celle surtout de l'héroïsme des uns et de la lâcheté des autres. Celle d'un témoin qui fut un combattant de la première heure. En effet, Messaoud, «le lion», El Harrouchi pour les intimes, a rejoint les rangs du PPA en 1942. Compagnon à cette époque de Salah Boudjemaâ, alias le commandant, il a été trésorier chargé de la collecte de fonds. Il assura la garde rapprochée du père du nationalisme algérien, Messali El Hadj, lorsque ce dernier effectua une visite à Skikda en 1952. Messaliste qui, à sa sortie de prison, le 25 mars 1962, en pleine période de cessez-le-feu, a rejoint le maquis, et porté les armes jusqu'à la déclaration de l'indépendance. Un seul souvenir de cette époque : une photo prise en compagnie d'Ahmed Mouat. Ensemble, ils auront parcouru El Alia (Filfila) jusqu'à Guerbes (Djendel). Avant le déclenchement de la révolution, il a été l'hôte d'Abdelhamid Boussouf et Mohamed Boudiaf dans une baraque au Mamelon-Négrier (actuellement Amar-Chétaibi), période où il activait au sein de l'Organisation secrète (OS), pour tenir une séance de travail. Ses illustres compagnons d'armes ne sont autres que Bachir Boukadoum, Hamadi Krouma, Hamrouche Hamoudi, Abdeslam Habachi et surtout Ali Tabbouche. Lorsqu'il s'apprêtait à rejoindre le maquis, suite au déclenchement de la lutte armée, il a été piégé en compagnie de Salah Boulekeroua au Mamelon-Négrier. Au total, ils étaient 29 combattants à avoir fait l'objet d'arrestation de la part des Français. Une logistique impressionnante, correspondant à 5 bus de soldats armés, a été déployée par les forces ennemies pour le contraindre à les suivre. La ville aurait été encerclée pour éviter que la fuite de ses valeureux combattants ne soit réussie, selon des témoignages. «On nous a trahis », dira-t-il un jour à ses enfants. Une trahison lourde de conséquences. Et de silence. Condamné à mort la première fois au tribunal, il verra sa peine, la plus grande prononcée à cette époque, commuée en 8 ans de prison lors d'une deuxième comparution. Heureux hasard du calendrier, sa cassation devant la Cour d'appel d'Alger coïncida avec la naissance de sa fille, enseignante aujourd'hui. Il connaîtra sa première expérience avec la torture au centre de torture jouxtant le cinéma Rivoli, longeant l'avenue Madjid-Lazreg. «Pendant 17 jours, on m'enfonçait un tuyau dans la bouche et on laissait l'eau couler jusqu'à ce que mon estomac se gonfle. S'ensuivit un évanouissement durant des heures. A mon réveil, le purgatoire n'était pas près de s'estomper : on me laissait suspendu la tête en bas, les pieds accrochés à un bâton, pendant 4 heures», raconta-t-il un jour à ses enfants. La torture, il la subira violemment durant deux années à Barberousse et 5 ans à Berrouaghia. Torturé, nu sous la neige, Boulehdid Messaoud en gardera une haine indélébile envers la France coloniale. «Chaque matin hivernal, on nous faisait sortir nus dans la cour», détaille-t-il, lorsque souvent il se remémorait les douloureux souvenirs de sa jeunesse de suplicié. C'est pendant cette période qui a duré sept longues années, notamment les 5 dernières, que Boulehdid Messaoud se fera un nom dans la cour des grands torturés de l'histoire. Agitateur, il se fera, à plusieurs reprises, prendre en flagrant délit d'incitation à la rébellion, cela lui coûtera énormément : une vingtaine de jours dans une cellule humide, en compagnie des rats. Ses poumons en prendront un coup. La surdité est une conséquence d'une autre forme de torture dont a fait preuve la France : la mise sous tension après avoir enfoncé des boules de neige dans les oreilles du «lion». Boulehdid Messaoud serait le premier Skikdi à avoir placé le drapeau algérien sur le consulat de France, l'actuel siège de l'hôtel de ville. D'avoir goûté au purgatoire, le «lion» en est resté un. De sa vie de supplicié, Messaoud ne se plaindra pas. El-Harrouchi n'en fera pas une récupération politicienne ou partisane. Trop fier, Il vivra sa douleur en souffrant en silence. Sa haine envers la France, ou plutôt l'ogre colonial, est restée intacte même à quelques jours de sa mort. Sa fille raconte que lors d'une visite forcée dans ce pays, il fut pris d'un malaise. «Les gens ne meurent pas parce qu'on les enterre, mais tout simplement parce qu'on les oublie», nous dira sa fille aînée, enseignante, celle qu'il a quittée pour la vie de torturé 6 mois avant d'être venue au monde. «Nous avons une simple demande à formuler aux autorités concernées : baptiser au nom de notre père une école, une rue ou un édifice public. C'est tout», nous diront en chœur trois de ses enfants. Demande d'une humilité qui n'est comparable qu'à la vie et le combat de Messaoud Boulehdid.«En cette fastueuse célébration du cinquantenaire de l'indépendance, se rappeler d'une manière pratique de l'épopée d'hommes ayant consenti des efforts pour que la liberté des uns et des autres ne soit pas confisquée d'une manière pérenne est la plus petite des reconnaissances que l'on peut leur rendre. Notre père, le torturé de Berroughia, en fait éternellement partie.»


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)