Algérie

C'EST MA VIE



Par Salem Hammoum et Kahina Guemroud
Le ciel est gris et la pluie est menaçante en cette journée pluvieuse. Dans l'aire de jeux du foyer, les chevaux à bascule ne grincent pas sinon au gré de la brise froide de la matinée glaciale et les toboggans ne servent que de déversoir à quelques récalcitrantes gouttes de pluie. C'est à l'intérieur du centre, bien au chaud, qu'on retrouve les enfants. Innocents et souriants, s'agrippant aux tabliers des éducatrices auxquelles l'un d'eux crie en tombant : «Maman !»
Très en vue près de l'entrée du bloc qui compose l'établissement, quelques vers du bien connu ouvrage Le Prophète accueillent les visiteurs. Ils rappellent que l'enfant a des droits et que nous avons des devoirs envers lui. En ce lieu, les phrases de son auteur Gibran Khalil Gibran prennent une dimension solennelle. Pris d'une indicible émotion après leur lecture, le visiteur, qui entreprend de se glisser entre les murs de l'établissement, est accueilli happé par le hall d'entrée. Très colorés, les pavés, encore humides d'être tant de fois fraîchement caressés par un énième coup de chiffon, reflètent les ombres furtives des passants pressés. Le hall sent propre et bon. S'il entreprend encore de dégourdir les pieds pour davantage de pas, le visiteur ira rejoindre le bloc administratif de l'établissement. Il y trouvera des bureaux, la cuisine et la cantine.
Avec un peu de chance, le visiteur trouvera sur son chemin un adorable angelot de quelques mois, propre et bien portant, esquissant quelques pas incertains guidé par une éducatrice du centre.
Puis, rebroussant chemin vers l'entrée pour bifurquer cette fois-ci par le bâtiment opposé, il tombera nez à nez avec le bloc pédagogique et ses servitudes : le bureau de l'assistance sociale, vide, faute de postes budgétaires, le bureau du médecin, l'infirmerie, le bureau des psychologues, une salle de jeux puis une salle polyvalente, et enfin, dans le hall qui mène aux quartiers, il y a les chambres des pensionnaires. Avec un peu de chances, le visiteur trouvera sur son chemin un adorable angelot de quelques mois, propre et bien portant, esquisser quelques pas incertains guidé par une éducatrice du centre. Ce fut le cas pour nous ce jour-là à l'occasion de la visite inopinée que nous avons effectuée à la pouponnière de Boukhalfa. Véritables ruches bourdonnant de l'activité du personnel entièrement dévoué à sa tâche, les pièces résonnaient affectueusement des doucereuses voix enfantines à peine couvertes par les voix des éducatrices. Chacun vaquait à ses occupations le sourire aux lèvres. Rassurant et altier, le foyer offrait la sécurité, la santé, la protection, mais aussi beaucoup d'amour à ces tout jeunes pensionnaires qui conféraient aux lieux une puérile majesté. Sise à l'intérieur de ladite cité sociale de Tizi-Ouzou, la pouponnière de Boukhalfa a une capacité d'accueil de 48 lits. Créée en février 2001, elle a été mise en service en juillet 2002. Sa mission est d'accueillir tous les enfants en détresse. L'objectif visé est de sauver la vie de ces enfants même quand celle-ci semble dans un état désespéré. Elle a accueilli son premier enfant le 24 novembre 2002, et depuis, elle est le seul refuge sûr pour les enfants abandonnés du territoire de la wilaya de Tizi-Ouzou. Des enfants placés judiciairement ou abandonnés à la naissance et ramenés des cliniques et des maternités de la wilaya. Tous convergent vers la pouponnière, mais par différentes voies. Ceux dérivant de placements judiciaires et les enfants en danger moral sont mis en sécurité loin de leurs parents en butte à des procédures judiciaires ou confrontés aux difficultés sociales. Il s'agit essentiellement de petites filles, puisqu'il n'existe pas de centre d'accueil pour filles dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Des placements issus directement des cliniques et services de maternité de Tizi-Ouzou où sont hébergés provisoirement ou définitivement les enfants selon les cas. En effet, les mères célibataires et autres indécises quant au sort qu'elles souhaitent réserver à leurs bébés, disposent, dans le cas d'un placement provisoire du nouveau-né à Boukhalfa, d'une période de réflexion de trois mois. Passé ce délai, l'enfant aura un statut de pensionnaire définitif. Il existe un autre cas de placement définitif résultant du choix délibéré de la maman qui signe sur-le- champ et après mûre réflexion un PV d'abandon du nouveau-né. Tout comme il n'est pas rare de voir des parents qui se présentent eux-mêmes à la pouponnière pour y placer leurs enfants. Ceux-ci sont en général des parents en difficultés financières et qui ne peuvent subvenir aux besoins fondamentaux de l'enfant. La psychologue clinicienne du centre nous apprendra alors, qu'au jour de notre récente visite, 24 enfants vivent au sein de la pouponnière et sont répartis selon les tranches d'âge dans quatre chambres différentes : la chambre des petits poussins qui comporte 9 bébés ayant entre 0 et trois mois, et placés provisoirement ou définitivement selon les cas du moment que les mères célibataires hésitantes et autres disposent dans le cas d'un placement provisoire du nouveau-né à la pouponnière d'une période de réflexion de trois mois aux termes desquels l'enfant est définitivement pensionnaire ou du placement définitif lorsque la maman signifie par écrit l'abandon du bébé. La chambre des petits malins : ils ont entre 6 mois et trois ans. Ils sont 5, la chambre des petits anges qui renferme 4 bambins, de 4 à 5 ans, la chambre des petits. Au nombre de six, ils ont entre 5 et 10 ans. C'est la chambre des scolarisés. Certes, les enfants sont heureux au centre, mais il reste que tout enfant a droit à une maman et un papa, et à la stabilité de l'image des deux. Parmi ceux qui atterrissent au centre, quelques-uns sont amenés à repartir un jour. Mais c'est la totalité qui l'espère. Même les tout-petits, qui ne le disent pas, les stigmates qu'ils portent en eux l'expriment mieux. Le docteur Amimer, la psychologue clinicienne du centre, nous l'explique de façon scientifique. Les enfants, qui ont intégré la pouponnière dès les premiers jours de leur vie, montrent des signes de troubles psychiques et de retard physique à partir de cinq mois. Les uns arborent toujours un air triste et une extrême sensibilité à tout ce qui a trait au partage de l'affection des éducatrices. Aussi, pour d'autres, une manifestation physique du malaise psychologique. Ils affichent un retard psychomoteur, notamment des difficultés à articuler, sans aucune raison morphologique. Certains tardent plus que la normale à faire leurs premiers pas. Une fois détecté, le retard est vite contrecarré avec une attention particulière et assidue de la part de l'une des deux psychologues du centre et des éducatrices. Des projets individuels visant à réparer la conséquence et à combler la carence sont ainsi mis au point pour chaque cas. «Dès l'âge de cinq mois, un enfant, qui grandit dans un institut, montre très vite une carence affective due à l'instabilité de l'image maternelle. Il en résulte un ralentissement dans le développement psychomoteur. Une seule solution existe à ce malaise : l'adoption à l'âge précoce.» L'adoption constitue dès lors un dilemme, les deux parties ayant besoin l'une de l'autre s'il y a des enfants abandonnés par des parents non désireux de les garder. Il y a aussi des couples ne pouvant pas concevoir d'avoir un enfant. L'adoption est une solution. Mais elle comporte aussi ses compromis. Mme Amimer nous explique ce point sombre. Les couples trient les enfants : bienheureux, les nouveau-nés et les enfants en très bas âge et en bonne santé. C'est le vœu de la plupart des couples prétendant à l'adoption. Le fait d'avoir souffert de la stérilité affecte profondément les parents. Ils viennent alors chercher dans la liste des candidats à l'adoption les enfants placés définitivement, l'enfant idéal. Les enfants handicapés demeurent longtemps dans le centre. Certains y passent leur vie. Parmi les pensionnaires de la pouponnière de Boukhalfa, des grabataires. Ils sont quatre, deux souffrant d'agénésie cérébrale, un autiste et un enfant souffrant d'un retard profond. Ceux-ci sont les permanents du groupe. Ceux qu'on ne vient jamais chercher. Les parents veulent un enfant en bonne santé. Certains voient en eux des fardeaux et c'est aussi l'avis de professionnels du domaine. Car si un enfant handicapé reste un poids lourd à assumer, il est pour certains un moyen de se racheter contre un remords qui les hanterait. Il y a des gens qui émettent le souhait d'adopter un enfant handicapé, mais quelque temps plus tard, ils le replacent dans le même foyer. L'enfant aura alors subi la déchirure de l'adoption au moment de quitter ses petits camarades, les éducateurs et tout son environnement et celui de quitter une famille à laquelle il a mis un temps énorme à adopter. Le remède dans ce cas-là est pire que le mal lui-même. «L'enfant, déjà fragilisé par un premier abandon, en subira un deuxième faute d'une décision prise à la légère et peut-être avec de la passion. Les passions finissent par disparaître, mais le handicap dure.» La psychologue nous explique que même si des enfants handicapés, qui n'ont jamais eu à subir le déchirement d'un placement provisoire dans une famille, subissent quand même un lourd traumatisme, puisque la wilaya de Tizi-Ouzou ne dispose pas de centre spécialisé pour handicapés. «Nos enfants finissent toujours par quitter le centre pour un centre de cette nature sis à Alger, mais c'est tant mieux pour eux. Le centre est très bien équipé et dispose des moyens nécessaires à la hauteur de la mission qui lui est dévolue. Là-bas, ils recevront les soins appropriés et seront plus heureux», affirme la psychologue d'une voie nouée par l'émotion.
Les enfants, qui ont intégré la pouponnière dès les premiers jours de leur vie arborent toujours un air triste et une extrême sensibilité à tout ce qui a trait au partage de l'affection des éducatrices.
En 2011, faut il le préciser, l'établissement a admis 45 nouveaux enfants. Il a permis 28 placements pour adoption. La pouponnière de Boukhalfa comporte indiscutablement plus de filles que de garçons. Le centre manque cruellement de personnel. Comme tout l'établissement de la wilaya, les postes budgétaires sont rarement distribués. Entre les 27 éducatrices du centre, tous rangs confondus, 22 sont des contractuelles à durée déterminée.




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