Algérie

C'est ma vie



C'est ma vie
Par Belaà'd Mokhtar, un lecteurJ'ai toujours rêvé de vivre en Europe, quoique je n'avais pas à me plaindre. J'avais une petite boutique de téléphones portables qui me permettait de subvenir à mes besoins. Mais le virus de rejoindre l'autre côté de la Méditerranée me contamina.Durant les trente premiers jours, j'étais sur un nuage, libre d'aller où je voulais sans aucune appréhension, mais au 31e, ce n'était plus le cas, l'angoisse commença à m'habiter. Je savais que je pouvais être arrêté à tout moment et que je ne pouvais plus compter sur personne. Je devais donc apprendre à raser les murs et à courir vite à la vue du moindre uniforme.Ma vie de sans-papiers commença. J'ai pu encore tenir quatre mois avec mes petites économies. Puis il ne me restait plus rien. Mes économies de plusieurs années sont parties en fumée.Il fallait que je trouve du travail, il y avait un restaurant tenu par un compatriote. C'est là que j'ai rencontré des jeunes qui étaient dans la même situation que moi. Nous avons très vite sympathisé et c'est chez ces SDF que j'ai trouvé un peu de réconfort et le courage pour continuer cette hasardeuse et périlleuse aventure.Les personnes qui ont des cartes de séjour et qui sont en situation régulière que j'ai connues au pays et que je croise par hasard dans les rues de Paris avaient un regard fuyant et faisaient semblant de ne pas me reconnaître de peur que je leur demande assistance comme s'il était inscrit sur mon front : «Sans-papiers, à éviter.»C'est donc grâce à mes amis d'infortune, que j'ai appris à éviter les contrôles, savoir où je pouvais dormir sans risque et comment gagner un peu d'argent et d'autres astuces qui m'assureraient la survie.Je n'avais aucune qualification, j'ai quitté l'école très jeune et mon seul métier, c'était le business. Acheter et vendre, c'est tout ce que je savais faire.Un plombier parmi mes nouveaux compagnons m'a proposé de travailler avec lui, je devais devenir son manœuvre, mon boulot consistait à faire des trous dans les murs. C'était un travail black, éreintant et mal payé. En plus, il fallait se réveiller avant le lever du jour, attendre au bord d'une route loin de la ville, un lieu connu des sans-papiers et de ceux qui les exploitent.Nous étions de différentes nationalités et on pouvait trouver parmi nous tous les corps de métier : le bâtiment, la maçonnerie, la peinture, la plomberie, l'électricité, etc., mais lorsqu'une voiture de police pointait le bout de son nez, c'était la débandade : le sauve-qui-peut ! Il nous arrivait même d'abandonner nos caisses à outils.Les douleurs musculaires et les courbatures à force de taper à longueur de journée comme un malade sur des murs et piliers m'ont contraint à changer de partenaire. Je devins apprenti peintre, c'était moins fatigant. Mais là aussi, je n'ai pas eu beaucoup de chance. Il m'arrivait de tomber sur des employeurs sans scrupules et qui refusaient de me payer à la fin des travaux. Ils connaissent très bien notre situation et savent que nous ne pouvons pas porter plainte contre eux.J'ai essayé d'autres activités, comme distribuer des prospectus à la sortie du métro, plongeur dans des restos, déballeur chez les marchands de fruits et légumes, vendeur à la sauvette, j'ai participé à des vendanges, au ramassage de melons bien plus frais que ceux triés par ma tante à la décharge ; ces occupations me permettaient juste de me nourrir. Quand j'avais assez d'argent, je me payais une nuit dans des hôtels à bas prix, mais lorsque je ne pouvais pas me le permettre, je passais au plan B : un vieux gardien de stade, compatriote et compatissant, me permettait de dormir dans les vestiaires gratuitement ; en été, il n' y avait pas de problème mais en hiver, je grelottais de froid, le chauffage devait rester éteint la nuit.Il m'arrivait de mentir lorsque je téléphonais à ma famille et à mes amis restés en Algérie. J'avais honte de raconter ma triste réalité et mes déboires, mais je n'étais pas le seul à masquer ce lamentable quotidien. Un de mes cousins qui vit du RMI m'a avoué qu'il ne sortait sa belle voiture du garage que pendant les vacances d'été lorsqu'il se rendait au pays, afin de frimer et d'en mettre plein la vue aux jeunes du village !Moi, je me sentais toujours traqué comme un fugitif, condamné à fuir pour le seul motif que je n'étais pas en situation régulière.Nostalgique, il m'arrivait de me remémorer mon petit commerce de portables dans ma ville natale. Je me rappelais aussi ces jolies filles que j'essayais de baratiner afin de leur vendre un smartphone ou un autre gadget.On m'a expliqué que pour postuler à une carte de séjour, il fallait que je sois présent sur le territoire français pendant dix ans, garder des documents comme les certificats médicaux, reçus de loyer, n'avoir commis aucun délit, avoir un travail et autres preuves aussi contraignantes les unes que les autres et ce n'était pas gagné ! J'étais persuadé que j'aurais plus de chance de gagner au loto que d'avoir un jour mes papiers.Après quatre ans d'errance et de galère, j'ai décidé de mettre un terme à mon exil et de retourner dans mon pays. Aucun de mes amis d'infortune n'a essayé de m'en dissuader, au contraire, ils ont trouvé ma résolution courageuse, ils m'ont même avoué que seule la honte d'être traités de losers les retenait là -bas. Moi, je n'avais plus la volonté d'attendre encore six longues années, je reconnais que c'est un fiasco, que je vais être raillé mais je m'en moquais complètement : ma santé avant tout. Ma boule au ventre a disparu dès que j'ai posé un pied sur le sol de ma terre natale.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)