Algérie

C'est ma vie



C'est ma vie
Par Londiche G.Au fil de ces pages, le lecteur découvrira les activités journalières et les drames qu'un maquisard de l'ALN a consignés dans deux carnets de poche durant une période allant du 21 juin 1957 au 5 juillet 1958. «Ancien appelé du contingent, j'évoque, parallèlement à ces notes, les souvenirs qui m'ont semblé les plus à même d'aider à comprendre ce que fut ma vie sous les drapeaux, ce que j'appelle la ''guerre et mon état d'esprit d'alors, qui, du reste, n'a pas changé.» Nous vous en livrons quelques extraits.Montrer, à la fois, ce que furent les journées d' un maquisard et d'un appelé est une des volontés contenues dans ces pages. pour quelqu'un plus habile à aligner des bordures le long d' une route que des mots sur du papier, il n' était pas facile d'entreprendre cette tâche et, surtout, de la mener à bien. Mais la place de ces deux carnets n'était plus dans un tiroir où ils étaient restés bien trop longtemps.En cet automne 2001, il était temps de faire entendre ce qu'à travers ses notes journalières, nous dit un de ceux dont les voix portent rarement jusqu'en France. Et c'est ainsi que deux mains auront écrit ces phrases. La mienne qui, aujourd'hui, tient le stylo et une main que je n'ai jamais serrée. Et pour cause ! C'est celle de quelqu'un que je n'ai jamais rencontré, même si nos routes se sont peut-être frèlées dans le djebel de Kabylie. Quelqu'un que j'ai découvert au fil de ces carnets couverts d'une écriture minuscule, dans les années 1957-1958.Patiemment, souvent avec émotion, j'ai recopié les carnets de ce combattant. Son écriture, aussi belle que minuscule, m'a fréquemment obligé à me servir d'une loupe pour déchiffrer des mots effacés par le temps mais plus encore, par les sueurs : celle du combattant FLN et celle du soldat français qui trouva ces carnets.Plusieurs questions m'ont accompagné tout au long de leur déchiffrage. Dans quelles conditions leur auteur les a-t-il abandonnés ' Se rendait-il compte du danger qu'ils représentaient s'ils étaient tombés aux mains des autorités ' A-t-il tenté de les retrouver là où il les avait cachés 'Et surtout, qu'est-il devenu 'Voilà ce que je tenais à dire au lecteur avant de l'emmener dans un maquis de l'ALN, quelque part dans le djebel de la région Collo-Phillipeville, en ce printemps 1957. Pour une bonne compréhension du texte, toutes les phrases issues des carnets du maquisard seront entre «guillements et en italique». C'est avec leur auteur que je vais dialoguer dans les pages qui vont suivre.Curieux dialogue, j'en conviens, où l'un des interlocuteurs ne peut répondre. Je vais donc respecter, à la lettre, ce qu'il a écrit.D'ancien combattant à ancien combattant, je ne pense pas que le tutoiement soit une marque d'irrespect, aussi l'emploierai-je sans pudeur. Il y a plus de quarante ans que tu écrivais ces premières lignes dans deux petits carnets, vert et rouge. Ouvrons donc le premier :21 juin 1957 :«Carnet commencé le jour de mon départ pour le maquis en compagnie de mon ami B. S., c'est-à-dire le vendredi 21 juin à 11h30. Départ de Taher en compagnie de S. Arrivée à Sbet à 14h. Rencontre avec H. A. D., le soir, toutes les sections du secteur étaient rentrées. Première défaite du colonialisme dans notre secteur (un Lebel et quatorze armes légères récupérées lors du ratissage).»Ce soir, tu as dû entrevoir la victoire toute proche et pourtant le 5 juillet 1962 est encore loin. Encore très loin à l'aune de tes souffrances. De plus, la victoire de l'Indépendance ne sera pas celle de la liberté pérenne.Ton premier samedi et dimanche au maquis durent se passer bien calmement car tu as noté pour ces deux jours : «Samedi : repos» «Dimanche : RAS» RAS : langage emprunté à l'armée française ; rien à signaler (RAS) : au soir de ton premier dimanche dans la résistance. La «rébellion» comme disent ceux qui furent incapables d' entendre cette exigence — modeste autant que logique — d'émancipation et de liberté qui sourdait de ton peuple.Oh ! je sais bien comment ils se moqueraient ceux qui, aujourd'hui, veulent voir un lien entre ton combat et la tragédie que vit l' Algérie depuis dix ans : «Voyez ce qu'ils ont fait de leur indépendance», «l'Arabe est ainsi», «sans la France, ce sont des incapables».Il est toujours plus facile de se moquer que de chercher à comprendre. Et pour comprendre, il n'est pas superflu de se remémorer et, pour beaucoup, de connaître cette vérité qu'un journaliste (Jacques Madaule) écrivait en mai 1954. Juste un peu, donc, avant un certain 1er novembre : l'Algérie est calme. Les enfants y meurent sans crier. Ceux qui crient là -bas ce sont les viticulteurs qui ne peuvent vendre leur vin. Il ne faudrait pourtant pas se méprendre sur le silence des uns et sur les lamentations des autres» (Le Monde du 8 mai 1954).21 juin 1957 :J'allais avoir dix-neuf ans. Et toi ' J'espère bien le savoir un jour. Qu'il s'en est passé des événements depuis cette journée !As-tu eu la joie de vivre ce cinq Juillet, ce jour où cent trente-deux ans, jour pour jour, après le début de l'invasion coloniale, l'Algérie devenait indépendante ' Il y a quarante ans de cela. La lutte à laquelle tu participais a donc fini par triompher. L'indépendance. De quels sacrifices, de quelles souffrances, l'as-tu payée 'Ce jour-là , tu t'engages dans la lutte pour l'indépendance de ton pays et — je suis certain que tu n'en doutes pas — dans le combat pour la liberté. Deux carnets, deux petits carnets dont la surface n'égale pas celle d'une main.Les dates y courent du 21 juin 1957 au 26 juillet 1958. Il y aura bientôt trois ans que l'Algérie entend le bruit des armes. Que des hommes, une armée, se sont dressés contre la France disent les uns, contre le colonialisme disent les autres. Et beaucoup ne disent rien. Ce soir-là , dimanche 23 juin, tu quittes Sbett en compagnie de ton copain. Par quel moyen ' Tu ne le dis pas, mais je suppose que ce doit être à pied par quelques sentiers où, parfois, se tapit l'embuscade des troupes françaises. Destination : «Mechta Ourtane». Un hameau, dirait-on en France, où, le lendemain, tu écris : «Avons rencontré quatre jeunes musulmanes constantinoises qui venaient de rejoindre le maquis ainsi que B. S. et A. D.», trois personnes que tu semblais connaître puisque tu cites leurs noms et que nous retrouverons souvent par la suite.Mardi 25 juin :«Mardi soir départ pour la fraction Boual avec H. R. et B. S. Là, nous avons rencontré B. A. M.»Mercredi 26 juin :«Repos».Jeudi 27 juin :«Récupération de la pièce Lebel avec quarante chargeurs enlevée lors de l'accrochage du 12 juin 1957 pendant la grande opération de ratissage ainsi que quatorze armes légères.Déjàune semaine que tu es un HLL, un hors-la-loi pour la France, un maquisard pour ton peuple. Je dis bien pour ton peuple et non pour les seuls FLN ou ALN. La suite des carnets le montre bien, qui nous apprend que vous bénéficiez de son soutien car les notes parlent de nuits passées chez l'habitant et de rassemblement publics.Où es-tu cantonné ' Caché ' Le carnet ne le dit pas et on le comprend, mais pourquoi as-tu noté tous ces noms ' Tous ces lieux 'Quelles terribles conséquences si ces carnets avaient été remis aux autorités militaires 'Ce ne fut pas le cas et, en 2001, ils vont servir de boussole au lecteur pour crapahuter dans le djebel kabyle. Dans le «crapahut» de ces pages, les dates remplaceront les pitons, les oueds, les talwegs. Et l'arbre en boule ! Leur chronologie pourrait devenir rébarbative, alors, comme dans un vrai crapahut, nous marquerons des pauses. Et les mettrons à profit pour mieux comprendre l'environnement et les conditions dans lesquelles évoluaient les combattants de l' ALN.Vendredi 28 juin :«A cinq heures trente du matin : alerte et bombardement des douars Irdjanahe, O. Nil et Bouterrache. A dix heures, seconde alerte et second bombardement. Aucun des objectifs atteints. Après-midi, même chose.A dix-huit heures, départ de A. T. au secteur 2 avec Si A. L.»Samedi 29 juin :«A cinq heures trente, bombardement des mêmes objectifs. A neuf heures, départ avec A. et M. pour O. Askeur. A Teghrast, nous avons été bombardés durant vingt minutes. Arrivée à quatorze heures à destination. A seize heures, bombardement de Chabna et de la mechta Neghra. rencontre avec mon ami A. N.»Dimanche 30 juin :«De cinq heures du matin à sept heures, bombardement de la mechta Neghra. Des soldats héliportés débarquent à la mechta sus-indiquée.Ouverture vers l'oued Indaraah ; nous avons passé la nuit à la belle étoile à la fraction Boupriel douar Indjounah.»Lundi 1er juillet :«Nous avons pris le départ de la fraction Bouderiane à quatre heures du matin. Arrivés à notre base de départ (Neghra) à midi et demi. Après-midi : repos.»Mardi 2 juillet :«repos le matin. L' après-midi, arrivée de h. R. et Si Salah B. Nous avons rendu visite à la section de M. C. en partance pour la Tunisie pour ramener des armes et stationner à cinq cents mètres de notre base.»Mercredi 3 juillet :«Matin : RAS. Après-midi à seize heures trente, bombardement à Askeur, Irbjanah, Bouterrache et Oued-Nil et Chabna (maisons brûlées). A dix-neuf heures, rencontre avec Si Salah B. longtemps tué dans un communiqué officiel français, voir tracts.»Jeudi 4 juillet :«A six heures trente, bombardement des Beni Afere et de Vaghra O. A. Mitraillage de forêts jusqu'à sept heures. Soir : RAS.»




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