Algérie

C'est ma vie



C'est ma vie
Les roues du train Batna-Constantine ripent sur les rails, produisant des étincelles sur la voie ferrée en arrivant à la mythique gare de Ouled Rahmoune. Les quelques passagers qui descendent du train enroulent sur la nuque le cordon qui retient leurs bagages sommaires enfouis dans des sacs de semoule. C'était pendant la révolution et la guerre faisait rage dans les montagnes environnantes.Les crépitements des armes parvenaient jusqu'à la bourgade rendue célèbre par sa gare. C'est là que s'arrêtaient les voyageurs à destination d'El Khroub, toponyme désignant des hameaux isolés. Cette étymologie a son équivalent en kabyle : Ikhervane qui désigne des habitations éparses délabrées qui a donné même un nom à des familles dans la région. La racine berbère khrev (délabrement) rassemble ces deux concepts synonymes.Aujourd'hui El Khroub n'est plus ce conglomérat d'habitations qui comptait 3 à 4 000 âmes dans les années 60. Ils sont actuellement plus de 400 000, tous issus de brassages culturels et géographiques différents à cohabiter dans l'harmonie dans ce qui fut autrefois un noyau villageois. Sa proximité avec la cité du Vieux rocher Constantine fait d'elle une banlieue rêvée pour les habitants de l'est algérien qui y trouvent les avantages d'une ville sans les inconvénients. Les complexes industriels et autres infrastructures de développement y ont poussé comme des champignons. Mais ils sont loin d'altérer la beauté de cette ville ombragée. Avec ses rues larges et symétriques parsemées d'arbres bien alignés, elle dégage cette sérénité de ville tranquille où on peut circuler librement sans être le moins du monde troublé dans notre quiétude. Cette tendance correspond au besoin d'évasion vers un environnement devenu plus que nécessaire pour des citoyens nés dans de grands espaces naturels verdoyants.C'est du moins l'impression qui se dégage chez des gens qui n'ont pas revu la ville depuis 50 ans. Réceptacle de la croissance de la métropole constantinoise, El Khroub est restée égale à elle- même ne subissant qu'illusoirement les effets de cet éclatement spatial et fonctionnel. C'est dans le site originel de la ville que s'est tissée la nouvelle ville car c'est de là que s'ouvrent les horizons et que convergent toutes les voies de communication. La présence en ces lieux du plus grand marché de l'Est et de bon nombre d'équipements n'en est que l'une des illustrations. C'est dans ce contexte que le village a donc connu des transformations et un bouleversement de sa structure spatiale pour absorber la croissance urbaine de la métropole constantinoise. L'ancien territoire de la tribu des Chorfa dont l'histoire remonte à l'antiquité avec ses inscriptions latines datant de l'an 26 avant J.-C. et le mausolée royal de Massinissa confère aux lieux une situation géographique stratégique de carrefour vers le sud du pays. Et un enchantement historique. On ne trouve pas chez les habitants de cette ville l'agressivité et le ton narquois qui caractérisent ordinairement les autochtones pour marquer leur territoire. Car ce territoire est béni des dieux. Les populations qui se sont établies là -bas après la décentralisation se sont adaptées au caractère des Khroubis de souche fait d'hospitalité et d'honorabilité. Et l'atavisme a fait le reste. Ce qui caractérise de prime abord cette ville calme mais flamboyante c'est sa singularité par rapport aux villes de l'intérieur du pays. Très ouverte, la cité occupe une place prépondérante dans la wilaya de Constantine. Le satellite de la grande métropole constantinoise assure et rassure les visiteurs que nous sommes. Les habitants d'El Khroub sont dignes dans leur marche et leur démarche. Le verbe bas mais la pensée haute, ils vous abordent tranquillement sans donner l'impression de vous sonder ni de vous juger. Et leur verbe est pluriel. Dans une pharmacie de la ville, Arezki Metref et Ali S., invités du colloque sur Massinissa, discutent d'un fait historique. Quand un Khroubi qui attendait son tour intervient pour apporter son éclairage personnel sur le thème. Et voilà un débat sur l'histoire des Berbères amorcé dans un espace public”? Dans les cybers de la ville règne une atmosphère de travail réellement contagieuse. Sur fond de musique douce, on entend sourdre des discussions dans plusieurs langues sur Skype. Le jeune algérien fait entendre sa voix. Etudiant en langues, il s'arrache au quotidien local pour semer sa culture outre-Atlantique. Et au bout du fil, la magie opère. Et prend.Pris dans les carrefours animés, les piétons ne sont ni pressés ni oisifs. Le vêtement moderne cètoie l'habillement traditionnel rendu gracieux par une foulée synchronique. Que ce soit en couples, en famille ou entre amis, la discussion est sereine. Les enseignes lumineuses des établissements privés déroulent leur pub multicolore dans toutes les langues en usage dans le pays. Au centre culturel M'hamed-Yazid régnait l'autre jour une ambiance inaccoutumée. Un petit cordon policier discret mais efficace régulait la circulation devant le portail de l'institution dont les marches ont été agrémentées d'un pan écarlate : le tapis rouge a été déroulé pour tamazight. Les autorités se sont rappelées au bon souvenir de Massinissa, le premier roi numide pour lequel une rencontre scientifique internationale réunissant un riche panel de chercheurs locaux et étrangers, planche sur le thème «Massinissa au cœur de la consécration du premier État numide». Cinq ministres, dont deux en exercice, ont pris part à la rencontre historique qui rend hommage à l'illustre ancêtre des Algériens et glorifie la ville qui fut son antre. Le mausolée de la famille royale témoigne de ce passage en force dans l'histoire. Et toutes les pierres et la terre d'El Khroub s'en souviennent encore et pour la postérité. Également chef-lieu de daïra qui administre deux nouvelles communes, El Khroub est la seule commune algérienne de l'histoire des collectivités locales à être gérée par un maire ex-ministre qui vient apporter sa culture et son expérience au développement local. Jusque- là , nos personnalités politiques ayant assumé des fonctions de ministres ne conçoivent pas cette mission de service public comme vecteur émancipant de leur personnalité mais comme facteur dégradant. Et le Pr Abdelhamid Aberkane qui fut ancien ministre de la Santé est venu apporter la modestie de son immense science, de sa culture et de son érudition pour booster le développement multiforme de sa commune. Et on comprend dès lors l'énigme et le secret du développement de la ville et de son épanouissement culturel et économique. La croissance soutenue de la commune sur tous les plans est là pour dire sa bonne santé. L'image actuelle de l'agglomération d'El Khroub est réconfortante des mutations qu'elle a connues en quelques années. Aimant profondément son pays, le maire a même contribué à la renaissance de tamazight comme vecteur identitaire consacrant une langue nationale dont la généralisation de son enseignement a été lancée à partir de cette ville mythique par la première responsable du secteur en cette mi-septembre en présence du HCA. Il a ainsi assisté personnellement au premier cours modèle de l'enseignement de tamazight donné au collège du chahid Kerboua-Abdelhamid, l'un des établissements scolaires les plus huppés de la région. Le cours était sur l'aguellid Massinissa (le roi Massinissa). Et l'espace d'une matinée, tous les collégiens furent consacrés rois et le collège royaume du savoir. Les élèves se montrèrent réceptifs au cours qui s'est déroulé en présence du S/G du HCA, du chef d'établissement et de quelques enseignants du collège qui inauguraient une à're nouvelle dans l'appropriation de son histoire millénaire. Fiers de leur ancêtre, les supporters de l'ASK ( Association sportive du Khroub) créée en 1927 se désignent sous la dénomination de Ouled Massinissa, en reconnaissance aux engagements et aux combats politiques et militaires de ce grand roi numide. Dans son reportage intitulé Sur les traces de Massinissa, Arezki Metref raconte comment les vieux habitants d'El Khroub se sont quelque peu étonnés devant une question ayant trait aux lieux marquants de la présence du roi numide qui fit face aux invasions culturelles puniques dans le royaume en rétorquant que «toute la montagne s'appelle Massinissa». Et ce n'est pas un hasard si c'est à El Khroub que la prise de contact historique et l'inauguration du vaste chantier scientifique ayant pour but la maîtrise de l'histoire culturelle, sociale et politique de l'Afrique du Nord concernant sa période numide a été possible.Perché sur une colline au nord-est de la ville, le mausolée résonne encore des chevauchées fantastiques et des cris des vaillants cavaliers numides qui ont foulé cette terre autrefois riche et prospère. El Khroub a vécu un bouleversement spatial important depuis le temps où il n'était que maisons éparses délabrées pour connaître aujourd'hui un développement accéléré et multiforme, dynamique qui engendre une très grande activité.Un cadeau pour les habitants en ces temps de vaches maigres économiques. Et le noyau originel de la ville se souvient encore du fait qu'il n'était que composant primaire s'étendant sur une petite superficie. Il aura vécu et traversé des temps immémoriaux, léguant aux générations montantes un trésor historique inestimable consacré par la reconnaissance des siens dans une conjoncture d'espoir.




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