Algérie

C'est ma vie



C'est ma vie
C'est l'histoire d'un pionnier de l'enseignement de la langue française à Bouira où il a marqué de son empreinte des générations entières avec lesquelles il garde à ce jour des relations d'amitié, de respect et de reconnaissance. Son secret : l'amour qu'il voue à la jeunesse qu'il considère être le meilleur atout de la société.«Après la Révolution de 1954, j'ai passé un concours d'accès à l'enseignement du français, j'avais le niveau de cinquième année primaire et j'ai quand même réussi la main levée. J'ai de ce fait été affecté à Bechloul où j'enseignais à des élèves d'âges et de niveaux différents qui étaient tous casés dans la même salle, il y en avait même qui avaient juste une ou deux années de moins que moi. J'ai ainsi fait mes débuts dans l'un des métiers les plus nobles de l'humanité, et je dois dire qu'à cette époque, le pouvoir en place faisait tout pour garantir à ses écoles des professeurs bien formés. Nous suivions régulièrement toutes sortes de formations, de séminaires et d'évaluations afin de rester toujours à la hauteur et de s'améliorer davantage. Nous avions des formateurs venus directement de France pour nous enseigner les méthodes pédagogiques et nous avions droit à des cours de langue, de psychopédagogie et de tout autre science utile dans le domaine de l'enfant et de l'enseignement. Ensuite, j'ai réussi à décrocher un autre diplème qui m'a permis de passer de simple maître d'école à professeur.Après une année d'étude à Bouzeréah, où l'on nous dispensait, comme à l'université, des cours de pédagogie, de psychologie, de littérature et de langues, j'ai pris mes quartiers au collège Ibn Khaldoun, l'un des plus illustres de la ville de Bouira où j'ai travaillé durant six années : six années de bonheur et de plénitude, notamment grâce à un personnage d'exception, le directeur, M. Amriou, qui était non seulement un homme de grande culture et d'instruction, mais aussi un chef d'établissement dévoué et toujours au service de ses employés et de ses élèves. C'est dans ce climat positif et constructif que j'ai fait mes premiers pas en tant que professeur de français. J'avais des classes d'adolescents à gérer, mais jamais je n'ai eu à me plaindre de l'un d'eux ; ils étaient respectueux, studieux et toujours à l'écoute. Il faut dire aussi que c'est grâce à moi que l'ambiance en classe était aussi bonne, car je me suis toujours mis à leur place, dans leur tête et dans leur peau pour les comprendre et leur faire comprendre ce que je leur dispensais. Je ne dis pas par là que j'étais familier ; il fallait de toute façon imposer le respect et une certaine discipline en classe, mais je faisais tout pour les mettre à l'aise et en confiance afin qu'ils voient en moi non pas un bourreau, mais quelqu'un de bienveillant en qui ils pouvaient faire confiance.Après cela, j'ai été appelé à travailler comme formateur à l'Institut de technologie de l'éducation (ITE). J'ai donc formé des instituteurs trois années durant où j'ai encore agi comme je le faisais au collège, c'est-à -dire que je respectais mes étudiants et jamais je n'ai eu à le regretter. Après la suppression des ITE — l'une des grandes pertes pour le système éducatif actuel —, mes collègues et moi avons été affectés pour travailler dans l'enseignement secondaire. Le lycée Abderrahmane-Mira, le premier lycée de la ville de Bouira, a été mon tout premier dans la fonction de professeur de français du niveau secondaire. Après cela, j'ai été affecté au lycée Polyvalent où, je ne sais pas si c'était parce j'avais l'air compétent ou si le directeur avait une dent contre moi, mais j'ai eu à tenir pas moins de cinq classes : deux terminales et trois premières années avec chacune une cinquantaine d'élèves. Je dois dire que travailler autant n'a pas été de tout repos, mais je reviens encore à mes rapports avec mes élèves qui m'ont toujours aidé à y voir mieux et à supporter toutes les épreuves. Pour vous dire, et tout au long de ma carrière, je ne me suis absenté que deux fois, et à ce jour, lorsque je croise un ancien élève, je me sens heureux déjà d'avoir contribué à sa construction et à son éducation et aussi parce que le respect qu'il me vouait enfant ou adolescent n'a pas changé. Je me sens heureux car j'ai réussi à tisser avec eux des liens solides et indestructibles». «Le métier de professeur requiert de la passion et le don de soi. J'ai pris mes fonctions en 1963, et ce, jusqu'en 1993, soit quarante années de ma vie que j'ai entièrement vouées à ce métier. Et durant toute cette période, j'avoue avoir été le témoin impuissant de la dégradation du secteur de l'éducation et du niveau des élèves et des professeurs qui ne cessent malheureusement de baisser. Il y a aussi le niveau social du professeur qui a pris des allures de chute libre. A mes débuts, je percevais 520 DA qui me suffisaient largement à faire vivre toute ma famille. Le professeur pouvait se dire chanceux et avait les moyens de vivre dignement, cela se répercutait indéniablement sur son rendement professionnel.'on se consacrait pleinement à notre tâche car notre seul souci était de bien accomplir notre mission. Du point de vue de formation aussi, j'ai été témoin d'un recul tel qu'il a réussi en quelques années à miner le secteur de l'éducation nationale et de là le niveau de toute la société. A mes débuts, on ne ratait aucune occasion pour suivre un tas de formations et de mises à niveau, on le faisait sur notre temps libre, et durant les vacances, on passait des semaines entières en séminaires et en stages. L'Algérie d'alors voulait le meilleur pour ses enfants, et elle ne lésinait sur aucun moyen pour y arriver. Pour notre part, nous nous donnions corps et âme à notre métier. Nous étions en perpétuellequête d'évolution et de savoir que nous partagions ensuite avec nos élèves. Aujourd'hui, et pour le grand malheur des élèves, bon nombre de leurs professeurs ont à peine les compétences de leur fonction, mais je ne me permettrai pas de leur en tenir rigueur, car ils sont aussi victimes d'un système qui a lâché les grandes valeurs et la qualité au profit de la quantité et de la facilité. j'ai pris ma retraite en 2000, et je peux vous dire que je ne regretterai jamais de m'être engagé dans l'enseignement, les relations et les liens tissés tout au long de ma carrière avec ces générations entières de jeunes adolescents, actuellement adultes, m'emplissent de bonheur et d'honneur. Je suis fier d'avoir partagé mon savoir, mon expérience et mes connaissances avec eux et je me sens tout aussi avantageux et heureux d'avoir cètoyé et connu ces jeunes que je respecterai toujours et que je défendrai envers et contre tous, tous ceux qui les croient indignes d'accéder au pouvoir, tous ceux qui disent que nos jeunes n'ont pas de niveau ni de culture, tous ceux qui méprisent les jeunes mais qui ignorent qu'ils représentent notre espoir, notre avenir, notre futur.A ces jeunes, je leur dirai juste de croire en eux-mêmes, d'aller de l'avant et de s'instruire davantage, autant que possible, de lire tout ce qui leur passe entre les mains et de faire que leur existence soit positive et qu'ils deviennent ainsi les pierres fondatrices et essentielles de notre société future.»




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