Algérie

C'est lui, Monsieur, pas moi


L'accalmie autour du troisième mandat présidentiel, d'une éventuelle révision constitutionnelle jamais démentie par M. Bouteflika, ne sera pas tenable longtemps. Une accalmie se termine à un moment ou un autre. Le cap indépassable relève de la ritournelle, ce qui n'est pas à l'honneur de la majorité présidentielle et ne rend nullement service au chef de l'Etat et à son image devant l'histoire dans les cinq, dix ou vingt ans à venir. «Cela relève des prérogatives du Président, nous appliquons son programme et suivrons ses décisions lorsqu'elles seront prises par lui.» Ces propos récurrents tenus par les leaders du FLN, du RND et du MSP renvoient M. Bouteflika à une grande solitude puisque sa majorité n'a strictement rien à dire au plan politique pour critiquer, amender et éventuellement enrichir un programme qu'aucun expert ne peut analyser, mettre à jour ou évaluer. «Le seul responsable, c'est lui, nous, nous obéissons puisque nous n'avons aucun programme, aucune idée et encore moins des propositions». C'est ce que répètent avec moult circonvolutions illisibles les partis de la coalition. La solitude du Président, malgré les thuriféraires dans la presse et les partis «amis», est insondable. Personne n'est en mesure de dire «oui, mais». Que vont-ils dire une fois que M. Bouteflika aura quitté le pouvoir ? En gros, ce qu'ont dit beaucoup qui ont salué, les doigts sur la couture, les présidents avant M. Bouteflika. Ce dernier le sait, lui qui connaît le pouvoir algérien depuis bien avant 1962. Il n'est pas dupe, comme ne le sont pas ceux qui lui tressent des lauriers proches de la couronne d'épines, depuis qu'il est le premier responsable, selon la Constitution. Il est bien cruel le destin des responsables arabes, et ils en portent la plus grosse responsabilité en couvant, engraissant des cours de rentiers, de prédateurs et surtout de courtisans qui se moquent de la place qu'ils occuperont dans les manuels d'histoire. Ils savent qu'ils n'y seront pas. La postérité et l'histoire se méritent par l'amour, le respect et l'estime de son peuple, et ensuite de l'humanité, pour de grandioses réalisations, des réformes déterminantes, des libertés chaque jour élargies, farouchement protégées, des avancées pour la femme...

L'irruption brutale et frontale d'un puissant mouvement intégriste, populaire, porté par des couches urbaines et une jeunesse désorientée, massive et dépolitisée à souhait a fait basculer l'Algérie, à ce jour, dans une valse-hésitation macabre dont les victimes tombent régulièrement. Malgré la «rahma», la «réconciliation nationale», les déguisements iraniens, talibans, wahhabites, etc. La vieille querelle entre «éradicateurs» et «réconciliateurs» est largement dépassée au plan strictement militaire. Aucune opposition armée, quelle que soit sa force numérique ou sa puissance de feu ne peut prendre le pouvoir par la force. Elle peut juste durer un peu plus, un peu moins, tout en causant des dégâts, faire peur aux éventuels touristes qui préfèrent toujours et partout des rivages plus sûrs et des modes de vie permissifs, à hauteur de leurs devises.

La lutte s'est déplacée sur le long terme, sur l'islamisation de la société, aux antipodes de l'histoire méditerranéenne, des héritages déposés par tous les occupants, par toutes les religions et civilisations qui ont sédimenté jusqu'à la planification de leur éradication qui ampute l'Algérie de tout ce qui est universel, ou du moins équitablement réparti par des ancrages africains, amazigh, arabe, méditerranéen, païen. Le mouvement dit religieux, jouant sur la fibre la plus facile («le pouvoir est mécréant»), a obligé les dirigeants à surenchérir justement là où il ne fallait surtout pas, sur le terrain qui consiste à démontrer chaque jour qu'ils étaient plus musulmans que tous les courants religieux. Haut-parleurs dangereux pour la santé publique et le repos des gens, appels à la prière sur les médias lourds, laxisme délirant au niveau vestimentaire dans les administrations centrales, démonstrations stériles lors des fêtes religieuses devenues des rites d'allégeance envers des pratiques nouvelles importées et acceptées goulûment, sinon revendiquées.

L'Algérie est déguisée, hirsute, barbue, presque pieds nus jusque dans les ministères. Le pèlerinage à La Mecque est l'objet d'enquêtes financières. Chose récente, les bars et les marchands de vin sont fermés à tours de bras, acculant tous les partis sans exception à l'aphasie, de peur de passer pour des laïques, des apostats ou des ennemis de l'islam. Or, ces derniers sont lovés à l'intérieur parce que leurs intérêts sont à l'extérieur, tous biens confondus. Or, il y a l'avenir, l'après-pétrole, la place de l'Algérie, non pas dans le monde arabe, lui, est géré, programmé par les USA, l'Europe et demain la Chine, l'Inde et quelques grandes puissances industrielles ou financières.

La recherche scientifique, l'innovation dans les technologies d'avenir, la compétition entre les universités, la parité hommes /femmes, les libertés individuelles dans tous les domaines y compris religieux, culturels, sont délaissées. Elles le sont au nom d'un moralisme qui n'a aucune incidence sur la productivité et la balance commerciale. «La menace totalitaire peut faire tomber dans le piège moraliste. Celui-ci consiste à ne défendre le sujet qu'en le désocialisant complètement.»(1) «Le moralisme est dangereux, parce qu'il flatte la bonne conscience de celui qui l'exprime, soit qu'il se sente trop sûr de sa propre société, soit qu'il la dénonce au contraire en des termes qui font de lui un juste parlant au nom d'un au-delà de la société politique, sociale ou religieuse.»(2) «Le juste parlant» le fait pour condamner les émeutiers du désespoir, des harraga, ceux qui «ourdissent des complots», «les ennemis de l'intérieur», ceux qui sont à la solde de l'étranger, jamais identifié et encore moins assigné devant un tribunal algérien ou international. Alors, comme disait Oulianov, que faire ? «Ce que vous voulez, Monsieur, c'est lui, pas moi». C'est vrai, ils ne font qu'obéir ou suivre.



1) Alain Touraine in Critique de la modernité. Ed. Fayard.

2) Ibid.




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