Algérie

C'EST LA VIE



Fatima est ?g?e aujourd?hui de 55 ans. Elle vit ? Cherchell avec une balle log?e dans la t?te que lui avaient destin?e les soldats de l?arm?e coloniale. Elle nous raconte les d?tails et les conditions de ce drame.?Je n?avais pas encore deux ans, et selon le t?moignage de ma d?funte m?re Khe?ra, lors de ses travaux domestiques et de ses d?placements, elle me portait ? califourchon sur son dos. Nous habitions alors dans notre douar ? Taougrite, dans la wilaya de Chlef qui subissait en ce temps-l? un intense ratissage terrestre et a?rien de l?arm?e coloniale fran?aise. Notre village, compos? de gourbis en toub, fut incendi? et presque compl?tement d?truit. Les villageois fuyaient les lieux. Ma m?re me racontait qu?elle ?tait dans le groupe des fuyards, et que parmi ceux qui n?ont pas ?t? abattus, les villageois couraient dans tous les sens pour sauver leur peau. Un groupe de soldats nous rejoignit et visa ma m?re. Elle me racontait qu?une salve de balles s?abattit sur nous. Ma m?re fut bless?e ? l??paule et ? la cuisse. Elle r?ussit ? se faufiler et ? se cacher dans un buisson, hors de la vue des soldats fran?ais. Subitement, elle ?touffa un cri quand elle me mit ? terre et se rendit compte que j??tais inanim?e. Elle voyait que ma djellaba blanche ?tait macul?e de sang, ma t?te et mon visage sanguinolents...? Mais comment sa m?re s?en est sortie avec toute cette armada de soldats ? ses trousses ' Fatima, remu?e en narrant les faits que lui a racont?s sa m?re, nous en donne les d?tails. ?Elle a r?ussi ? semer ses poursuivants gr?ce ? son courage ? s?efforcer ? marcher en boitant, quoique ensanglant?e, jusqu'? la maison de ma grand-m?re, situ?e dans un autre douar, ? deux kilom?tres du n?tre. Arriv?e chez elle, elle pleurait, en lui demandant de me mettre ? terre, car pour elle, j??tais morte et que les balles des soldats m?avaient atteintes. Ma grand-m?re, timor?e ? la vue de mon visage et de mon corps ensanglant?s et inanim?s, me posa sur le sol, essuya mon visage avec un linge mouill?. Au contact de ce dernier, je commen?ais ? ouvrir les yeux, ? respirer puis j??clatais en sanglots, me raconte ma m?re. Surprise par ce r?veil et cette r?surrection inattendus, elle poussa d?abord des rires nerveux, ensuite pleura les larmes de son corps en oubliant sa propre douleur au dos et ? la cuisse. Ma grand-m?re toute fr?missante et heureuse ? la fois ?ta ma djellaba couverte de sang et m?enfila une robe de fortune.
?Notre village fut incendi? et presque compl?tement d?truit. Ma m?re, qui me portait sur son dos, r?ussit ? se cacher dans un buisson. Quand elle me posa ? terre, elle se rendit compte que j??tais inanim?e.?
Elle alla ensuite s?occuper de ma m?re bless?e : les balles lui avaient ?corch? l??paule et taillad? la cuisse d?o? giclait encore du sang.? A notre question de savoir si seul leur douar ?tait la cible des violences des soldats coloniaux, Fatma ?claire notre lanterne. ?Il est peut-?tre judicieux de faire un petit rappel historique sur la ville de Taougrite et des villages du Dahra, qui ont cr?? une ceinture autour d?elle. Taougrite, appel?e jadis Paul-Robert, a ?t? cr??e en 1911. Elle est devenue commune en 1956. Situ?e dans la riche plaine vitivinicole des territoires de Chlef, sa cr?ation fut l?aboutissement d?une occupation des bonnes terres des tribus arabes. Les colons nous ont repouss?s vers les massifs montagneux du Dahra dans l?ex-d?partement d?Orl?ansville et surtout vers les terres incultes. Ces massifs montagneux furent une zone de guerre tr?s sensible o? l?activit? des moudjahidine avait port? de grands coups et caus? de grandes pertes ? l?arm?e coloniale. Mon p?re, le moudjahid Si Youcef, ainsi que plusieurs autres moudjahidine ?taient originaires de mon douar natal. C?est ce qui explique que ce douar fut cibl? particuli?rement en subissant en permanence un harc?lement et un ratissage doubl?s d?attaques contre ses habitants. Les autres douars environnants subirent aussi des carnages et des attaques. Ma m?re, fut particuli?rement cibl?e et recherch?e du fait qu?elle ?tait la femme d?un fellagha. Elle ?tait menac?e de mort. Laiss?e pour morte par ses poursuivants, elle s?enfuit vers les maquis du Dahra. Je fus confi?e ? ma grand-m?re qui m?a ?lev?e jusqu?? l?ind?pendance.? Mais comment Fatma a pu vivre avec une balle dans la t?te toutes ces ann?es ' ?D?s l?ind?pendance de l?Alg?rie, mon p?re, ? l?instar de ma m?re, n?avait jamais imagin? que j?avais une balle plant?e dans ma t?te. C?est vrai que suite ? mes blessures, j?ai gard? une cicatrice ? la tempe, mais je n?ai jamais subi une radiographie. Ainsi, personne ne s?inqui?tait. Je menais une vie normale. J?allais ? l??cole. J?assimilais mes cours. Je grandissais sans pr?ter attention ? ma blessure puisque je ne souffrais pas de douleurs ? l??poque. Mon p?re qui exer?ait ? Gouraya, puis ? Cherchell avait obtenu un logement dans cette ville. Ce n??tait qu?en 1980 apr?s sa mort, et vivant dans le d?nuement, que ma belle-s?ur me conseilla de constituer un dossier de victime de guerre en vue de pouvoir b?n?ficier d?une pension. J?avais consult? alors un m?decin fran?ais, le docteur Lacave, de l?h?pital de Cherchell, qui me prit en charge.
?Ma m?re ?tait menac?e de mort. Laiss?e pour morte par ses poursuivants, elle s?enfuit vers le maquis du Dahra. Je fus confi?e ? ma grand-m?re jusqu?? l?ind?pendance.?
Il me fit faire des radiographies et suite ? son diagnostic, il attesta qu?une balle ?tait log?e profond?ment dans ma t?te et qu?il estimait dangereux de l?extraire en Alg?rie, du fait qu?il n?existait pas d?infrastructures et de moyens adapt?s. Il me proposa une prise en charge ? l??tranger. Ma m?re, dans son ignorance, avait refus? sachant qu?on n?avait aucun moyen financier de faire face ? ce transfert et qu?aucun membre de ma famille ne pouvait m?assister dans de telles conditions. Comme il fallait gagner de l?argent pour survivre, j?ai travaill? ? la biscuiterie de Cherchell, durant 16 ans. En 2005, l?usine ferma et on me mit d?office ? la retraite proportionnelle, avec une pension mis?rable. Durant cette p?riode de travail, j?avais ressenti des troubles et des vertiges fr?quents avec des g?nes fr?quentes. Ma vue baissait dramatiquement. Aujourd?hui, ma vue au niveau de l??il gauche est devenue floue. J??tais consciente que la balle provoquera t?t ou tard des l?sions et alt?rera ma vue. Je m?attends au pire, mais je suis incapable de trouver une solution ? mon probl?me. En 1982, la structure locale de Cherchell des moudjahidine m?a orient?e vers les moudjahidine de Taougrite, lieu de mon ?accident? en 1959. A Taougrite, on m?a orient?e ? Chlef, o? j?ai pass? des radiographies. Puis ce fut le statu quo. Je ne connaissais pas mes droits et personne ne m?avait assist?e. Aujourd?hui, je suis d?sesp?r?e : sans travail et sans pension cons?quente, je ne sais plus quoi faire ; de plus, mon ?tat de sant? empire, et les douleurs ? l??il plus r?currentes. Plus grave, on m?a ?t? la pension de fille de moudjahid, que je percevais du fait que je suis toujours c?libataire. A la CNR de Tipasa, on a justifi? le retrait de cette pension par le fait que j?avais d?j? une pension de retraite proportionnelle qu?on m?avait impos?e ? la suite de la liquidation de la biscuiterie de Cherchell. Je le r?p?te, je ne connaissais pas mes droits, car tous les travailleurs ont ?t? mis dehors. Cette usine de l?ex-Simpac avait ferm? ses portes. Je ne demande pas l?aum?ne, je revendique mes droits en ma qualit? de victime de guerre.?


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