Algérie

Bruits de bottes et impuissance diplomatique


Par Maâmar Farah
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La crise libyenne a connu un emballement soudain ces derniers jours qui rappelle aux observateurs la gravité de la situation et l'impasse dans laquelle elle se trouve.
Répliquant aux aides massives des pays soutenant Haftar, la Turquie a décidé, au début de cette année, de changer de tactique et d'intervenir massivement dans le conflit. Elle a considéré qu'un soutien logistique au gouvernement de Serraj n'était plus suffisant pour stopper l'avancée éclair de l'armée de l'Ouest qui menaçait les faubourgs de Tripoli.
Ce fut le début d'un véritable pont aérien qui permit à la Turquie de débarquer du matériel de combat lourd et des drones qui joueront un rôle déterminant dans la reprise des zones perdues. Alors que le monde, préoccupé par la pandémie de Covid-19, détournait les yeux de la Libye, les Turcs et leurs troupes de mercenaires ramenés de Syrie avançaient leurs pions. Et c'est ainsi que l'armée de Haftar fut chassée des places fortes qu'elle occupait, comme Tarhouna, ville stratégique aux portes de Tripoli. Plus tard, la chute de la base d'El Watya marqua un point de non-retour dans la bataille.
Syrte : le n'ud gordien
Chassées de toute la zone proche de Tripoli, les troupes de Haftar se replièrent à Syrte, une ville dans la ligne de mire du GNA et de ses soutiens turcs. Tripoli maintient le pressing et affiche clairement ses intentions de récupérer Syrte qui devrait devenir la nouvelle ligne de séparation mais du côté tripolitain.
Haftar maintient ses positions à Syrte qu'il considère comme faisant partie de son territoire et il y regroupe d'importantes forces décidées à défendre la ville. Sur ces faits, intervient la réaction égyptienne ferme de ne pas laisser les Turcs dépasser Syrte qui devient ainsi une «ligne rouge» pour l'armée égyptienne.
Cette sortie égyptienne intervient quelques jours après l'incident maritime qui a failli dégénérer entre les forces turques et françaises. Ingrédients réunis pour une déflagration générale.
Sur le plan géostratégique, nous sommes en présence de deux forces antagonistes composées, d'une part, de la Turquie soutenue financièrement par le Qatar et, d'autre part, de la Russie, l'Egypte et des Emirats notamment. Le rôle direct de la France n'apparaît pas clairement, en tout cas pas comme force active aux côtés de Haftar. Toutefois, des soutiens sur le plan du renseignement et du conseil militaire ne sont pas à écarter. La France veut garder son statut d'observateur neutre mais il lui sera difficile de le maintenir si la situation évolue.
En tout cas, sur le plan diplomatique, la France affiche nettement ses positions anti-turques. Mais ce qui attire l'attention est le peu d'empressement que mettent ses partenaires occidentaux à épouser les mêmes thèmes. À la dernière réunion de l'OTAN, il n'y a pas eu de condamnation ferme de la Turquie.
Silence d'Alger
Quant aux Etats-Unis, qui furent un moment tentés par un soutien à Haftar, ils comprirent rapidement qu'ils n'y gagneraient rien d'autant plus que la philosophie de Trump est tout à fait opposée à de nouvelles implications guerrières. En outre, les esprits étasuniens sont toujours marqués par l'épisode sanglant de Benghazi et la meilleure solution pour eux est de garder leurs distances vis-à-vis du conflit, se contentant d'appuyer diplomatiquement le gouvernement de Tripoli reconnu par l'ONU. Cette position américaine est sous-tendue par la volonté de s'opposer aux nouvelles prétentions russes en Méditerranée occidentale.
Reste l'Algérie qui tarde à réagir face à la situation nouvelle créée par les derniers développements de la crise. Ayant reçu, tour à tour, une personnalité importante proche de Haftar et M. Serraj, la diplomatie algérienne a évité de commenter les évènements en cours probablement pour ne pas se mettre à dos l'une des deux parties.
Mais l'on relèvera avec étonnement le silence d'Alger sur l'implication directe et reconnue de la Turquie dans la guerre interlibyenne et l'intention d'Erdogan de s'établir pour longtemps chez nos voisins, en occupant deux bases militaires parmi les plus importantes.
Alger, si prompt à fustiger l'interventionnisme étranger, ne dit pas mot. Est-ce parce qu'il prépare quelque chose de plus consistant ' Ou est-ce simplement parce que l'on vient de réaliser ce que nous avons toujours dit : inutile de chercher à réunir Serraj et Haftar. Ils n'auront rien à se dire car ils ne sont pas maîtres de leur destin. Pour être efficace et aboutir à des résultats concrets, une médiation algérienne devrait regrouper la Russie, les Emirats, l'Egypte, la Turquie et le Qatar. La décision sur ce qui se passe en Libye et ce que sera son avenir appartiennent à ce club, ni à Tripoli, ni à Benghazi.
M. F.
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