Algérie

Brouille entre Alger et l'Union européenne



En attendant que l'Union européenne accepte officiellement sa demande de renégocier le calendrier du démantèlement tarifaire, l'Algérie compte geler l'application des taxes imposées dans ce cadre par l'effet de l'entrée en vigueur de l'accord d'association et ce, depuis septembre 2005.

En fin de compte, l'absence des ministres du gouvernement algérien à la célébration de la journée de l'Europe, le 9 mai dernier, n'avait rien à voir avec des problèmes d'agenda ou de timing, mais était bel et bien un boycot des politiques algériens des instances et des responsables de l'Union européenne. Pour rappel, chaque année, un ou deux ministres représentent le gouvernement algérien à la réception annuelle qu'organise la délégation européenne à Alger à l'occasion de cette journée. Mais, pour cette fois, l'ambassadeur, chef de la délégation de l'Union européenne à Alger, a retardé la lecture de son discours exprès pour les attendre, croyant qu'ils étaient en retard. Laura Baeza nous avait déclaré, en marge de la réception qu'elle a organisée lundi dernier à l'hôtel Sheraton d'Alger, qu'elle ne considérait pas cette absence comme une position politique mais la trouve plutôt mystérieuse. Aujourd'hui et à entendre des responsables algériens en parler, l'absence est très politique. Elle l'est parce qu'on juge que l'Algérie en veut à l'UE et à ses représentants. «L'Union européenne veut imposer aux Algériens ce qu'ils rejettent depuis 2005, année de l'entrée en vigueur de l'accord d'association», nous avoue un de ces responsables. Un autre haut responsable du ministère du Commerce pense ainsi que «bien que nous avons dit aux Européens que l'accord d'association ne nous a rien apporté de bien et qu'au contraire il a pénalisé l'économie nationale, et qu'ils avaient dit qu'ils comprenaient nos préoccupations, en réalité, ils font la sourde oreille, ils ne veulent pas décider d'une date pour qu'on se retrouve pour revoir ce calendrier». Il est reproché à Laura Baeza, selon des interlocuteurs au Premier ministère, «d'être très critique vis-à-vis de l'Algérie et de communiquer son mécontentement à des missions diplomatiques européennes accréditées à Alger, du coup, elles soutiennent toutes les mêmes thèses contre le pays». Au ministère du Commerce, il est affirmé que «la chef de la délégation de l'UE à Alger ne fait aucun effort pour essayer de comprendre nos doléances et de les rapporter auprès de l'UE». Ils en veulent pour preuve que «les responsables de l'UE ne veulent pas entendre parler de renégociation, ils se contentent de nous dire que les termes de l'accord sont clairs, vous avez signé un accord, vous le respectez !» L'on note que «ce sont les derniers jours de Baeza à Alger, elle n'en a plus pour longtemps». Il semble ainsi que l'Algérie ne veut plus l'avoir comme interlocutrice. Du côté de la délégation de l'UE, il est dit qu'elle est appelée à quitter son poste en… 2012.

«L'Algérie a le droit de dénoncer cet accord»

A défaut d'un accord sur une date précise et sur un planning des négociations avec l'UE, l'Algérie pense qu'il est de son droit de geler le calendrier du démantèlement tarifaire et les dispositions de l'accord qui posent problème à son économie. «Il est prévu le gel de l'application des taxes à leur niveau actuel, imposées dans ce cadre. En principe, tout sera gelé à partir de septembre», nous dit une source proche du Premier ministère. Des experts algériens pensent que «l'Algérie a le droit de dénoncer cet accord et elle a les moyens juridiques pour le faire».

Experts qui soutiennent toujours que «l'Algérie a eu tort de signer cet accord avec l'UE, elle n'était pas du tout prête techniquement». Un de nos interlocuteurs estime véritablement qu' «on s'est fait avoir ! C'est un dol que nous eu avec les Européens!» L'on rappelle pour l'histoire que la signature de l'accord a été décidée par les plus hautes instances de l'Etat, «sur la base d'informations données par les parties à charge de la négociation mais qui n'étaient pas forcément en phase avec la réalité du terrain et de l'état de l'économie algérienne en général et de l'entreprise nationale en particulier». L'on pense que «le président de la République a été trompé».

«L'Algérie a les moyens juridiques pour dénoncer l'accord»

Le drame, disent nos sources, «chez nous, c'est toujours le politique qui prend le dessus, il a le pouvoir de décision mais il n'a pas la compétence technique et l'expertise pour juger d'un travail s'il est bon ou mauvais !» D'ailleurs, l'on ne manque pas d'indiquer qu' «au cas où l'Algérie sera appelée à choisir une date pour renégocier avec l'UE, ce sera le ministère des Affaires étrangères qui le fera, alors qu'il n'a pas les experts qu'il faut pour savoir ce qui doit être fait !»

L'Algérie a aujourd'hui en main, selon ces mêmes experts, des instruments efficaces pour corriger et revoir ce qu'elle a décidé «à la légère». En plus des clauses de sauvegarde prévues dans l'accord d'association, elle a des instruments de défense commerciale. Mais en attendant, ils estiment que «le gel est la solution la plus simple et la plus facile à prendre, celle à portée de main à défaut de réfléchir techniquement puisque notre problème avec l'UE est technique et non politique». Ils recommandent aux autorités politiques de «faire appel à des experts chevronnés pour déceler clairement les insuffisances et réhabiliter le pays dans ses droits vis-à-vis de l'UE et même de l'OMC.» Cette dernière organisation est évoquée parce qu'ils soulignent que «le démantèlement tarifaire n'est rien devant l'accord sur les services qui est bien plus grave. L'Algérie s'est aussi fait avoir en négociant les services avec l'UE d'une manière ridicule, et ce qu'elle lui concède, elle le concède aussi à l'OMC. C'est véritablement un accord de dupes». Ils affirment que «les choses sont tellement graves pour l'économie nationale que l'Algérie peut aujourd'hui aller vers l'arbitrage international au cas où l'UE refuserait de renégocier avec elle les dispositions qui posent problème». L'on rappelle que «l'Algérie s'est fait avoir parce qu'elle a offert son marché à 27 pays européens (les membres de l'UE) sans aucune contrepartie». Pour nos interlocuteurs, «le seul ministère qui n'a pas marché dans la signature de l'accord d'association c'est celui de la Justice puisqu'il a refusé de signer avec l'UE un accord global de réadmission». Ils expliquent que «c'est la seule fois où l'Algérie a réussi à inverser l'accord en s'accordant un semblant de réciprocité, ils ont refusé de signer un accord global comme l'UE refuse de signer un accord sur la libre circulation des personnes sous prétexte que l'Algérie doit le faire avec chacun des membres parce qu'à ce propos, ils revendiquent leur souveraineté. L'Algérie a donc signé des accords avec certains pays seulement».

«Nous n'avons même négocié les quotas avec l'UE»

Il est clair que beaucoup de responsables estiment qu' «il y a un problème sérieux avec l'UE». Mais nombreux d'entre eux aussi vont au bout de leur logique et lâchent : «Nous avons des problèmes plus sérieux à l'intérieur du pays». Ils avouent que «nous savions d'avance que l'accord d'association n'allait rien nous apporter en terme de gains financiers mais on pensait sincèrement que son application allait booster les entreprises nationales pour qu'elles produisent plus et mieux. Mais rien de cela n'a été fait, au contraire, ça stagne. D'ailleurs, en l'absence de productions, nous n'avons même pas négocié de quotas avec l'UE. On est très loin du compte sur tous les niveaux».

Au passage, il est reconnu qu'en matière d'importations, «ce n'est pas tant l'UE qui nous inquiète, bien qu'avec l'accord d'association, elle a un peu plus de chance pour accaparer des parts supplémentaires du marché algérien, mais c'est l'Asie qui nous pose problème parce qu'elle nous inonde de produits contrefaits !»

Il est reproché au ministre du Commerce, notamment, de ne pas avoir formé des groupes d'experts, «de vrais» pour confectionner des dossiers «solides» où doivent être répertoriés «et d'une manière précise» tous les travers de l'accord. «Rien n'a été étudié de ce point de vue, des déclarations politiques enflent la brouille entre l'Algérie et l'UE, mais, à ce jour, aucun dossier n'a été préparé par les secteurs concernés pour le présenter et le défendre», avoue un responsable du Commerce. L'on pense du côté algérien que la visite du Commissaire européen chargé de l'élargissement et de la politique de voisinage «est pour tâter le terrain».

Stefan Füle arrive aujourd'hui soir pour mener, lundi et mardi, des discussions avec des responsables algériens, entre autres, le Premier ministre, sur la mise en Å“uvre de l'accord d'association «et sur ce qui en découle comme problèmes. On verra ce que ça va donner». Le Commissaire européen voudra aussi «comprendre la position de l'Algérie vis-à-vis de ce qui se passe en Libye. Füle campe d'ailleurs bien son rôle puisqu'il est inscrit dans la nouvelle institution qui est le Service européen d'action extérieure (SEAE)», nous dit un haut cadre du 1er ministère.

Reprenant Catherine Ashton, vice-présidente de la Commission et Haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Laura Baeza avait indiqué dans son discours, lors de la journée de l'Europe, à propos de la SEAE, que «notre but est de forger pour l'UE une politique étrangère commune, meilleure et plus cohérente. Elaborer des réponses européennes à des problèmes mondiaux complexes, en concertation avec nos partenaires dans le monde (…)».




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