Face aux manifestations spontanées qui viennent rappeler aux autorités
publiques, qu'elles ne gouvernent pas pour gouverner, mais pour organiser et
gérer les affaires de la communauté nationale, en prenant en compte des
intérêts des plus démunis aux plus opulents parmi les citoyens, la réaction
officielle normale, que cause la peur des débordements massifs, aussi bien que
l'amour-propre blessé des dirigeants, -prompts à accuser leurs «administrés»
d'ingratitude,- est de montrer sa force et de lancer la locomotive de la
répression aveugle et générale.
Il est évident que la passivité
habituelle, manifestée au plus haut niveau de l'Etat, dans les crises de ce
type, n'est pas de mise, même si elle n'est pas complètement à écarter, au cas
où les analyses faites à ce niveau, décident de la considérer comme une
manifestation collective de mauvaise humeur, sans racines profondes, sans
causes objectives, sans effets profonds sur l'équilibre des pouvoirs actuels,
et sans lendemain ! Jusqu'à quel point, cependant, peut-on jouer la politique
de l'autruche quand l'interpellation est si massive et si étendue
territorialement ?
L'inflation : le plus fiable des indicateurs d'une mauvaise politique
économique
Le problème est que les actions de masse provoquées par les conséquences
négatives de politiques économiques mal ou insuffisamment réfléchies, ne
cessent qu'avec la disparition de leurs causes. Ces politiques économiques, qui
ont provoqué le chaos actuel, ont été conçues en cercle fermé et évaluées par
ceux-là mêmes qui les ont établies et mises en oeuvre.
La manifestation la plus patente d'une mauvaise politique économique, qui
ressortait exclusivement du pouvoir des autorités publiques, est la hausse
générale, irréversible et irrésistible, des prix, ou inflation, elle-même
causée par la perte de valeur de la monnaie nationale, du fait de la
complaisance monétaire de ces autorités, qui mettent, par un canal ou un autre,
sur le marché plus de moyens monétaires que l'économie peut absorber.
Cette politique de facilité
monétaire conduit à une hausse générale des prix de tous les biens et services
mis sur le national, des fruits et légumes, en passant par les produits
industriels, et en finissant avec les terrains et les immeubles d'habitation.
Pour ce dernier cas, donnant, une
«bulle» que les pays les plus avancés peuvent «nous envier,» car, chez eux et
le pire, les prix de l'immobilier et du foncier ont été multipliés par 2 en dix
ans alors qu'ils l'ont été, par 6, pour la même période, en Algérie. Pourtant,
les statistiques indiquent que le revenu par habitant a doublé chez nous,
pendant la même période, et représente seulement le quart du revenu moyen par
habitant de ces pays. A noter que le SMIG algérien représente au minimum le
dixième, et au maximum, le vingtième du SMIG dans ces pays.
Ne pas confondre hausses de prix conjoncturelles et inflation généralisée
L'inflation généralisée n'est pas à confondre avec les hausses soudaines
des prix de certaines denrées, hausses conjoncturelles liées à des causes
naturelles, comme le mauvais temps qui détruit une récolte de café ou réduit la
production de sucre.
L'inflation, quant à elle, est
une hausse générale de prix, qui ressortait d'éléments clefs de la politique
économique conçue et mise en Å“uvre par les autorités publiques.
La distinction entre hausses des
prix conjoncturelles et inflation généralisée doit être bien comprise, car les
politiques de lutte contre l'un et l'autre de ces phénomènes, sont totalement
différentes.
Dans le premier cas, qui touche
des produits facilement isolables dans le marché, produits obéissant à des
règles de production, de fixation des prix et de distribution relativement
aisées à saisir et connues des opérateurs qui y sont spécialisés, une politique
de soutien financée par le budget public peut isoler la partie la plus fragile
économiquement de la population de ces hausses, dont les effets sont limités
très souvent dans le temps.
Dans le second cas, tenter de
régler le problème comme s'il s'agissait de répondre à une situation de hausse
conjoncturelle, ne touchant qu'une partie marginale de la population, peut
constituer la pire des ripostes de la part des autorités publiques.
Toute tentative de résorber les
hausses de certains produits de base en augmentant les subventions de soutien y
afférant, attise l'inflation généralisée, plus qu'elle ne la réduit. La poussée
inflationniste étant encore présente, toute tentative de la résorber par des
actions ponctuelles, élargit la marge d'augmentation possible des produits dont
les prix sont libres, et ce, dans tous les cas de figure, y compris celui où
les autorités publiques prennent en charge la distribution de ces produits
subventionnés aux consommateurs finaux.
Il est important d'insister sur
la distinction à faire entre l'une et l'autre des situations.
On peut, évidemment, et pour des motivations
politiques, qui ne touchent pas au fond du problème de l'inflation, ressortir à
des mesures d'allégement ponctuel des dépenses des ménages les plus démunis.
Il n'en restera pas moins que des
produits tout aussi essentiels, aux yeux de ces consommateurs, verront leurs
prix continuer à augmenter, à un rythme plus accéléré que par le passé, car le
surplus de pouvoir d'achat libéré grâce aux subventions des produits classés
comme essentiels, ira se placer sur les produits considérés officiellement
comme secondaires.
Donc, bien faire la distinction entre hausse de prix touchant des biens
spécifiques, d'un côté, et inflation généralisée», ne ressortait pas d'un
simple exercice académique.
Ne pas se tromper de diagnostic
Il s'agit de ne pas se tromper de diagnostic ; on ne peut traiter une
maladie qui touche un nombre réduit de personnes, ayant des caractéristiques de
condition de vie ou génétiques les rendant propices à cette maladie, de la même
façon qu'une épidémie.
Pour continuer la comparaison,
une hausse concernant certains produits déterminés est une maladie individuelle
qui doit être traitée suivant ses spécificités; mais l'inflation ressortait du
type de mesures générales que l'on applique en cas d'épidémie. D'un côté, la
maladie est traitée au cas par cas; de l'autre, tout un arsenal de mesures
collectives sont prises pour juguler le mal généralisé à toute la population.
Le problème qui se pose est que
l'émeute de caractère social représente le point de rupture de la résilience
collective, face à une détérioration des conditions de vie, causées par
l'augmentation générale des prix. L'évolution de la réaction collective à cette
épidémie que l'on appelle inflation est extrêmement lente et en général
imperceptible aux yeux des autorités publiques. Mais, ce n'est pas parce qu'un
mal évolue lentement qu'on doit en ignorer les symptômes.
Des symptômes présents depuis longtemps
Or, les symptômes de l'inflation galopante étaient présents dans
l'économie algérienne depuis une longue période. La question qui se pose est de
savoir pourquoi les autorités publiques ont décidé de les ignorer jusqu'à ce
que le point de rupture où les peines causées par le mal, sont devenues
insupportables à une bonne partie de la population. Ce point est atteint
lorsque la population sort dans les rues de manière spontanée, désordonnée et
parfois, violente !
Le consommateur n'arrive plus à
subsister à ses besoins avec le revenu plus ou moins fixe qu'il reçoit face à
un accroissement des dépenses qu'il doit consentir pour survivre et faire
survivre les siens.
Le point de rupture est atteint !
Entre le moment où les réactions individuelles à l'inflation se
coalescent en réactions collectives, et l'apparition des premiers signes de ce
phénomène, il peut se passer une période relativement longue. On peut dire que
la poussée inflationniste date de 2001, et que la population, à quelques
actions sectorielles de revendications organisées près, a fait preuve d'une
grande patience. Mais, avec l'accumulation des problèmes sociaux et des dérives
morales que cause ce phénomène, la phase de rupture est arrivée. Les gens ne
peuvent plus supporter ce rythme infernal de descente aux enfers de la
marginalisation sociale. Les effets négatifs de l'inflation sont devenus
insupportables, et ne sont plus acceptés ou acceptables, quelles que soient les
mesures de répression prises ou envisagées par les autorités publiques. La
cause « déclenchante » immédiate de ces réactions collectives, quelle qu'elle
soit, n'a pas d'importance, dans la mesure où le mal faisait peu à peu son
chemin dans la société algérienne et dans les esprits et les corps des gens,
jusqu'au moment où la seule solution envisageable pour eux était de sortir dans
la rue pour manifester leur ras-le-bol. Se lancer, et surtout au niveau décisionnel,
dans une analyse mettant en relief une cause conjoncturelle relève de «
l'anecdotisme ,» transformé en analyse politico-économique, ce qui risque de
mener à de fausses conclusions, quant au remède à donner et au chemin à suivre
pour sortir le pays de cette tourmente.
La répression comme seule riposte : une erreur périlleuse !
Là aussi, ces autorités doivent éviter l'erreur politique grave de
considérer cette éruption de violence spontanée comme une manifestation de
colère populaire qui peut se prêter au traitement donné habituellement à ce
genre d'action collective désordonnée : le matraquage des manifestants, quel
que soit leur âge, l'arrestation d'une petite minorité et le jugement en référé
de cette minorité, qui est mise pour un temps plus ou moins long, hors de la
société.
Il y a, certainement, parmi les
autorités publiques, certains qui voudraient mettre un terme rapide à ces
mouvements de foule en engageant des actions de violence extrême contre les
participants.
Mais seule peut avoir un effet
positif sur la suite des événements, une solution de fond pour mettre un terme
à une situation d'inflation structurelle qui dévoile les impérities d'une
politique économique, visant à consolider les soutiens extérieurs internationaux,
en jouant à la fois de la mondialisation et des intérêts économiques de
certaines grandes puissances d'un côté et de l'autre, à prendre en charge les
ambitions historiques d'un personnage au sommet de la hiérarchie politique :
démarche qui a fait, peu cas des intérêts économiques et sociaux de la
population en général, à quelques exceptions près. Ce jugement peut apparaître
comme sévère.
Un jugement sévère conforté par la réalité économique et sociale actuelle
Mais comment peut-on juger une politique économique d'ouverture
internationale, tous azimuts, qui a rendu le pays encore plus dépendant de
l'extérieur, a contribué à la liquidation quasi-totale du peu d'industries de
transformations que le pays avait créées, a accentué, à un degré que n'envieraient
pas les pays les plus réactionnaires, les disparités sociales, permettant à une
personne de se faire prêter l'équivalent de 10% de la production nationale
d'une année, alors que d'autres sont payés, au vu et au su des autorités
publiques, au tiers du SMIG officiel, a livré pieds et points liés, l'économie
aux spéculateurs de tous bords, et a fait de la corruption un mode de vie ?
Comment peut-on qualifier une politique économique qui a inscrit dans la
réalité quotidienne de tout un chacun une inflation galopante, et dont les
responsables directs refusent de reconnaître qu'ils ne peuvent en faire porter
le blâme que sur eux-mêmes ?
Le problème qui se pose est de briser les tendances inflationnistes
ancrées dans la politique économique, budgétaire et monétaire des autorités
publiques, en fait pour les autorités publiques de changer de philosophie de
gestion des affaires de la collectivité et donc, d'objectifs économiques et
sociaux implicites ou déclarés.
En conclusion :
1) Le problème structurel de la situation d'hyperinflation que connaît le
pays, et que ne peuvent plus cacher les statistiques officielles d'indices des
prix, qui sont loin de refléter la réalité des prix telle qu'elle est vécue
quotidiennement par le consommateur algérien, ne répondra pas au traitement
habituel donné aux émeutes, traitement qui ressortait exclusivement des actions
en chaîne et en boucle des institutions de répression classiques : police,
gendarmerie, procureur de la République, juge d'instruction, tribunal et enfin prison;
2) Tenter de transformer ce problème de politique économique, en le
traitant en simple cas généralisé de maintien de l'ordre, risque d'ouvrir la
voie à de graves dérives politiques, à des dérapages périlleux qui ramèneraient
le pays à revivre les pages sombres et ensanglantées d'un passé récent.
3) La matraque casse les bras, mais n'aide pas à écraser les prix, ou à
réprimer les tendances inflationnistes déchaînées par une addition de mauvaises
orientations économiques et sociales;
4) De plus, elle risque de ne pas briser les volontés de ceux qui sont
sortis dans les rues pour simplement rappeler que ces politiques économiques,
tournant autour d'objectifs diplomatiques et d'ambitions politiques
personnelles, doivent enfin, céder la place à une véritable politique de
développement national, au profit de tous les citoyens.
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Posté Le : 08/01/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mourad Benachenhou
Source : www.lequotidien-oran.com