«Seul celui qui a emprunté la route connaît la profondeur des trous.» Proverbe chinoisLe compagnon de voyage de Si Boudjemaâ avait éteint son portable sans répondre à la sollicitation de celui qui l'avait appelé. Peut-être que, par pudeur, il ne voulait pas s'exprimer dans la promiscuité du bus surchargé. Le car s'apprêtait à quitter une autoroute déjà encombrée pour s'engager sur une bretelle qui s'enfonçait dans les ténèbres. L'obscurité était accentuée par une nappe de brume inquiétante qui ralentissait considérablement la circulation à ce niveau.La lumière des phares tentait de déchiffrer de sa faible lueur les panneaux signalétiques pointés en direction d'Alger. La voiture ralentit et suivit avec précaution le mince faisceau des phares dont la lueur passait comme une fugitive caresse sur la masse noire des arbustes embusqués derrière les glissières de sécurité. Le car venait de faire un brusque écart pour éviter une large ornière qui se dessinait au beau milieu de la chaussée. Si Boudjemaâ, qui n'était pas habitué à voyager de nuit fut surpris: il se raidit sur son siège et s'accrocha prudemment au fauteuil qui se trouvait devant lui. Son compagnon ne put réprimer une grimace devant le manque de confort dans lequel étaient ballottés les passagers qui avaient été secoués: «On dirait qu'il ne transporte pas des êtres humains. Il devrait faire plus attention puisqu'il a l'habitude de cette route qui montre çà et là des imperfections.» «Il», c'était le chauffeur qui sirotait nonchalamment un café douteux en slalomant entre les trous!«On a beau croiser tous les jours des chantiers de restauration sur cette route, le bitume n'est plus ce qu'il était! Aujourd'hui, on bricole! Heureusement qu'il y a souvent des cortèges d'officiels qui passent tous les jours par ici!» déclara Si Boudjemaâ. «Il faut s'attendre de temps à autre ce genre de mauvaises surprises. Les routes ont beau être récentes, elles se détériorent vite par endroits. Le terrain doit être meuble par en-dessous. C'est le remblai ou le revêtement qui ne doivent pas être de première qualité. Cela me fait penser tout d'un coup à l'époque où j'habitais Hussein Dey. C'était au début des années 1970. La rue de Tripoli qui était dans un piètre état venait d'être refaite en grande pompe. Tout le monde affichait sa satisfaction de voir disparaître les nombreuses ornières qui minaient cette grande artère. Hélas! la joie fut de courte durée: une semaine après la fin des travaux, la voie était toute gondolée et ponctuée de boursouflures. C'était pire qu'avant. Les gens se gaussaient de ce lamentable résultat. Les responsables politiques ont dû s'arracher ce qui restait de leurs cheveux. C'est tout un art, la réalisation d'une route! Je me souviens de l'année où on avait goudronné la route qui montait péniblement jusqu'à notre village. C'était une année avant la guerre. J'étais alors un enfant curieux et étonné de voir un jour débarquer des étrangers au village avec de drôles d'engins qui fumaient et pétaradaient. Les ouvriers communaux avaient d'abord creusé l'ancienne piste à la pioche et à la pelle. Puis sont venues des familles entières, hommes femmes et enfants qui se sont mis en groupe au bord de la route, derrière les tas de pierres. Les femmes étaient vêtues différemment de celles du village. Elles portaient des tatouages et s'exprimaient en arabe. Elles taillaient toute la journée des pierres d'une régularité étonnante. Les grandes personnes racontaient que la tribu avait établi son campement au bord de l'oued. Le tapis de pierres formait la première couche que revêtait ensuite un gravier bitumeux. Eh bien, le chantier a duré des mois et la route a tenu au moins, vingt ans!» rappela Si Boudjemaâ
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 22/02/2014
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Selim M'SILI
Source : www.lexpressiondz.com