Algérie

Bribes de mémoire


Bribes de mémoire
La proximité du journaliste Hamida Layachi avec le grand dramaturge et romancier Kateb Yacine n'est pas un fait du hasard. Le premier est natif de Sidi Bel Abbès où la troupe du second s'était installée à la fin des années 70. Plus tard, l'amour du théâtre et l'engagement pour des idéaux de gauche firent se rapprocher davantage les deux hommes au point de voir l'écrivain ouvrir la porte de son domicile du centre familial de Ben Aknoun à l'étudiant. Ce dernier se vit confier la réécriture d'une nouvelle version de « La poudre d'intelligence » et la proposition de tenir le rôle de Mandela, une pièce restée inachevée. *Le livre, alternant souvenirs et élans lyriques parle tout à la fois de l'homme et de la ville de Bel Abbès. Les divagations de Hamida Layachi, les entrelacs de sa mémoire torturée sont un détours pour cerner la psychologie de l'homme. Les lieux, les personnes, dont l'attachant Merzouk de la troupe Debza, tracent les contours d'un libertaire que nulle chapelle ne peut enrôler. « C'est un troubadour en mouvement perpétuel qui répugnait à poser bagage sous l'ombre de telle ou telle pensée établie. Il se réclamait de poètes errants comme Si Mohand Umhand et Rimbaud, mais aussi des globbe-trotters fous de liberté comme Ibn Battouta sur lequel il a écrit plusieurs articles où il le sacre premier reporter dans l'histoire du monde » (P 64 ). Ils font revivre une époque engloutie sous la gangue de l'oubli.Aspects méconnusLa vraie rencontre, sans qu'on sache vraiment comment, commence à Alger. En 1979, l'auteur vient s'inscrire à l'institut des sciences politiques et de l'information. Plus de vingt ans après la disparition de l'homme en 1988, notre confrère s'est astreint à dérouler le fil de ses souvenirs qui s'étalent jusqu' à la mort et l'enterrement de l'écrivain dont les circonstances sont rapportées avec minutie. Layachi évoquera des rencontres où l'auteur de Nedjma parle de ses lectures, de son admiration pour Staline, de Camus, de Malraux. Dans un livre d'entretiens avec Hafid Gafaiti, Kateb eut déjà à s'exprimer sur beaucoup de questions traitées ici, notamment son recours aux langues populaires pour ne plus rester un écrivain élitiste loin des préoccupations du peuple ou sa volonté tardive de renouer avec la création romanesque. Les souvenirs contenus dans ce livre dont la version arabe « Nabi El isyane » est déjà paru en langue arabe en 2011 conservent un intérêt certain. Des comédiens comme Ahcene Assous, sa femme Fadhila qui a incarné le rôle de la Kahéna dans « la guerre de 2000 ans » nous entraînent dans les coulisses de l'ACT (action culturelle des travailleurs), révélant tantôt le processus d'écriture d'une pièce, tantôt la lente dislocation de la troupe. Le livre fourmille d'informations sur, par exemple, l'origine de la censure d'une pièce de Yacine à la télévision nationale. Il révèle surtout des aspects méconnus de l'homme comme cette amitié avec Mouloud Kassem Nait Belkacem ou son intérêt pour la révolution iranienne et le soufisme. Hamida Ayachi n'a pas pour autant écrit un livre de simple laudateur. Il s'interroge aussi sur l'impasse dans laquelle s'est fourvoyée l'auteur de Nedjma qui vit la société évoluer à contre-courant de ses idéaux. Il déboulonne le mythe qui veut n'y voir en l'auteur de « Nedjma » qu'un irréductible opposant au pouvoir d'alors. « Les pièces de Kateb épousaient, dans leur caractère critique, la vision générale du régime de l'époque, notamment en ce qui concernait la Palestine ou la question de l'indépendance nationale dont l'Algérie de Boumediene était le porte-flambeau » (p 31). Il y a lieu de relever quelques inexactitudes comme le prénom de Mazouzi l'ex-ministre du Travail, ou la référence à un inexistant journal Algérie Evénements au lieu d'Algérie Actualités. Ce livre, qui se lit d'une traite, rappelle un poète dont la parole dérangeante manque tant à notre pays. Il célèbre, sans hypocrisie, un homme qui a rejoint la ronde des ancêtres qui redoublent de férocité.R. HammoudiHamida Layachi - *« Le prophète de l'insoumission » dix années avec Kateb Yacine. Editions Socrate News 68 pages Prix public : 300 DA


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