Les années passent et on se dit spectateurs, d’abord, d’un enchaînement de rencontres, de surprises, de réussites et d’échecs remémorés. Puis acteurs, d’une vie qui nous a été offerte. Un fleuve qu’on aura essayé de longer, une bête féroce qu’on aura essayé d’apprivoiser et un trésor qu’on aura essayé de préserver.
Les années passent et ne reviennent pas, sauf dans notre mémoire.
Nostalgie, quand tu nous tiens ! Car la pensée d'un homme est avant tout sa nostalgie.
On pense et on se lance en fouillant dans notre for intérieur : le présent n’est point à la hauteur du passé, le quotidien n’est guère ce qu’il était. Il se fut un temps où il faisait bon vivre..
Souvenirs d’enfance débordants d’insouciance. Cœurs animés d’une candeur démesurée. Une innocence qui nous aura bercés. Réminiscences qu’on s’efforce de garder.
El hadj sid Ahmed Bouayad a été à l’école primaire Décieux, connue sous le nom de « El Abili », pendant la 2e guerre mondiale. Temps où la faim faisait rage, où l’indigence et le dénuement reflétaient la société.
Les affres de la guerre n’épargnèrent personne, chaque denrée devenait unique et précieuse et les visages pouvaient incroyablement s’illuminer rien qu’en ayant eu un peu de sucre ou de farine. Le peuple subissait cette guerre et se débrouillait du mieux qu’il pouvait afin de survivre, du moins pendant la journée. L’homme s’était adapté malgré lui à un mode de vie âpre et amer en s’ingéniant à trouver remède à ses maux.
El hadj Bouayad conserva en mémoire ce que nul autre ne s’en serait préoccupé. Une foule d’enfant, folâtre et joviale, courant pieds-nus, rejoignant l’école, sans avoir l’air de se soucier de quelque chose. Le pouvoir de la naïveté. Jaloux de leur indifférence, il fit comme eux, ivre de joie.
C’est à se demander si les jeunes aujourd’hui sont réellement conscients de leur bien-être matériel. Rares ceux qui connaissent l’allégresse que peut procurer une chaussure neuve.
Il fut un temps où Tlemcen rimait avec convivialité et sympathie et où la phrase « vivre ensemble » avait toute son ampleur. L’entité familiale primait et les traditions étaient respectées.
Les gens travaillaient dur pour obtenir une infime quantité de nourriture qu’ils partageaient ensuite avec leur entourage. Modestie, générosité et contentement, où êtes vous donc passés aujourd’hui ?
Lorsqu’il s’agissait de se rencontrer, de se réunir et plaisanter, chaque opportunité était bonne à prendre. El hadj Bouayad décrit les festivités d’antan, la bonne humeur avec laquelle les maîtresses de maison s’afféraient à organiser quelconque événement. Leur mot d’ordre était « le travail et la quenouille » !
L’aïd et ses saveurs, l’aïd dans toute sa splendeur. Les gâteaux étaient confectionnés avec simplicité et sans protocole. D’ailleurs, le pain était soigneusement préparé à la maison, puis cuisait au four banal du faubourg.
Et ces mariages qui duraient des jours sans pour autant s’en lasser. Un charme inexistant de nos jours.
Quelques instant de répit et la guerre reprit. C’était un certain 1er Novembre 1954, c’était le début d’un soulèvement qui aura duré 7ans et demi. Une période où la fureur de vaincre prônait. Ce fut un combat sans merci qui a causé la mort de milliers de citoyens algériens. Des hommes mutilés, des femmes violées, des enfants égorgés. On en a vu passer des guerres, on s’est vu pleurer nos terres en enterrant ses pères.
Une victoire arrachée au colonisateur entraînant une immense liesse. Malheureusement, une indépendance dont on n’avait pas vraiment le mode d’emploi. Hommages à nos martyres, qu’ils reposent en paix.
El hadj Sid Ahmed Bouayad a été au lycée Maliha Hamidou, puis a rejoint la faculté d’Alger où il a obtenu sa licence en langue arabe et en histoire et géographie, en langue de Voltaire, matières qu’il aura enseignées par la suite.
Avec rigueur et abnégation absolues, les professeurs se démenaient à transmettre leur savoir. Il les salue vivement pour leur dévouement, leur pédagogie ainsi que leur altruisme. L’éducation, à son tour, a bel et bien été affectée, d’une institution adulée, prisée et respectée s’est transformée en une totale anarchie où le plus fort impose ses lois. Règles bafouées, cours à moitié faits, notes falsifiées et diplômes négligés.
Il fut un temps où il faisait bon vivre, certes. Les gens se portaient volontaires pour n’importe qu’elle travail, ils étaient confiants et avaient foi en Dieu, en leur pays. Leurs valeurs, leur richesse.
Instituteur désintéressé, il enseigna au lycée Dr Benzerdjeb avec la compagnie d’étrangers, de français et de russes, période inoubliable dans son parcours. On lui accorda ultérieurement le titre d’inspecteur en langue arabe dans la wilaya de Tlemcen, Béchar, Tindouf et Adrar. Une aubaine qui lui aura permis de faire connaissance avec la bonté du Sud algérien, territoire doté d’un climat ardu mais si serein et paisible, débordant de plénitude.
Les années passent sans jamais revenir, sauf dans notre mémoire. Sa mémoire lui fit rappeler ce qu’est réellement la vie, La vie est un chemin hostile et troublant, instructif et décisif. Un chemin parfois gai et encourageant. La vie c’est apprendre et agir, voir et s’émerveiller, réfléchir et songer, inventer et découvrir, donner et ne pas attendre en retour, pardonner et aimer. La vie est pleine d’espoir comme elle est pleine de déceptions. La vie est aussi un combat dont les armes sont la patience, la persévérance, le courage et la volonté. Cœurs cupides, fielleux, impurs et haineux, prenez-en de la graine !
S’abandonner à l’unique divinité, méditer en se rendant au lieu sacré. « C’était l’apothéose », dit-il. El hadj est devenu ainsi il y a de cela presque 10ans en accomplissant le dernier pilier de l’islam. Pèlerinage qui le bouleversera.
Coupole où repose le prophète, temple d’Abraham, Arafat, Muzdalifa, Minen, ou la redécouverte d’une religion originelle et pure. Il s’y rendit avec sa femme et revint le cœur gros envahi de souvenirs à conter.
L’homme a vécu, l’enfant narre. Il se rappelle encore et toujours de ce plateau jaune où la maman servait le café. Il se rappelle de l’histoire de « Loundja » racontée chaque soir par sa grand-mère.
Il se rappelle de ce feu si durement obtenu, avec de la braise. Il se rappelle de cette maison, de ses murs, ces cris qui retentissent encore..
Appel à La société algérienne, un appel à réveiller notre intelligence et lui rendre le besoin de connaitre, d’analyser et de scruter ce passé si méconnu pour mieux expliquer le présent et le comprendre à sa juste valeur.
Jeunesse et maladresse. Ignorance et absence d’allégeance. Corruption et conspiration. Brimade et incartade. Nous pardonneriez vous notre misère ?
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Posté Le : 28/01/2014
Posté par : dmmb
Ecrit par : Merad Boudia