Algérie

Brésil et Algérie : pays émergents et pays submergés



En une décennie, le Brésil est devenu un pays qui compte. Dans le même temps, l'Algérie a réussi à devenir un pays qui ne compte pas. Une équipe de football, un fleuve, une forêt gigantesque, quelques groupes industriels, des favelas disséminées dans un immense territoire, une pauvreté endémique et des inégalités sociales insupportables: c'est ainsi qu'apparaissait le Brésil il y a dix ans. Dans ce pays continent, la criminalité s'était développée à tel point qu'elle était devenue la principale menace contre la paix et la stabilité. Comment ce pays aux fabuleuses richesses pouvait-il rester à la traîne ? Pourquoi le Brésil restait-il enfermé dans des solutions hasardeuses, sans réelle perspective, maintenant l'immense majorité de son peuple dans la misère, alors qu'il possédait des atouts sérieux pour assurer un minimum de bonheur à ses habitants ? C'est la question que se sont posés dès le début des années 1990 les grands acteurs de la vie politique brésilienne, autour de trois grands pôles: le pouvoir militaro-policier, l'argent et les grandes organisations syndicales. Pour cette « tripartite », le bilan était simple à établir. Les pouvoirs militaires qui se sont succédé depuis un demi-siècle ont provoqué une aggravation de la crise, car ils répondaient de manière erronée à de mauvaises questions. Les partis traditionnels qui ont pris la relève étaient prisonniers de schémas politiques étroits, et se sont révélés inaptes à mesurer les enjeux. Les organisations sociales elles-mêmes, malgré leur combativité, en étaient réduites à se lancer dans des opérations de protestation et des émeutes, restées sans lendemain. Les fameux paysans sans terre, qui occupaient de grandes propriétés non exploitées, ne parvenaient pas à s'en sortir, car leur situation demeurait précaire. Ils étaient toujours sous la menace d'expulsion ou celle, plus dangereuse encore, de pistoléros et de milices à la solde des grandes fortunes. Même les romans de Jorge Amado ne parvenaient pas à introduire un rayon de lumière dans ce mode sordide des banlieues des grandes métropoles brésiliennes, où certains bidonvilles comptaient autant d'habitants que le Grand Alger. Le Brésil avait visiblement besoin d'une démarche novatrice. L'objectif ne pouvait se limiter seulement à aménager le système en place, mais à établir de nouveaux équilibres. Il avait besoin de faire sauter ce verrou qui empêchait les uns, les plus nombreux, à accéder à une vie décente, et les autres, ceux qui avaient un revenu moyen ou élevé, à en jouir pleinement, et à créer de nouvelles richesses. C'est dans ce contexte que le président Lula a accédé au pouvoir. C'est un représentant des pauvres et des déclassés, avec un long passé militant. Il eu le temps de mûrir, pour comprendre que sa mission ne serait pas de régler des comptes ou de détruire l'adversaire, mais de réaménager les grands équilibres du pays en faveur des plus pauvres. Les grandes entreprises du pays avaient elles aussi compris qu'elles avaient intérêt à transformer les cent millions de pauvres que comptait le pays en consommateurs, ce qui offrirait un formidable marché à leurs produits. Ce grand compromis, un véritable New Deal, a donné des résultats fabuleux. Lula en est à peine au début de son deuxième mandat, mais il peut d'ores et déjà se targuer d'avoir introduit le Brésil dans la cour des grands. Avec l'Inde et la Chine, son pays est devenu le principal moteur de la croissance mondiale. Dans une quinzaine d'années, il sera l'une des cinq premières puissances économiques du monde. Avec le formidable marché qu'offre l'Amérique latine, il dispose d'une énorme marge de progression, et promet d'entraîner tout le sous-continent vers la prospérité. Au-delà, le Brésil fait déjà partie de ceux qui pèsent sur l'économie mondiale, et sont, de fait, conviés aux grandes réunions qui comptent. Il ne se contente plus d'être un grand pays émergent. Il est aussi admis dans la cour des démocraties établies. Pour couronner ce parcours, le Brésil frappe à la porte du Conseil de sécurité de l'ONU. A la première réforme de l'institution internationale, il en sera membre permanent. La clé de ce succès brésilien, atteint sans règlements de comptes ni chasses aux sorcières, est simple. Le pays est sorti des petits conflits de pouvoir et des querelles sordides pour s'engager dans une autre voie, celle de la grandeur. Les militaires ont compris que leur pouvoir relève d'une époque révolue, les bureaucrates ont été amenés à accompagner le mouvement du progrès au lieu de constituer un frein au développement, et la classe politique a admis que ses méthodes dépassées n'offraient pas d'alternative. C'est le Brésil d'il y a dix ans. C'est l'Algérie d'aujourd'hui. L'image est la même: des potentialités immenses, un système non seulement incapable de régler les problèmes, mais qui les génère, et une échéance qui peut permettre de poser, enfin, les bonnes questions. L'Algérie fera-t-elle les bons choix ? Difficile à dire. Pour le moment, elle ne s'est pas posé les bonnes questions. A entendre les slogans sur le troisième mandat, elle se dirige même vers le maintien de l'impasse. Pour réussir, le Brésil s'est lancé dans un projet ambitieux, en s'appuyant sur les deux forces qui créent la richesse: les travailleurs, à travers le président Lula, et les entreprises. Le résultat se passe de tout commentaire. On parle désormais de miracle brésilien. Quant au miracle algérien, il est différent: il consiste, jusqu'à preuve du contraire, à échouer là où tout indique que le succès est possible, et même facile.  


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