Publié le 13.02.2024 dans le Quotidien l’Expression
L’auteur dépeint souvent des personnages en quête d’eux-mêmes, cherchant à démêler les fils de leur histoire personnelle au sein du tissu complexe de l’histoire collective.
Par Boualem Tabouche*
L'attachement aux origines dans l'oeuvre de Brahim Tazaghart est un thème riche et complexe qui explore les liens entre les personnages et leur passé, leur identité culturelle et leur rapport à l'histoire de leurs origines. L'auteur, à travers ses divers textes, a souvent utilisé l'écriture comme moyen de réfléchir sur les origines, l'identité et l'attachement à la terre natale. Animé par le désir de sonder les racines de l'identité amazighe, il explore inlassablement les méandres de l'histoire, de la tradition et de la mémoire collective. L'oeuvre romanesque de Brahim Tazaghart, «Salah d Nuja»(1), «Inig Anegaru»(2) et «Nayla»(3), se dresse comme un témoin engagé de l'attachement profond que les personnages entretiennent avec leurs origines. Cet attachement transcende souvent le simple amour pour l'identité; il devient un fil conducteur qui relie le présent au passé, un moyen de comprendre l'évolution de la société et de l'individu. Dans ses romans, l'auteur dépeint souvent des personnages en quête d'eux-mêmes, cherchant à démêler les fils de leur histoire personnelle au sein du tissu complexe de l'histoire collective.
Les origines et l'attachement aux traditions deviennent un refuge, une source d'inspiration, mais aussi parfois un fardeau, porteur de conflits intérieurs. Le paysage varié des romans de Brahim Tazaghart, avec ses montagnes, ses rivières et ses villages fantasmés, devient le décor vivant de ces romans.
L'auteur décrit avec une richesse sensorielle les lieux qui ont façonné l'identité de leurs personnages. Ainsi, l'attachement aux origines ne se limite pas seulement à un attachement géographique, mais englobe également une relation intime avec la culture, la langue et les traditions.
«Inig aneggaru»
Cependant, cet attachement n'est pas figé dans le passé. Brahim Tazaghart explore également la manière dont les personnages négocient entre les traditions ancestrales et les exigences du monde moderne. Les conflits générationnels et les questionnements identitaires deviennent des éléments clés, révélant les tensions entre le passé et le présent, entre la fidélité aux origines et la nécessité de s'adapter aux changements du monde contemporain.
Depuis sa chambre d'hôpital à Akbou, Salas observe les sommets du Djurdjura tout en posant doucement sa main sur son ventre, marqué par une récente intervention chirurgicale qui le laisse mélancolique. Lorsqu'il quitte l'hôpital, l'ennui le guette chez lui, jusqu'à ce que des amis lui proposent une escapade en bord de mer, offre qu'il accepte volontiers. Près de Boulimat, Salas accomplit un acte héroïque en sauvant Nuja d'une mort imminente au coeur d'une mer déchaînée. Leur amitié naît de cette rencontre, mais Nuja est destinée à rejoindre Alger. De retour dans son village, Salas reçoit une lettre de Nuja où elle avoue ses sentiments, tout en expliquant que leur amour est voué à l'échec: elle est promise depuis sa petite enfance à son cousin maternel, Tayeb. Salas débarque à Alger et se rend à la faculté de médecine où étudie Nuja. Ils parviennent à se voir, mais une fois chez elle, Nuja révèle à sa mère son refus d'épouser Tayeb, malgré la promesse faite par la famille. La mère s'oppose à tout changement, insistant sur la promesse faite à Tayeb. Nuja, cloîtrée dans sa chambre, attend le retour de son père Si Abdellah, la seule personne capable de la libérer de cette destinée malheureuse. Durant les jours où Nuja ne se trouve pas à l'université, Salas concocte un plan: éliminer Tayeb, pensant que cela serait la seule issue pour sauver leur amour. Cependant, une discussion dans un bar, au cours de laquelle il apprend l'histoire de Dda Qasi, le dissuade rapidement de cette idée. De retour, Si Abdellah, informé des souhaits de sa fille, annonce aux parents de Tayeb que c'est à Nuja, et à elle seule, de décider de son destin. Ainsi, le roman se conclut par les retrouvailles émouvantes de Salas et Nuja autour d'un déjeuner, marquant la résolution heureuse de leur histoire d'amour. Au-de-là de l'histoire d'amour entre Salas et Nunja, l'auteur nous informe du lien entre Djerba de Bejaia, qui a pris avec le temps le nom de Boulimat, et Djerba de Tunisie dans une perspective d'identité nord-africaine inclusive. Les Tunisiens qui fabriquaient de la poterie à Djerba algérienne ne sont que les habitants de Qellala (Aqellal) de la belle Ile tunisienne. Salas d Nuja est à classer dans la catégorie roman jeunesse, d'autant plus que son écriture remonte à la période où son auteur fréquentait le lycée Debbih Cherif d'Akbou.
Le deuxième roman de Brahim Tazaghart marque un tournant vers une écriture fragmentée, où l'auteur choisit de s'adresser à son lecteur d'une manière différente. À la différence du premier roman, «Inig Aneggaru» voit les personnages mis en mouvement, engagés dans la construction de leurs propres récits. Chaque protagoniste devient le narrateur de son histoire ou de ses histoires. Les personnages de ce roman ne sont pas confinés dans une trame restreinte et limitative. Ils naviguent constamment entre le présent et le passé, le visible et l'invisible, au sein d'une société en apparence rigide, mais en réalité tolérante et indulgente. De plus, évoquer l'amour d'une femme est toujours entremêlé avec celui de la patrie. Cet amour pour la terre, les ancêtres, les vents, les collines, les mers et les dunes est aussi complexe que les relations interdites qui nécessitent une façade pour survivre et se protéger. Dans ce cas, la façade prend la forme de l'idéologie, non pas utilisée dans le texte pour mobiliser, mais pour dissimuler des dérives. C'est l'outil que le père de Tiziri, avocat de profession, utilise pour s'opposer au mariage de sa fille avec Youba. Souvent, une grande cause est invoquée pour atteindre des objectifs dérisoires, souvent d'ordre mercantile. Pour dire autrement, les deux protagonistes du roman, l'un épris d'une fille issue d'une famille de marabouts et l'autre d'une fille arabe, ne peuvent pas mener des vies faciles dans une société qui peine encore à surmonter ses archaïsmes.
«Nayla»: écrire les racines et la terre
Déjà amorcé dans «Inig Aneggaru», l'écriture dans «Nayla» se présente comme un cycle de significations extrêmement productif émerge de contrastes, de déplacements et de transformations qui interpellent le lecteur, l'invitant à activer sa mémoire, ses facultés interprétatives et son esprit critique. Ainsi, en violant les normes, le romancier instaure un chaos textuel apparent dont le mais est de déstabiliser. Le recours à l'humour, à la transgression et à la subversion permet d'exposer tout ce qui incarne l'aspect d'un système imposé et, de manière détournée, de le condamner et ainsi de le rabaisser. Le début du roman dévoile un premier chapitre qui, à première vue, semble dénué de tout lien avec le titre. Notamment, les quatre premières pages du chapitre «Assif» se présentent comme une invitation à anticiper un changement, un bouleversement, voire un détournement imminent pour le lecteur. L'auteur choisit d'instaurer une atmosphère de transformation en décrivant une image inaugurale de «déluge», illustrant comment, durant l'hiver, la rivière déborde et emporte tout sur son passage. Ces pages 7, 8, 9 et 10, bien qu'apparemment déconnectées de l'intrigue à venir, éveillent la curiosité du lecteur et le préparent mentalement à une possible «déviation». Ainsi, ces premières pages se manifestent comme un avertissement, signalant au lecteur de se préparer à une expérience littéraire hors du commun: ««Asif akken i isdukul tamurt i ibettu wid iteddun fella-as. (...) Mi ara i?ettel ikedran, ara isrekrik tizemrin, ara iqella? tjur...» (pp.7-8). En juxtaposant diverses histoires et textes appartenant à des genres variés, le roman explore les origines et s'engage dans la préservation de la mémoire, cherchant à transmettre le savoir d'une génération à l'autre afin de combattre l'oubli. Le narrateur remonte dans le temps pour revisiter l'histoire de la société kabyle, mettant en lumière son identité et ses traditions. En définitive, chez Brahim Tazaghart, les thèmes: l'attachement aux origines, l'identité, la femme et l'amour impossible semblent se présenter comme un véritable voyage à travers le temps, l'espace et l'âme. L'auteur explore avec finesse et sensibilité les liens indissolubles qui unissent les personnages à leurs racines, créant ainsi des récits profonds et captivants qui résonnent au-delà des frontières géographiques pour s'inscrire dans l'universalité.
* Enseignant de littérature à l'Université de Bouira
Notes:(1) Tazaghart, Brahim, «Salas de Nuja», Tizi Ouzou, Auto-Edition, 2006.
(2) Tazaghart, Brahim, «Inig Aneggaru», 2eme édition, Tira, Bgayet, 2018.
(3) Tazaghart, Brahim, «Nayla», Bejaia, Tira Editions, 2018.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 16/02/2024
Posté par : rachids