Le président de la République a parlé. Non pas qu'il était le muet du sérail, mais le fait, même tardif, est un événement en soi. C'est que la parole de ce chef de l'Etat là, celle à laquelle il donne sa propre voix, pas celle qui passait à travers les cordes vocales d'anonymes conseillers, est rare. Et, quand elle était disponible, douze ans d'exercice présidentiel durant, elle était plus lue, souvent sur un ton désincarné qui suggérait l'exercice de la figure imposée. Ce n'était pas de l'exercice de style, mais le ton, souvent monocorde, enlevait toutes ses couleurs au discours d'un Abdelaziz Bouteflika dont les talents de tribun hors norme sont méconnus du grand public. L'orateur occasionnel, avait certainement des circonstances bien atténuantes qui ne lui permettaient pas de donner un peu de voix au sujet qui fait tonner le verbe, l'adjectif et le complément d'objet. L'homme fut donc économe de ses gestes et avare de sa voix. Ce qui installa alors un sentiment de mal-être diffus qui donnait à penser qu'on était en présence d'un Etat sans voix. En tout cas, l'absence d'une voix forte qui traçait une perspective et indiquait la voie à suivre. Cette fois-ci, d'Oran, le chef de l'Etat, qui a retrouvé la vigueur du geste et le dynamisme de la voix a, avec les accents de la sincérité, éclairé un chemin. Celui qui, de son point de vue, et il y croit fort, débutera le 10 mai prochain avec les élections législatives, les premières en Algérie depuis l'irruption fiévreuse du Printemps arabe. Il en est si profondément habité qu'il attribue à ce rendez-vous, pourtant inscrit dans l'agenda politique, des vertus politiques cathartiques ! L'accent mis sur «l'importance capitale» de ce scrutin a quelque chose de martial. Elle porte la charge affective, bien dramatique, d'un mot d'ordre qui veut dire voter ou périr. Voter le 10 mai, acte salvateur et rédempteur, ou disparaitre comme nation, un lendemain d'abstention massive. Bien sûr, l'homme a pour lui le bénéfice de la sincérité et la force de ses propres convictions. Et on est bien d'accord, le défi est majeur car un rendez-vous électoral ordinaire devient extraordinaire en raison de la conjugaison de facteurs internes, d'un environnement régional et d'une conjoncture internationale tout à fait exceptionnels. Mais, de là à comparer ce rendez-vous électoral, qui n'a pas l'importance d'un scrutin présidentiel ou d'un référendum, à un acte historique fondateur du mythe national comme le Premier novembre 1954, il y a un pas que même les plus optimistes parmi les moins pessimistes des Algériens, n'oseraient pas franchir. C'est comme si on attribuait à la chimie les vertus magiques de l'alchimie. C'est comme si l'on pensait donc que les élections du 10 mai, avec des partis cocotte-minute, des formations politiques vermoulues et rancies, des programmes d'une valeur légèrement supérieure à epsilon, des appareils étiques et sans éthique et des militants virtuels qu'on drague par annonces dans les journaux, allaient faire entrer l'Algérie dans le cercle vertueux de la démocratie. Pourtant le chef de l'Etat y croit, il pense qu'il s'agit là d'une «mise à l'épreuve de la citoyenneté et de la démocratie.» Il semble même convaincu que ces élections «imprimeront une dynamique au processus de réformes politiques en cours.» Ainsi donne-t-il l'impression d'être dans une mystique démocratique qui lui fait penser ou souhaiter, c'est kif-kif, que ces élections donneraient naissance à «un parlement démocratique et pluraliste.» La foi et la sincérité du président de la République, bien réelles, ne sont pas pour autant dénuées de réalisme : le politique subtil, qui connait la sociologie politique de son pays, la densité culturelle des partis, l'incomparable qualité de l'offre partisane et l'inégalable expertise des dirigeants et des cadres politiques algériens, est cependant traversé par un petit doute. Un chouia de scepticisme en forme de souhait de voir «les partis à la hauteur de cette échéance nationale, en proposant des programmes utiles et des candidates et des candidats compétents et crédibles.» La foi du chef de l'Etat, généreuse sans être celle d'un charbonnier algérien, est tout de même lucide. Lucide, le premier magistrat du pays l'est sur sa Justice qu'il met au défi d'être prête pour ce rendez-vous. C'est-à-dire motivée, déterminée à s'affranchir, une fois pour toute, de ses chaînes d'asservissement aux pouvoirs de l'ombre, aux coteries, aux chapelles d'argent et autres cercles d'influence du régime. C'est pour cela qu'il lui a confié la «supervision du processus électoral (qui) sera un véritable test de crédibilité (pour elle) et une opportunité pour renforcer son rôle vital dans la consécration de la démocratie.» Tout compte préélectoral fait, le chef de l'Etat n'a pas seulement parlé pour faire part de ses convictions, de ses croyances, de ses souhaits et même de ses rêves inachevés. Outre des certitudes, il a surtout donné des garanties pour que ces élections qu'il veut à nulles autres pareilles, soient probes et propres. L'équation ' Une Administration «totalement neutre», une Justice affranchie, courageuse et imbue de sa nouvelle mission de garant solide de la démocratie en chantier, des partis au diapason du rendez-vous et des observateurs médiatiques et internationaux en surnombre. L'engagement personnel porte également, en subliminaux pointillés, un testament intime : il n'y aura pas de quatrième «oû'hda», c'est-à-dire le quatrième mandat, le mandat de trop. Ce serait trop pour ses forces et surtout pour ses convictions de président du démocratiquement possible dans un pays où l'impossible politique est (presque) algérien. Allah lui en est témoin, les Algériens indulgents, aussi.N. K.
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Posté Le : 25/02/2012
Posté par : archives
Ecrit par : Noureddine Khelassi
Source : www.latribune-online.com