Algérie

Bouteflika - Benbella : Du coup d’Etat, au « tombeau » de la Mitidja, à l'hommage national



Bouteflika - Benbella : Du coup d’Etat, au « tombeau » de la Mitidja, à l'hommage national
Drapeaux en berne, programmes des chaînes de radios et de télévisions modifiés, hommages et recueillement sur la dépouille d’Ahmed Ben Bella exposée au Palais du peuple, le deuil national de huit jours décrété par le président Bouteflika entré en vigueur, l’Algérie vit à l’heure de la disparition d’Ahmed Ben Bella, 95 ans, homme au passé et à la personnalité controversés.
Le deuil a donc commencé jeudi par l'exposition de la dépouille d’Ahmed Ben Bella durant 24 heures au Palais du Peuple d'Alger, cette demeure ottomane des gouverneurs construite au XVIIIe siècle, pour un hommage de la population.
La télévision nationale a retransmis en fin de matinée le transfert vers le Palais du Peuple du cercueil de M. Ben Bella mort mercredi 11 avril à son domicile, à l’âge de 95 ans.
L'affliction de Bouteflika
Le cercueil, recouvert d'un drapeau vert, a été porté par six officiers supérieurs de l'armée algérienne, et accompagné par les deux filles adoptives du défunt, Mehdia et Noria, avant d'être chargé sur un véhicule.
Peu après le départ du corps, le président Bouteflika a quitté le domicile de Ben Bella, pour suivre le cortège. Au Palais du Peuple, il été le premier d'une série de personnalités et de militaires à se recueillir devant le cercueil, selon les images de la télévision.
Le président a même signé un registre de condoléances dans lequel il exprime son affliction. « Immense est ma douleur, indicible est ma peine et Dieu est témoin que je compatis au sombre chagrin de tous ceux qui lui sont chers en Algérie et de par le monde en cette pénible épreuve », écrit-il.

L'ennemi devenu intime
Depuis son arrivée au pouvoir en 1999, Abdelaziz Bouteflika s’est considérablement rapproché de celui contre lequel il avait comploté avant de participer activement au coup d’Etat qui a renversé Ahmed Ben Bella le 19 juin 1965.
Aussitôt déchu, celui-ci a été emprisonné dans le plus grand secret par le colonel Boumediene jusqu’en octobre 1980 date à laquelle il a été libéré par son successeur, Chadli Bendjedid.
Son régime carcéral, Ben Bella le qualifiait devant le journaliste Charles-Henri Fabrod de « tombeau » qui aurait pu l'amener à la démence. Ce régime qui obligeait ses geôliers à fouiller sa mère qui lui rendait visite dans cette prison de la Mitidja, une fouille qui allait jusqu’à défaire les nattes de la vieille dame.
Un calvaire qui aura duré presque 15 ans.
Comme s’il devait expier un péché ou réparer un tort irréparable, Bouteflika aura multiplié les égards à Ahmed Ben Bella au cours de ces 10 dernières années allant même jusqu’à prendre en charge ses soins à l’étranger, à financer l’hébergement du couple Ben Bella à l’hôtel Crillon à Paris, à lui accorder une villa à Alger, et à assister aux obsèques de la femme de Ben Bella, décédée en mars 2010.
Remords
Ce serait donc ces remords qui expliqueraient en partie ce deuil imposé par Bouteflika et ces funérailles nationales organisées vendredi avant l’enterrement au carré des Martyrs du cimetière d’El Alia.
Les médias publics ne seront pas en reste dans ces hommages quelque peu surfaits. Tous les programmes télévisés et radiophoniques sont consacrés à Ben Bella.
Des émissions spéciales et des plateaux sont organisés par la télévision et la radio, qui diffusent notamment des documents d’archives en relation avec la vie du défunt Ben Bella, alors que des témoignages de personnalités nationales, de moudjahidine et de citoyens seront recueillis pour lui rendre hommage, a précisé l’agence officielle.
« Nos équipes sont mobilisées à travers tout le territoire national pour marquer la circonstance du décès de Ben Bella, et ce, durant les jours de deuil national », a indiqué à l’APS, le directeur de l’information à la télévision nationale, Lotfi Chriet.
Les médias mettent le paquet
Ce dernier ajoutait que les obsèques seront retransmises en direct à destination de vingt villes françaises, captant les programmes de radios communautaires.
Ces effusions d’hommages contrastent autant avec la personnalité controversée d’Ahmed Ben Bella qu’avec la place qu’il aura occupée dans l’Algérie officielle depuis sa destitution en juin 1965.
C’est qu’en 1965 et 1980, le nom d’Ahmed Ben Bella a été tout simplement rayé de l’existence. Détenu dans le secret, il n’a jamais été jugé par la justice de ceux qui l’avaient renversé, en particulier le colonel Boumediene et son ministre des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika.
Durant cette période de détention aussi secrète qu’arbitraire, le nom de Ben Bella ne pouvait être prononcé par ses compatriotes et certains ignoraient jusqu’à son existence.
Son rôle dans le mouvement national et durant la guerre d’indépendance ? Passé sous silence dans les manuels scolaires et dans la littérature officielle.
Un homme, une vie entre parenthèses
Le régime de Boumediene a mis entre parenthèses autant l’existence officielle d’Ahmed Ben Bella que la vie même de son célèbre prisonnier.
Libéré par Chadli en octobre 1980, Ben Bella ne sera pas pour autant réhabilité par l’Algérie officielle.
Exilé en Suisse, il deviendra opposant notamment en se rapprochant en 1985 de son ex-ennemi juré Hocine Ait Ahmed avec lequel il appellera à l’instauration d’un régime démocratique en Algérie. Ce qui provoquera la colère du pouvoir algérien.
Après dix ans d’exil plutôt doré, Ahmed Ben Bella tentera un retour au pays en 1990, mais lui qui croyait être reçu comme le Messie, finit par se fondre dans un paysage politique occupé par une soixantaine de partis.
Trop peu pour cet homme qui se croyait voué à un destin exceptionnel.
Trop peu pour Ben Bella
Revenu de ses ambitions politiques en Algérie, il se consacre aux questions internationales. Entre temps, il parle. Ou plutôt il flingue tout feu tout flamme.
Régulièrement sollicité par les médias nationaux et étrangers –notamment Al Jazeera-, pour témoigner sur le mouvement national algérien, Ahmed Ben Bella se donnera toujours le beau rôle, dézinguera à tout va ses ex-compagnons de lutte et irritera les Algériens en insistant souvent sur ses origines et sa nationalité marocaines.
Dans un ouvrage publié récemment par le fils de Abane Ramdane, Ben Bella fera montre tant d’une grande franchise que de ses étendus talents de persifleur.
Ali Kafi ? Un flambeur qui ne dessaoule jamais. Mohamed Boussouf ? Le Beria de la révolution, un criminel assoiffé de sang. Et Lakhdar Bentobal ? Un « rien » qui s’est fabriqué une légende sur le dos de cette révolution.
Sandouq Attadamoun
Contrairement à Mohamed Boudiaf qu’il fera emprisonner dans le sud avant de le condamner à mort en 1964, la personnalité d’Ahmed Ben Bella n’a jamais fait l’unanimité chez les Algériens.
Il aura été ce dirigeant qui a d’abord tué la démocratie et le multipartisme en décrétant le régime du parti unique du FLN. Il aura été celui qui a mis l’Algérie sous la botte de Nasser l’Egyptien et de ses services secrets.
Les Algériens lui rappellent aussi son rôle dans l’exécution du colonel Chabani en septembre 1964 ou encore ces fameux Sandouq Ettadamoun, le fond de solidarité constitué d'or, d'argent, de bijoux et de l’épargne des Algériens dont on ignore encore aujourd’hui la destination finale.
C’est donc pour honorer ce chef d’Etat au parcours postindépendance controversé, cet homme emmuré vivant par Boumediene pendant 15 ans, cet ex-président devenu opposant, cet opposant devenu ami de son vieil ennemi Bouteflika, ce révolutionnaire oublié des manuels scolaires, que Bouteflika impose un deuil national de 8 jours et des funérailles nationales.




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