Boussayar : Sursaut juvénile

Pendant que la cité de Sidi Saïd et ses environs entamaient dans un indécent désordre la course à une révision constitutionnelle, les lycées se remettaient péniblement de la grève du CNAPEST. Pourtant, cette frénésie qui s?est emparée de la classe politique et de son appendice, la société civile, ne parvenait pas à détourner la population des ses difficultés existentielles. Comme s?ils étaient parvenus à un modus vivendi, élus et citoyens se tournaient désespérément le dos. Les scores aux dernières élections avaient définitivement scellé ce divorce que même les escapades mortelles des harraga ne parvenaient plus à cacher. Pendant que la majorité s?éloignait à grandes résolutions de la vie publique, la minorité de parvenus s?isolait davantage dans sa tour d?ivoire. Puis, soudain, comme l?éclair, un violent courant de contestation s?empara des lycéens que tout le monde avait oubliés. Groggy par un programme indigeste, filles et garçons rasaient les murs pour se rendre en classe. La surcharge en cours était tellement insupportable qu?elle était censée les dispenser de toute réflexion. Pris pour des bêtes de somme, ces enfants qui étaient programmés pour ne jamais quitter leurs langes, parvenaient à surprendre leurs aînés. Par leur incroyable capacité de mobilisation, leur insoupçonnable intelligence, leur redoutable solidarité, leur infaillible instinct grégaire et leur sublime ténacité, ces chérubins que l?on croyait juste capables de fournir de la chair à kamikaze ou de la potée pour requins, auront réussi à déjouer toutes les bassesses et venir s?approprier les espaces de la contestation que la classe politique désuète avait lâchement abandonnés. En s?emparant de la rue avec autant d?audace, les lycéens, à leur tête des jeunes filles en jean et autres bijoux de fantaisie, auront, sans aucune contestation possible, réconcilié le pays avec ses forces vives. Même si la mobilisation fut laborieuse, la contestation est bien réelle. Pour ce pays que l?on croyait définitivement soumis, cette révolte juvénile aura rappelé tout le monde à l?ordre. Une divine surprise avec laquelle il faudra compter. Car, ce sursaut d?orgueil est tout sauf un chahut de gamins.