Première femme «foreuse» en Afrique et dans le monde arabe Bouregaa Safia, un nom qui marquera sans nul doute pour la postérité les annales du monde du travail féminin en Algérie. Cette jeune femme est en effet la première femme en Afrique et dans le monde arabe à exercer le métier de « foreuse « sur les chantiers de pétrole et de gaz, un domaine réservé jusque-là exclusivement aux hommes. Ancienne correspondante de la presse arabophone à Sidi Bel-Abbès, ingé-nieur d’état en génie civil de formation, rien ne prédestinait cette jeune universitaire, troisième d’une fratrie de six enfants, à se convertir un jour en «foreuse» sur les chantiers pétrolifères, après avoir suivi une formation de deux années à l’IAP de Boumerdès, dans la spécialité «Under-Balanced driiling» (UBD) devant l’orienter logiquement vers un travail de conception de méthodes dans l’un des bureaux climatisés de son organisme employeur. En poste depuis mars 2006 sur le TP 196, un appareil de forage de l’entreprise nationale des travaux pétroliers (ENTP ), posté actuellement à Hassi El Gassi au Sud de Hassi Messaoud, la jeune Safia a «tapé à la masse et manipulé la clé de frappe», été comme hiver, de jour comme de nuit, à cadence continue, durant même le mois sacré du ramadan, forçant ainsi le respect de tous ses collègues, ces hommes robustes et austères qui ont fini par reconnaître en elle cette qualité rare de femme courage au caractère bien trempé. De passage à la Maison de la presse de Sidi Bel-Abbès, notre ancienne consœur s’est prêtée aimablement aux questions de notre collaborateur. La voix de l’Oranie: Safia la journaliste qui choisit le métier de foreuse... Un choix ou un concours de circonstances? Vos anciens collègues n’en reviennent toujours pas. Bouregaa Safia: Certes, je vous l’accorde. Même ma famille ne s’attendait pas à une telle bifurcation dans mon parcours professionnel. Après la notification de mon affectation à Hassi Messaoud, mes parents étaient absolument convaincus que j’allais travailler dans un bureau de l’entreprise. Je leur ai caché la vérité jusqu’à ce qu’ils le sachent par l’intermédiaire d’un article paru dans un bulletin de l’ENTP. Pour eux, c’était comme si on leur avait annoncé une catastrophe. Le problème s’est compliqué encore pour moi, parce que, à la même période, un terrible accident est survenu sur l’un des sites de pompage qui a causé beaucoup de dégâts. Il n’empêche qu’ils partagent avec moi cette fierté d’être la première femme à investir ce métier de foreur réservé traditionnellement aux hommes. - En rejoignant votre poste d’affectation, les débuts de votre nouvelle carrière ne semblent pas avoir été si simples. Comment avez-vous fait pour forcer le respect de vos collègues foreurs réputés durs d’approche? - Après une année de travail passée sur les chantiers de forage, je me rends compte effectivement aujourd’hui que la partie n’a pas été du tout facile pour moi. Pas seulement avec mes collègues de l’unité qui ont fini, tout de même, par se rendre à l’évidence, mais aussi avec les représentants de certaines compagnies pétrolières étrangères de passage à notre station de Hassi El Gassi qui n’ont pas caché leur étonnement, voire même leur incrédulité, de voir une femme manier avec aisance tous types de matériels de forage et de levage et accomplir presque le même effort que celui fait par ces gros bras de foreurs. Dieu merci, la situation s’est normalisée depuis sur le site aussi bien avec mes collègues de travail qu’avec nos partenaires extérieurs. Mais il faut reconnaître que le collectif dans son ensemble, collègues et chefs hiérarchiques, m’a été d’un grand soutien pour résister et m’imposer. - En somme, c’est par la vertu de l’effort, de la volonté et du travail bien fait que vous vous êtes imposée? - C’est le cas de tous les milieux professionnels sans distinction, qu’il s’agisse d’une activité manuelle ou intellectuelle. Il suffit de s’y mettre sérieusement et avec abnégation dans l’accomplissement de la tâche qui vous incombe. Quand vos collègues sont persuadés que vous maîtrisez à la perfection votre sujet et faites preuve d’une grande résistance aux dures conditions de travail sur les chantiers de pétrole, soyez sûr qu’ils finiront, un jour ou l’autre, par reconnaître vos capacités et vous accepter comme un chef. Ce fut le cas pour moi. Surtout quand vous êtes appelé à rejoindre votre poste à minuit, rester debout pendant douze heures, sans arrêt, et veiller à ce que l’appareil de forage soit maintenu continuellement en marche avec le pétrole qui ne doit jamais cesser de circuler à l’intérieur des conduites... Vous conviendrez avec moi que l’affaire est loin d’être aussi simple, de surcroît pour une femme qui n’a pas droit à l’erreur quand il s’agit de gérer des situations réelles de danger en cas d’irruption de pétrole ou de gaz sur les stations de forage. Lors des accidents, l’on accorde toujours des circonstances atténuantes aux hommes mais pas à la femme... C’est pourquoi, le jour de mon arrivée sur chantier, nombre de mes collègues foreurs se sont montrés persuadés au départ qu’une femme ne pouvait jamais résister comme eux à des conditions de travail aussi pénibles, et, surtout la nuit, en plein désert, dans un groupe composé essentiellement d’hommes. Ma mise à l’épreuve par l’équipe et mes chefs hiérarchiques directs a été concluante après avoir prouvé à tout le monde, qu’indépendamment de son sexe, tout être humain doué d’intelligence, théoriquement et pratiquement bien formé dans sa spécialité, est en mesure de relever tous les défis. - Faut-il dire, à votre arrivée, que vos collègues ont manifesté une certaine forme d’hostilité à votre égard? - Il faut d’abord comprendre ces hommes-là. Pour le commun des mortels, vous en conviendrez, le milieu saharien est déjà hostile. Ajoutez à la rigueur du climat et à l’isolement d’un site dans l’immensité désertique, le rythme de travail imposé aux foreurs, la nature spécifique des instruments, des outils et des équipements qu’ils doivent manipuler parfois à la force des bras, quand bien même des progrès ont été accomplis ces dernières années grâce à la technologie pour réduire de la pénibilité du travail... Tous ces facteurs réunis font que vous avez en face de vous une catégorie d’hommes assez durs d’approche au premier abord. Et, du jour au lendemain, ils voient une femme d’apparence fragile, à la voix fluette, qui débarque chez eux sans crier gare et qui, plus est, est appelée à faire le même boulot qu’eux pendant des jours et des mois et finir au bout de l’aventure par les diriger sur le chantier, ayant été récemment promue au poste d’assistant maître-sondeur. Il y a de quoi écorcher leur sensibilité d’hommes viriles forgés dans le fer et le sable... Mais, avec le temps, les choses ont évolué positivement entre nous, surtout dans nos rapports de travail quotidiens. On ne me voit plus comme une simple femme mais plutôt comme une collègue de travail à part entière, avec en plus cet indissociable respect que savent rendre seuls les enfants de grande tente. - En cette journée du 8 mars, quel est votre vœu le plus cher en tant que jeune cadre de la société SNTP? - Je souhaite que l’entreprise mère Sonatrach se penche beaucoup plus sur le volet formation des jeunes ingénieurs affectés au Sud (stations de forage et services déconcentrés) et qui arrivent, en termes de maîtrise des nouvelles technologies de forage et de production, à soutenir la comparaison avec les personnels techniques des sociétés pétrolières étrangères en activité. A mon humble avis, il faut instaurer une certaine équité dans les procédures d’accès aux programmes de formation à l’étranger qui ne profitent aujourd’hui qu’à des catégories précises de personnels sans lien avec la réalité du travail sur les champs pétrolifères et gaziers.
Posté Le : 08/03/2007
Posté par : sofiane
Source : www.voix-oranie.com