Algérie

Bouira, lecture pour l’été. Laldja Bougheded : Un cri d’amour



Autant qu’une poésie peut exprimer quelque chose et revêtir par là un caractère narratif, celle de Laldja Bougheded, née aux Ouadhias, dans la commune de Aït Laâziz, publiée aux éditions El Amel (Tizi Ouzou), sous le titre Un cri d’amour, met en scène un homme et une femme dans une confrontation qui n’est pas sans beauté ni grandeur.
En effet, dans un développement cornélien, l’auteure (il nous faut sacrifier comme tout le monde à la mode féminine en matière de mots les plus réfractaires au genre) fait dialoguer l’homme et la femme en mille vers ! Sur un fond plein de relief, de verdure et de fleurs, la jeune artiste compte deux personnages de sexe opposé qui s’affrontent en des vers admirables, aux accents parfois tragiques : l’homme drapé dans sa force et son orgueil est plein de préjugés à l’égard de la femme, qui dans la fragilité de sa condition, paraît vaine et pitoyable. Mais ce n’est là qu’apparence et bientôt l’homme va déchanter, car « vaste comme la nuit et comme la clarté » (pour parler comme Baudelaire, qui lui parle de sons, de couleurs et de parfums dans sa fameuse correspondance), la femme déploie son génie et son expérience de la vie qui lui livreront, après un beau combat, ce roc pétri d’orgueil et de force. C’est l’histoire de Samson et Dalila que semble en fait reprendre la poétesse des montagnes du Djurdjura. Mais c’est aussi Le sang d’Atys de Mauriac qu’elle doit ignorer puisqu’elle ne maîtrise que l’arabe et le tamazigh dans lequel elle compose. Atys lui aussi dialogue avec Cybelle, la déesse de la Terre. Et leur désespoir vient de ce que cette « Reine à l’immense front » ne peut espérer être prise dans… « l’anneau de deux bras ». En termes prosaïques : Cybelle est trop grande pour Atys dont les bras trop courts ne peuvent étreindre la déesse de la Terre. Mais chez notre poétesse, si la femme est une déesse et si l’homme, dans son désir fou et insatiable, lui voue un culte ardent, cette dernière sait quand il faut quitter son empyrée pour se mettre au niveau de son adorateur. En quittant son piédestal, la femme de Bougheded gagne à tous les coups et c’est finalement l’homme tout entier qu’elle ramène chez elle comme un trophée dans son combat contre lui. Le modeste ouvrage, dont le tirage a été limité à mille exemplaires, n’est pas passé cependant inaperçu puisque 900 ont été vendus depuis 2005. On peut admirer la richesse et la pureté de la langue (il est écrit en tamazigh) ainsi que la prodigieuse facilité avec laquelle la rime vient se placer naturellement à la fin de chaque vers. Une traduction libre en français donne ceci par exemple : La femme
La vie est trop futile
Le bonheur s’en va
Il n’a plus de place parmi nous, etc.
L’homme (dans une autre tirade)
Vers toi mon regard s’est tourné
Vers toi mon chemin m’a mené
Tes yeux ont le goût du fruit de l’olivier.
La même année, l’auteure de Un cri d’amour récidive avec les larmes et les lettres, un chant qui, après les cris déchirants de l’amour du premier poème, apporte les larmes silencieuses de l’abandon. En effet, de même que dans Le sang d’Atys, Cybelle se voit préférée « la nymphe Sangaris qu’en un songe il accueille », de même la femme se sent trahie par une rivale implacable, dans les larmes et les lettres. Pour cet été propice à toute sorte de projets de lecture, grâce à la fraîcheur exceptionnelle qui le caractérise, voilà un livre de poésie qui se recommande de lui-même par le mouvement ample du récit qui le tend de bout en bout comme un arc et par la provision que l’on peut faire d’images colorées et émouvantes qui, comme des lotus, poussent ça et là dans cette eau limpide du récit, mais qui n’est jamais tranquille. On pourra, si on le désire, par curiosité, et toutes proportions gardées, lire Le sang d’Atys, juste pour voir par quels bouts l’un et l’autre poèmes se touchent. On aura alors fait vraiment œuvre de lecture comme certains feraient œuvre pie.


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