Algérie


Bouira
A une trentaine de kilomètres de là où Hervé Gourdel a été enlevé, dans la daïra de M'chedallah, les habitants s'inquiètent du «retour de l'activité terroriste», malgré la présence des gendarmes et des militaires.«C'est nous qui avons tué Hervé Gourdel.» «Ne vous inquiétez pas, on ne s'en prend pas aux Algériens.» Depuis un mois, rien ne va plus dans la daïra M'chedallah, à une quarantaine de kilomètres à l'est de Bouira, où, d'après les habitants que nous avons rencontrés, les terroristes organisent des faux barrages et commettent des attentats. Dans cette plaine traversée par l'oued Sahel et cernée par le Djurdjura au nord et les massifs montagneux de Tamellaht de la commune d'Ahnif au sud, trois actes terroristes ont été commis en l'espace d'un mois.Le premier est survenu début novembre quand une escorte de la Gendarmerie nationale, composée de six véhicules, chargée de convoyer un groupe de travailleurs chinois et turcs intervenant sur le chantier de la double voie ferroviaire électrifiée (Thénia-Bordj Bou Arréridj), a été attaquée à Tiksraï à Ahnif. Deux jours plus tard, un 4x4 a été volé puis retrouvé le lendemain pas loin de la région. Deux semaines plus tard, le même groupe, en tenue afghane, a dressé un faux barrage sur la RN98, reliant la localité d'Ath Yekhlef au chef-lieu communal de M'chedallah, délestant un habitant de sa Renault Clio blanche.La voiture a été retrouvée quelques jours plus tard à Tikjda. Cette semaine encore, un autre faux barrage a été dressé sur le même axe routier à Assif Assemadh à quelques kilomètres d'Ath Yekhlef. «La menace est réelle. Les terroristes sont omniprésents, affirme Lahlou Aliouat, coordinateur du mouvement des gardes communaux libres et natif de la région de M'chedallah, rencontré en compagnie d'une centaine de membres du mouvement, à M'chedallah. Ici, ils circulent en plein jour et discutent librement avec les villageois. L'Etat en est le premier responsable car il a échoué dans sa politique de réconciliation nationale qui a blanchi les terroristes de toute responsabilité sans qu'aucun ne soit jugé pour ses actes qui ont causé la mort de milliers d'Algériens.C'est aussi la conséquence directe de la dissolution anarchique et précipitée du corps des gardes communaux après le mouvement de protestation de 2012. C'est nous qui assurions la sécurité de tous les villages, abandonnés aujourd'hui. L'Etat est dans l'obligation d'élaborer un plan sécuritaire en urgence avant que la situation n'empire !» D'après les quelques habitants pris au piège dans les deux faux barrages, ces terroristes ne se sont jamais montrés agressifs. «Ils font surtout de la propagande pour leur groupe et leurs actes et cherchent des moyens de transport et de l'argent.» Si la situation inquiète les habitants, le danger est ressenti plus vivement chez les gardes communaux et les patriotes désarmés depuis fin 2012.TerrifiésCertains d'entre eux, qui ont accepté de témoigner, ont été unanimes pour assimiler la situation actuelle à celle des années 1994 au début de l'avènement du terrorisme dans leur région. «La stratégie tracée par les terroristes est efficace puisqu'ils déclarent qu'ils ne s'attaquent pas aux habitants, ce qui est le cas jusqu'à aujourd'hui. Ils répètent à chaque fois qu'ils sont contre le pouvoir et combattent pour l'instauration d'un Etat islamique en Algérie. Tous les gens qui ont été interceptés lors de faux barrages m'ont affirmé que les terroristes leur avaient conseillés de circuler librement sans les craindre», affirme un patriote natif de la région, rencontré à Ath Yekhlef. Jusque-là, aucune victime n'est à déplorer, mais les habitants des villages craignent que les terroristes ne tuent à nouveau. «Je ne suis pas soumis et je refuse de me voir imposer un couvre-feu à 18h, chez moi, dans mon propre village !» s'indigne un trentenaire d'Ath Yekhlef.Son ami, agriculteur, avoue changer certaines de ses habitudes. «Je sais que les terroristes sont présents près de mon champ, mais j'y vais quand même car je vis de ma récolte. La situation n'est plus la même. Elle est tendue et ça nous préoccupe vraiment.» Dans le périmètre, seule la ville de M'chedallah dispose de commerces et d'administrations. Mais le seul cinéma existant est fermé. Un sexagénaire, originaire d'Ibelbaren à un kilomètre de là, se moque des réalisations de l'Etat. Pour lui, «seuls quelques nouveaux bâtiments ont fleuri depuis l'indépendance».Au sujet du terrorisme, le sexagénaire se dit «intrigué» par ces terroristes qui disent adhérer à l'organisation Etat islamique, mais se comportent différemment avec les gens de sa région. «Les terroristes ont discuté pendant plus d'une demi-heure avec deux jeunes qui buvaient du vin. Je me demande, aujourd'hui, comment ils les ont épargnés», s'interroge-t-il. Dans cette région montagneuse de six communes ? M'chedallah, Ahnif, Chorfa, Ath Mansour, Saharidj et Aghbalou ?, dominée par les champs d'oliviers et l'agriculture, les habitants sont terrifiés. Ils ne comprennent pas la déterioration de la situation qu'ils qualifient de «retour au point zéro». Entre le centre de M'chedallah et Ibelbaren, dans un petit quartier connu sous le nom de Aghazi, quelques universitaires ont débattu, au cours de cette semaine, des questions du choix des terroristes de leur région comme fief et de leur stratégie ! Les arguments étaient différents mais tous se rejoignent.Vin«Si les terroristes sont à l'aise à M'chedallah, c'est qu'ils comptent deux hommes de notre région. Il sera facile pour eux de faire leur propagande et se déplacer entre les différents villages», argumente le premier. «Ils ne peuvent pas s'attaquer aux citoyens sinon ces derniers deviendront leurs ennemis. Ils veulent commencer par tisser des liens avant de montrer leur vrai visage, celui de la terreur, comme lors de la décennie noire. Je pense que le pire est à venir si l'Etat n'intervient pas rapidement. La situation peut échapper à leur contrôle car leur nombre peut augmenter d'un jour à un autre», alerte le deuxième. Un patriote déplore la relation entre les villageois et les institutions militaires qu'il décrit de «faibles». «Il y a bien des agriculteurs, des commerçants et des foyers, qui sont continuellement dérangés par ce groupe terroriste. Mais ils ne les dénoncent pas de peur des représailles. Les liens tissés entre l'armée et la population pendant la lutte antiterroriste sont désormais détruits. Il faut le reconstruire», propose-t-il.Pour Lahlou Aliouat, il sera difficile de faire face aujourd'hui à cette nouvelle menace. «Cette situation arrange le pouvoir qui continue à ?uvrer pour empêcher le peuple de penser au changement du système. Je suis moi-même surpris de voir ce retour facile et inattendu de ce groupe de terroristes. Au lieu de penser au changement de pouvoir, nous allons, encore une fois, réfléchir à comment s'autodéfendre et préserver la vie de nos proches et de nos concitoyens, regrette-t-il. La carte sécuritaire a été détruite après la dissolution de la garde communale. Même le réservoir des renseignements a été affaibli car aujourd'hui le citoyen ne se sent plus en sécurité.» A M'chedallah, seize détachements de la garde communale ont été dissous sans compter les dizaines de postes avancés et les postes d'observation démantelés. Aujourd'hui, la région compte six détachements militaires répartis «de façon anarchique», selon Lahlou Aliouat car, pour lui, ils dépendent de l'ancienne carte sécuritaire qui ne comporte plus de gardes communaux.Alors que trois policiers ont été assassinés en octobre dernier à Zemmoura à l'ouest de Bordj Bou Arréridj par ce même groupe, à en croire des sources proches du dossier, l'ANP n'a, quant à elle, pu éliminer dans le même mois, qu'un seul terroriste. D'après le ministre de la Justice, Tayeb Louh, il s'agirait de l'un des ravisseurs d'Hervé Gourdel. Les habitants rencontrés à M'chedallah revendiquent un plan sécuritaire d'urgence et affirment qu'ils ne baisseront pas les bras face à la menace terroriste. Le coordinateur du mouvement des gardes communaux libres propose une solution radicale et appelle au changement du système. «Le terrorisme joue le jeu du pouvoir qui reste conciliant par rapport à la question de l'islamisme en Algérie. La solution est dans le changement du système, dans la séparation du politique et du religieux et dans l'instauration d'un Etat citoyen et démocratique pour une Algérie progressiste et meilleure.»




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