Algérie

Bouguirat par Mme Marcelle Martinez-Orcel



Par un décret fait à Paris le 16 avril 1862, " Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français " décide :

"Il est créé dans la plaine de Bouguirat, province d’Oran, sur la route de Mostaganem à Relizane, un centre de population de 48 feux qui prendra le nom de Bouguirat. Un territoire agricole de deux mille quatre cent dix-huit hectares, soixante dix-huit ares, est affecté à ce centre, conformément au plan ci-annexé".

C’est là, l’acte de naissance du village de Bouguirat. A partir de cette date, le nouveau village va prendre place, corps et vie au fil des années.

Suivons le début de sa jeune existence à travers les événements, petits ou grands, qui jalonnent ses quinze premières années. Que lui apporte chacune d’elles ?

Le village est implanté sur le territoire qui lui est attribué par le décret cité précédemment. Mais où exactement ?

On envisage tout d’abord de le créer près d’un caravansérail construit au bord de la voie Mostaganem-Relizane existant alors. Mais, celle-ci longeant un marais insalubre, le nouveau centre est finalement édifié 2 Km plus au nord, sur une nouvelle route reliant les deux villes, à 28 Km de la première et à 31 Km de la seconde.

Le territoire agricole qui entoure l’agglomération est divisé en 126 "lots ruraux". 115 d’entre eux sont attribués aux propriétaires des lots à bâtir afin d’être exploités comme terres agricoles. 9 sont réservés à différentes fins : " bivouac, cimetière, instituteur, cure, réserve communale, communal du marais, places publiques, mosquée de Sidi Charef, mosquée d’Abdallah ". Au total : 409 ha 31 a. Le lot n° 116 est " donné en concession à une compagnie, la compagnie Malavoix, afin de faciliter les essais de cultures cotonnière étendue ".

Le lot n° 119 devient, lui, "réserve domaniale". Dépend aussi de BOUGUIRAT, un hameau, le hameau d’Aïn-Madar, situé environ à 6 km au nord-est du bourg. C’est un coin vert et fertile grâce à un ravin qui lui apporte à longueur d’année l’eau de nombreuses sources situées dans des montagnes sablonneuses et boisées qui le surplombent. Y est installé une ferme de 128 ha en amont de laquelle un moulin à eau construit par M. Winkel avant même la création de Bouguirat, moud le grain des villages environnants et même des villes plus lointaines comme : Oran, Relizane, Orléansville, etc…’

Aïn-Madar est relié à Bouguirat par un chemin vicinal qui se prolonge jusqu’à Aïn-Tédélès et Souk-el-Mitou (Bellevue). Vers le sud, existe un deuxième chemin vicinal, celui de Bouguirat à Perrégaux qui passe par Romry (Nouvion) et la gare de l’Oued Malah.

Dès l’annonce de la création du village, de nombreux candidats à la propriété se présentent. Pourtant les concessions proposées ne sont pas gratuites. Chaque colon doit s’engager à bâtir à ses frais une construction en rapport avec la valeur des terres qui lui sont concédées, et ce, dans un temps donné sous peine d’être évincé. Il est en outre imposé de " 1 F par ha de lots ruraux et de 0,50 c par are de lots à bâtir ".

Ce qui n’empêche pas la demande d’être grande ? Devant son importance, l’administration fait un choix. Elle établit trois listes ; celle des inadmissibles, celle des douteux, celle enfin des admissibles. Finalement, 48 noms sont retenus. Parmi eux : Heintzmann Michel, Blesson Jules, Tortet Jean, Marcel Pierre, Duffaux Hippolyte, Smidt Alexandre, Grignon Zéphir, Chabrat Jacques dont des descendants habitent encore Bouguirat un siècle après, en 1962.

Tous les concessionnaires choisis alors ne s’installent pas forcément dans le nouveau village. Certains revendent presque immédiatement leur concession. Ainsi les lots 25 et 28 sont vendus ’aux Dermy’ ; le 16, à Joseph Estève. D’autres ne se présentent pas du tout, par exemple, Olivier-Pierre Marutin concessionnaire du lot 22. Enfin, quelques-uns, dans un délai plus ou moins long, se fixent ailleurs : le propriétaire du lot n° 12 part à Blad-Touaria, celui du n° 25 bis à Aboukir. Quels qu’ils soient, tous ces nouveaux agriculteurs auront fort à faire et pour mettre en valeur des champs en friche " envahis par une forêt de jujubiers et de palmiers nains " qui servent de "refuge" à un grand nombre de chacals, gazelles et surtout à une infinité de moineaux " et pour payer à l’Etat " la rente des terres dont chaque concession est imposée’.

L’année 1863 commence, le 3 janvier exactement, par l’inauguration du nouveau centre "sous les auspices de M. le général Lapasset alors colonel d’état-major commandant la subdivision de Mostaganem". Alors, peu à peu, la vie démarre et s’organise dans cet embryon de village où n’existent ni mairie, ni école, ni église. " Le village de Bouguirat n’étant créé qu’avec ses seules ressources, l’Etat ne l’avait doté d’aucun bâtiment civil public ".

Chaque colon s’active à s’installer, à construire son toit, à s’entourer d’un jardin où il plante des arbres " de toutes espèces ", à défricher les terres de sa concession. Comme il faut assurer la nourriture de chaque famille, une décision commune est prise : la création d’un troupeau de porcs, bêtes qui ne demandent que peu de soins. Au début de l’été, un événement important par ses conséquences : la compagnie Malavoix est déchue de ses droits de propriété par le conseil des Affaires civiles de la division ; décision que le Gouvernement Général approuvera le 1er août. A la suite de quoi, les 400 ha du n° 116 et, dans la même foulée, les 644 ha 98 a 80 ca du n° 119 réservés, les premiers à la compagnie Malavoix, les seconds comme "réserve domaniale" sont "proposés pour être affectés à la colonisation".

On divise alors la première parcelle en 15 "lots de ferme" de 22 à 30 ha chacun et la deuxième en 24, d’une étendue analogue. Soit au total, 39 lots de ferme situés derrière le marais au sud du village qui viennent s’ajouter aux quelques domaines ruraux créés initialement. Et pourtant, peu de fermes se créeront, aussi bien immédiatement que plus tard. En 1877, quinze ans après la création du centre, 4 seulement "seront bâties" et 2 "seulement habitées".

A cela, deux raisons majeures : d’abord, l’insuffisance des terres concédées à une ferme, ensuite, la difficulté de s’y ravitailler en eau. Dans les lots de ferme, "il faut aller à 15 ou 20 mètres pour trouver l’eau ; encore est-elle saumâtre et en petite quantité".

Un problème que ne connaît pas le village lui-même car, autour de l’agglomération, existe, sous une couche de tuf blanc située à 50 cm de profondeur, une nappe d’eau " ne renfermant aucun sel pouvant lui donner un goût désagréable", "une vraie rivière souterraine". Si bien que " chaque maison a son puits dont la profondeur est en moyenne 4 m ", un puits dont " l’eau bonne et limpide cuit parfaitement les légumes ", qui est " fraîche sans être froide et l’hiver paraît tiède à l’air extérieur ".

L’opération "fermes" échouant, les lots leur revenant sont concédés " à des employés militaires et civils en activité ou en retraite ", habitant les villes ou même la France et qui ne viendront jamais visiter leur concession mais se contenteront de louer ou de faire louer leurs terres à des Arabes.

Ce qui influe sur la physionomie de l’agglomération elle-même. La population étant moins forte qu’on ne l’avait espéré, beaucoup de lots bis restent vacants. Ils seront alors concédés soit à des colons déjà propriétaires du lot mitoyen ouvrant côté route " ce qui leur constitue une propriété de 30 ares au lieu de 15 ares ", soit vendus dans le domaine à de nouveaux demandeurs.

En 1872 la plantation d’arbres de différentes espèces continue et se diversifie. Sont plantés à ce jour 2625 arbres fruitiers à feuilles caduques, 125 bananiers, orangers et citronniers ; 500 forestiers et d’agrément et 500 mûriers. Pourquoi tant de mûriers ? Quelques colons essaient d’élever des vers à soie. Ils y réussissent très bien. "La graine est belle et le ver d’une belle venue". Malheureusement, le manque d’acheteurs et l’insuffisance des plantations de mûriers les obligent à abandonner. Enfin 140 oliviers sont greffés. Le bétail a augmenté en nombre. 70 chevaux, 25 mulets, 130 bovins, 270 ovins, 83 caprins, 225 porcins sont recensés cette année-ci.

Construction de l’école et de la mairie en 1875, payée en partie par la commune, en partie grâce à des subventions de l’Etat. Jusque-là, comme aucun bâtiment public n’existait depuis sa création, la commune a dû elle-même suppléer à cette absence. Elle l’a fait en louant des locaux privés où s’installent les principaux services publics. Ce qui absorbe la plus grande partie de ses revenus.

D’après un rapport en date du 18 avril 1877 rédigé par M. Marcel, le propriétaire de la ferme du hameau d’Aïn-Madar et du "moulin à farine" mais surtout, le maire du village, le nouveau centre créé le 16 avril 1862 sur la route de Mostaganem à Relizane "a progressé d’une façon assez sensible". Sa population "en majeure partie travailleuse et énergique où il n’y a aucun ivrogne" a réussi malgré les grandes difficultés que lui procuraient "la nature du sol, l’insurrection, les épidémies, les sauterelles " à bâtir en peu de temps, un vrai village d’une soixantaine de maisons, avec une église, une mairie, une école, une école laïque gratuite où " l’instituteur qui est marié, a une subvention de la commune pour que sa femme ait soin des petits enfants et donne des leçons de couture aux jeunes filles ", et même, un médecin de colonisation, M. Colozi, qui réside à Aboukir mais qui vient chaque semaine, le jour du marché, visiter les malades ; un village vivant où règne " une certaine animation " qu’il doit au marché du mardi très fréquenté et à sa situation à mi-chemin entre deux villes dont il est le point-relais. Chaque jour, dix voitures publiques auxquelles s’ajoutent de nombreux véhicules de transport et aussi des voitures particulières, le traversent ou y font étape. un village d’avenir puisqu’il " est parvenu à surmonter tous les obstacles par l’énergie de ses habitants que rien n’a pu décourager " et qu’il n’a cessé de progresser de jour en jour.

La seconde guerre à peine finie, le village repart de l’avant. Il emploiera ses dernières années à parfaire son image et à rendre la vie plus facile et plus agréable à ses habitants. Un poste de médecin de colonisation ainsi qu’un dispensaire pour indigents sont créés. Le Docteur Geisen s’occupera des deux jusqu’au dernier jour. Une pharmacie, tenue par M. Petit, ouvre ses portes.

Une classe de plus est ouverte à l’école des filles. Une poste nouvelle et fonctionnelle est construite. La mairie voit sa façade restaurée ; les places publiques sont transformées en jardin et les vieux mûriers des boulevards -à cause de leur âge justement- sont remplacés par des orangers amers si odorants au moment de leur floraison. Un bois de peupliers est planté à la suite du marché et les collines avoisinantes du cimetière sont reboisées. Pour permettre à ses occupants de se ravitailler en eau sur place, un puits est creusé à l’intérieur du douar du cimetière tandis qu’à proximité de celui du marais, où l’eau est saumâtre, un puits d’eau douce est foré.

En 1962 et cent ans après, Bouguirat, avec ses maisons individuelles coquettes et fleuries, ses larges boulevards, ses arbres, ses abords bien entretenus, est un des villages les plus coquets de l’Oranie française.

Madame Marcelle Martinez-Orcel


bonjour madame, un grand merci, j'apprecie beaucoup votre lecture qui reflete l'amour,, la grace , la beaute, tout, ce qui est a dire du fond du coeur, je suis bouguiratienne, et mon pere fut caid , il a attribue a un arch, le nom "saf saf" , mme bekkar qui vous embrasse bien fort
bekkar kheira - artiste peintre autodidacte - rennes, Algérie

26/11/2014 - 223804

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