Alger - Boualem Sansal

Boualem Sansal, Ecrivain Dans une quête/perpétuelle, Le douloureux accouchement



Du Salon du livre africain d’Angers(*), l’écrivain confie ce qui le pousse à écrire. Ce faisant, il raconte ses rapports aux lecteurs, aux éditeurs, à la politique et au pays. Ses rêves de théâtre aussi et son dernier ouvrage resté « lettre morte » à Alger pour cause de censure.

Depuis quelques années, c’est la frénésie pour vous. Qu’est-ce qui vous fait courir ? Est-ce le temps qui passe, vite, très vite ? Ou vouloir laisser une trace ?

Vouloir laisser une trace, sûrement pas. Tu sais, je ne suis pas agité par cette idée. Le roman a une durée de vie très limitée. Mais un roman n’est même pas un produit jetable, passez moi l’expression, un kleenex ? Hélas, on constate de plus en plus que la durée d’un livre devient éphémère ! En moyenne, six mois après la publication d’un roman, on n’en parle plus beaucoup. On y pense comme s’il avait été écrit au siècle dernier. Aujourd’hui, on attend de la littérature de la nouveauté.

C’est-à-dire, de la nouveauté ?

Quand les gens abordent la littérature maghrébine de manière générale, ils s’intéressent à l’actualité. En fait, ils attendent des réponses et ainsi ils pensent avoir compris la situation dans un pays, en l’occurrence, l’Algérie. Ceci est un ressenti par rapport à un certain lectorat, pas de tous les lecteurs, bien entendu…

Vous pensez à un lectorat algérien ou français en disant cela ?

Je suis obligé de reconnaître que je ne suis pas lu en Algérie, à part les universitaires peut-être. Ainsi, j’ai peu de retour. En fait, il n’y a pas de possibilités de rencontres avec le public algérien en ce qui me concerne.

Est-ce que cette situation relève du fait que vous avez un éditeur français, en l’occurrence Gallimard ? Est-ce que le contact avec le public algérien aurait été plus facile si vous aviez un éditeur algérien ?

Si mes livres étaient édités en Algérie, ils seraient vendus à des prix plus abordables et auraient un public plus large. Et, à ce moment-là, j’aurai eu, et ce contact avec mon public algérien et un retour de leurs appréciations ou critiques. Il se trouve que je suis édité en France et mes romans sont importés en petite quantité, et surtout à un prix absolument très cher et, par conséquent, ils ne sont achetés que par un public restreint. Le problème est le suivant, je vais le dire de manière franche : Gallimard ne cède pas ses droits en français.

Justement, j’ai appris dernièrement par un éditeur algérien à Paris qu’un de vos romans sera édité en arabe en Algérie, c’est une bonne nouvelle…

Effectivement, il y a un projet de traduction de mon dernier roman, Harraga, en arabe dans le cadre de l’année de la culture arabe en Algérie en 2007. Ce projet qui a été proposé par un éditeur algérien, la Sédia, a finalement été refusé par le ministère de la culture qui est le maître d’œuvre de cette manifestation.

Mais je pensais à un autre éditeur, Lazhar Nahal de Aden Edition, et j’avais plutôt à l’esprit votre premier roman Le Serment des barbares…

Effectivement, il y a une traduction de mon premier roman faite par Mohamed Sari qui sera diffusée dans le monde arabe et en Algérie dans le cadre d’« Alger, capitale de la culture arabe » en 2007. Cet éditeur algérien est passé effectivement par un autre éditeur qui se trouve être Libanais pour la diffusion !

Ecrire, ce n’est pas anodin. Vouloir être publié, ce n’est pas un acte gratuit. Alors, d’où vient cette volonté d’écriture, ce désir d’écriture ?

Je ne sais pas si un écrivain serait capable de répondre à cette question. Ce sont des circonstances de la vie qui nous amènent à cela. Dans mon cas, c’est l’influence de mon ami Rachid Mimouni qui m’a poussé à écrire et c’est les conditions tragiques qui ont prévalu dans notre pays qui m’ont amené à écrire justement Le Serment des barbares. Voilà, je pense que quand on construit une maison, alors on l’habite et on vit avec.

Ainsi donc, ce sera une cohabitation ou plutôt un aménagement définitif, pour reprendre votre métaphore ?

Oui. Il me semble que c’est quelque chose qui va m’accompagner tout au long de ma vie. Encore faut-il trouver le moyen de me renouveler, ce qui, pour le moment, n’est pas très évident. A un moment, j’étais aussi tenté par le théâtre.

Alors, un théâtre en langue française ou un mélange arabe-algérien-français ?

Ce serait un théâtre populaire et non académique, ce serait donc un mélange d’arabe dialectal, de français et de berbère. J’avais fait une expérience : J’ai écrit une pièce radiophonique pour France Culture. J’ai trouvé l’expérience fabuleuse.

Il faudrait que la chaîne III reprenne ce créneau ! Vous êtes quand même habité par ce triptyque, comme nous tous, arabe algérien, français, berbère…

Absolument, ce sont les trois composantes de notre culture, c’est notre histoire !

Ecrire un premier roman, c’est facile et difficile à la fois. Alors, continuer à écrire, à publier, est-ce plus difficile ?

Oh oui ! Cela devient de plus en plus difficile. En effet, avec un premier roman, on est dans la naïveté. On sous-estime les difficultés et au fur et à mesure que l’on avance dans l’écriture, on découvre ses lacunes et on ne trouve personne pour vous aider à les combler. On se trouve dans une quête perpétuelle, on est dans le besoin de se renouveler, de trouver quelque chose d’original et cet accouchement devient de plus en plus douloureux.

Comment décidez-vous des thèmes sur lesquels vous voulez écrire une histoire ? Est-ce de la pure fiction ? Vous viennent-ils à partir d’un déclic ou après un long mûrissement ?

Sur ce plan, j’ai une certaine facilité car j’ai pris l’option de n’écrire que des histoires vraies, des histoires auxquelles j’ai été mêlé. La difficulté ne réside pas que sur le fait de trouver une histoire. La difficulté est dans : comment la raconter, comment trouver une structure ? Comment déceler un ton, trouver le style approprié…

Vous affirmez que vous n’avez pas de problèmes à trouver vos thèmes. Alors au niveau de l’esthétique de l’écriture, procédez-vous à des choix difficiles, ou est-ce l’inspiration qui vous guide ?

Les deux. Il y a autant de réflexion que de spontanéité dans la chose. Quand je commence, je vérifie si la mayonnaise a pris, si le côté spontané et le côté mûri se sont mariés ou pas. Et c’est vrai que c’est au bout du quatrième ou cinquième essai que je sais si cela a pris ou pas. Il m’est arrivé de commencer un roman, d’écrire une centaine de pages et si cela ne prend pas, je jette. Une fois que l’on a trouvé, il faut surmonter les appréhensions qui vont apparaître en cours de route. Par exemple, la peur de dire certaines choses, est-ce que je pourrai surmonter cela, l’écrire à la manière dont je le sentais et si je sens que je ne peux pas surmonter ce handicap, je change.

La littérature influence-t-elle la société d’après vous ? Quel est son rôle dans la société ? Voulez-vous faire passer des messages par le biais de la littérature ?

Passer des messages, non, pas vraiment. Mais je donne un point de vue, par le biais d’un personnage par exemple, mais je n’ai aucun message à faire passer. Mais quand même, la littérature peut être engagée, comme celle de Jean-Paul Sartre… On revient à la première question. Mes livres ne sont pas lus en Algérie, donc ils n’ont aucune influence, et les lecteurs étrangers, au delà de l’écriture, c’est peut-être l’aspect documentaire qui les intéresse. Ils trouvent dans mes livres des réponses à leurs questions.

L’Algérie intéresse tant ?

Moi, j’ai été très agréablement surpris de voir à quel point un peu partout dans le monde, y compris dans des pays qui n’ont aucune relation avec l’Algérie, par exemple la Finlande.

On va parler de Alger, poste restante qui se veut une sonnette d’alarme, un cri du cœur. Pourquoi à ce moment précis de votre carrière, décidez-vous d’écrire un pamphlet à la manière de J’accuse d’Emile Zola ?

Je ne sais pas. C’est peut-être le ras-le-bol, après des milliards de dégâts, des milliers de morts, un exode massif d’intellectuels algériens et de jeunes, on continue encore à ce jour avec les vieilles ficelles du FLN et du pouvoir qui ont précipité le pays dans la tragédie. Si dans mes romans je me suis interdit de donner des messages, en revanche, dans Alger, Poste restante, j’ai voulu donner ce message, celui même que Mohamed Benchicou a utilisé comme titre dans un article récent : « De grâce, réveillons nous. »

Pourquoi ce fossé entre l’intelligentsia démocrate algérienne et les politiques ?

Ils sont sur deux planètes totalement différentes. Les démocrates sont pour la liberté, ce sont des libres penseurs alors que les gouvernants ne semblent rêver que d’une chose, tromper et asservir.

La littérature et la politique, dit-on souvent, sont incompatibles. Personnellement je pense autrement, mais quel est votre point de vue finalement ?

Il est nécessaire que la littérature reste en opposition à la politique. Sinon on reste au temps de la SNED où la culture était entièrement asservie au pouvoir.

Pour vous, les maisons d’édition indépendantes seraient un élément de réponse et un début de solution…

Les maisons d’édition essaient de faire au mieux dans le champ qui leur est laissé ouvert.

Etes-vous prêt à faire une infidélité à Gallimard et publier un roman à Alger ?

Je suis sous contrat avec Gallimard où je compte de grands amis. Donc cela est inconcevable. Néanmoins, il est toujours concevable avec l’accord de mon éditeur de publier mes textes en Algérie.

Suite à tout ce que nous venons de dire, est-ce que vivre à Alger est difficile pour la création ?

J’écris sur l’Algérie, et j’ai besoin de vivre en Algérie pour continuer à écrire. Si un jour je décide de ne plus écrire sur l’Algérie, alors je pourrais envisager d’aller vivre ailleurs.

Mais cette Algérie vous obsède quand même, comme nous tous…

C’est mon pays.

(*) Le Salon du livre africain s’est déroulé à Angers, les 14 et 15 octobre. L’Algérie était représentée par des éditeurs et par l’invité d’honneur du salon, le romancier Boualem Sansal qui a notamment participé au débat : « A qui appartient la langue française ? », en présence de la romancière Calixthe Beyala.

BIO-EXPRESS

Né en 1949, Boualem Sansal vit à Alger. Après une longue carrière de gestionnaire dans le secteur public qu’il termine en tant que haut fonctionnaire au ministère de l’Industrie, son premier roman Le serment des barbares, publié en 1999 chez l’éditeur Gallimard, lui accorde une grande notoriété. L’originalité de son écriture foisonnante, les thèmes brûlants qu’il aborde lui valent un accueil favorable de la critique et un succès de librairie. Il suscite surtout en Algérie des débats passionnés entre admirateurs et contradicteurs. Une année après, il publie L’enfant fou de l’arbre creux puis, en 2003, Dis-moi le paradis, aux succès moins marqués. En 2005, c’est Harraga qui s’inspire de la réalité des jeunes qui tentent de rejoindre clandestinement l’Europe. Alors qu’il a habitué les lecteurs aux romans assez volumineux, il écrit en 2006 Alger, Poste restante, une sorte de court essai (64 pages) sous-titré : Lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes. L’ouvrage s’est vu refuser le visa d’importation et de diffusion délivré par la direction du livre du ministère de la Culture, ce qui équivaut à une censure (El Watan du 6 juin 2006). Boualem Sansal s’est toujours démarqué de la politique et continue à le faire, se définissant avant tout comme un écrivain.




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