Algérie

Boualem Aliouat, professeur d'économie à l'université de Nice : «Le partenariat public-privé, c'est cela l'avenir de l'Algérie»



Le secteur privé algérien continue de faire face à beaucoup de réticences de la part de l'administration, note Boualem Aliouet, professeur d'économie à l'université de Nice et directeur de recherche au CNRS (France). La «peur de perdre le contrôle» doit disparaître. Le pouvoir économique détenu par le privé n'est pas pris au pouvoir politique. Pour lui, l'avenir de l'Algérie est clairement dans un partenariat public-privé.
Pour quel type de gouvernance économique a opté l'Algérie au cours de ces quinze dernières années '
Du point de vue économique, il y a une gouvernance plus ou moins partagée mais relativement centralisée. Cela pour des raisons historiques avant tout. Il est important de signaler que l'Algérie est dotée d'un régime présidentiel relativement affirmé avec un schéma parlementaire un peu moins prononcé. Ce qui fait que globalement l'injonction présidentielle est fondamentale dans l'administration économique qui reste très présente. En dessous, on a un gouvernement qui est en harmonie avec le pouvoir présidentiel.
Pourquoi, selon vous, l'Algérie n'a pas réussi jusqu'à ce jour à faire émerger un secteur privé fort… '
Les raisons sont encore une fois historiques. En 1962, on hérite d'une situation particulière liée à la situation coloniale qui va faire de l'Algérie une économie au service de l'économie française. A cette époque, entre 6 et 7% de la population active était dédiée à des formes primaires d'industrie. Le reste de la population active était essentiellement rurale. A l'indépendance, on avait donc des entreprises faibles avec une capacité de ressources humaines très carencée. C'est ce qui a conduit ensuite à un régime d'autogestion car on a financé d'une manière syndicale des salariés qui sont incapables de reprendre leur entreprise. C'était un véritable fiasco économique, suivi de « l'industrie industrialisante» qui a achevé ce processus de mutation économique aux résultats très discutables. Le problème de l'Algérie dès le départ est qu'elle n'a pas de ressources humaines qualifiées pour reprendre les entreprises publiques. Cela malgré les politiques incitatives qui vont aider le privé, au-delà des PME nées dans le giron de grandes industries publiques. Au départ, nous avions un privé excessivement faible, aujourd'hui il devient émergent. Mais on est au balbutiement du développement du privé. C'est à peu près l'équivalent des années 1940 et 1950 aux Etats-Unis. Tout est à faire. D'où l'importance de l'administration et des instances gouvernementales dans ce processus de mutations économiques. Il faut libérer les initiatives et aider d'une manière forte le secteur privé.
Justement, quel rôle pourraient jouer les institutions publiques dans la constitution d'un secteur privé fort '
L'administration va jouer encore et pendant longtemps un rôle important, le secteur économique dominant demeure celui public, avec Sonatrach et Sonelgaz en particulier. C'est l'équivalent de 98% des rentrées de devises et 65% des dépenses publiques. Le privé étant ce qu'il est, l'avenir ce sera le partenariat public-privé. L'Etat devra développer d'une manière considérable ses partenariats avec le privé. C'est cela l'avenir de l'Algérie.
Quels types d'opérateurs privés pourraient émerger dans les années à venir '
Il y aura plusieurs types de privés. Des investisseurs qui vont exploiter des ressources dominantes en Algérie dans le secteur de l'agriculture, une certaine forme d'industrie et les biens de consommation. C'est qu'on pourrait qualifier d'industrie d'opportunités ou de contexte. Ensuite il y aura normalement une industrie émergente comme l'Internet et les technologies de l'information et de la communication. Elles nécessitent beaucoup plus d'intelligence que de moyens financiers. De jeunes entrepreneurs, chercheurs, techniciens peuvent effectivement lancer des projets d'entreprises, des startups, avec très peu de fonds. Il y a une troisième catégorie qui pourrait être constituée de certaines PME, d'entreprises de taille intermédiaire qu'on amènerait à devenir des champions nationaux capables de faire face à la concurrence internationale. On en a quelques-unes aujourd'hui mais elles restent insuffisantes. Certaines pourraient devenir encore plus influentes notamment sur le plan international.
Mais le niveau de développement des institutions et des infrastructures permet-il d'espérer et de prétendre au développement du secteur économique privé '
L'histoire récente de l'évolution économique du tissu industriel c'est un peu comme la danse irlandaise : deux pas en avant et deux pas en arrière. Quand il y avait une pression sur la dette algérienne durant les années 1990, on a constaté une véritable libéralisation en faveur de l'entreprenariat. Quand la situation s'est résorbée, l'Etat est revenu à d'autres pratiques, notamment le protectionnisme économique, etc. L'environnement juridique des entreprises s'est resserré et il est devenu plus complexe. Aujourd'hui, on a encore beaucoup de réticences par rapport au développement du secteur privé. Il faut que les peurs tombent. Il faut que la peur de perdre le contrôle disparaisse. Les administrations économiques doivent intégrer l'idée que si le privé détient du pouvoir économique cela n'est pas un pouvoir qu'il prend au pouvoir politique. Dans ce cas-là on aura beaucoup avancé. Le partage du pouvoir et les synergies font la croissance et non pas la réservation du pouvoir par certains au détriment d'autres. C'est une logique additive qu'il faut avoir et non pas soustractive de la notion du pouvoir.
On a l'impression parfois que le système politique a peur d'une dominance du privé étranger sur le privé national, synonyme à ses yeux de perte de contrôle sur l'économie. Cette peur est-elle justifiée selon vous '
De toutes les façons, il y a deux manières de se développer économiquement. Le développement en propre. Ce serait des entreprises algériennes qui vont mobiliser leurs propres ressources pour conquérir des marchés et grandir en capital et en savoir-faire. Il y a aussi, et c'est plus rapide, le développement par le partenariat étranger. Là encore, il y a deux types de partenariat étranger. Il y a les firmes étrangères qui viendront installer des usines clefs en main. Mais il y a également l'entreprise étrangère qui viendra se mettre en accord avec une firme locale. L'entreprise étrangère dans ce cas de figure ne crée pas d'activités mais va profiter des opportunités qu'offre le marché local. Il faut apprendre à ne pas avoir peur. Parce que, quoi qu'il arrive, le politique maîtrisera toujours les grands axes économiques et sociaux. Il ne faut pas voir l'économie comme un contre-pouvoir politique. Dans les pays développés, l'économique est un support pour toutes les décisions socioéconomiques.


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