Algérie

Bou Saâda : à la recherche du paradis perdu



Cité du bonheur, oasis enchanteresse, ville des peintres et des écrivains, perle du tourisme saharien, le nom de Bou Saâda a toujours été accolé à des superlatifs qui chantent l'émerveillement des sens.L'oasis la plus proche de la Méditerranée, comme on l'a toujours surnommée, a longtemps joui d'une réputation de destination touristique par excellence.
Pour savoir si la ville si chère à Etienne Dinet tient encore ses promesses, notre reporter y a séjourné pendant quelques jours pour visiter la vieille médina, le vieux marché des artisans, la zaouïa d'El Hamel, les hôtels mythiques comme Le Caïd ou le Kerdada, les sites touristiques tels le Moulin Ferrero, Oued Bou Saâda , ou encore le village traditionnel d'El Alligue.
Il est vrai qu'avec autant d'atouts touristiques, si l'Algérie avait donné un tant soit peu d'importance à ce secteur névralgique, elle aurait été aujourd'hui une destination mondiale. Et une ville comme Bou Saâda serait la Marrakech algérienne. Hélas, c'est très loin d'être le cas, mais tout n'est peut-être pas perdu pour autant. De nouvelles perspectives voient timidement le jour.
Sur le toit de la plus ancienne mosquée de Bou Saâda, sise au c?ur même de l'ancienne médina, ou plutôt de ce qu'il en reste, la vue est panoramique.
On peut balayer du regard l'ancienne oasis qui n'en finit plus de s'étendre du fameux djebel Kerdada au sud aux montagnes ocres de Azzedine au nord. Au pied des montagnes qui l'enserrent comme un écrin minéral qui l'empêchent de grandir, la ville décrit un demi-cercle qui cherche vainement à se fermer. La vue est belle, mais elle renseigne à quel point le béton a envahi l'ancienne «oasis du bonheur».
Au point où les immeubles ont fini par cacher les rares palmiers qui ont résisté à son inexorable avancée. «L'exode rural a fait le malheur de Bou Saâda», résume laconiquement Mohamed Benhouhou. Rencontré dans une libraire de la ville, ce sympathique et authentique boussaâdi de 74 ans, est un ancien fonctionnaire à la retraite qui connaît bien l'histoire de sa ville natale et il en parle avec une passion non dissimulée.
Pour lui, l'ancienne oasis a eu à subir tellement de flux migratoires qu'elle n'a eu ni le temps ni l'énergie d'assimiler ou de digérer. Pour Ammi Mohamed, les famines du siècle dernier, les révoltes des Zaâtcha et d'El Mokrani, les insurgés de l'Emir Khaled, la Révolution algérienne, l'exode rural des années qui ont suivi l'indépendance ont ramené des contingents de déracinés venus grossir le tissu urbain au point de le faire éclater. «Les gens ne se considèrent pas comme ''Naïlis''», dit-il. Ils ne sont plus ces fiers descendants de l'ancêtre éponyme Sidi Naïl, venu au début du XVe siècle de la mythique Saguia El Hamra.
Il est vrai qu'être «naïli» est une culture et un authentique mode de vie venus de très loin dans l'histoire. Quand on débarque à Bou Saâda, on se rend bien vite compte que la ville possède un cachet qui lui est propre et que l'on ne retrouve pas ailleurs. Comme le confirme, par exemple, le vêtement traditionnel des femmes qui portent une «abaya» d'un bleu pâle qui évoque beaucoup plus les femmes de Ghardaïa que celles des hauts-plateaux du Hodna, comme M'sila pourtant très proche.
«On vous a oubliés sous le cendrier»
En matière de découpage administratif et de développement local, Bou Saâda s'estime lésée depuis toujours. «Au premier découpage administratif, on nous a fait dépendre du Titteri et en 1969 le président Boumediène a généreusement octroyé à Bou Saâda un projet de? chèvrerie !», raconte Ammi Mohamed qui, sur sa lancée, revient sur l'autre découpage administratif.
Celui de 1975 qui a vu sa ville rattachée à M'sila. Lors de ce fameux découpage, les responsables politiques algériens fumaient beaucoup et le cendrier était posé sur la carte. Au sortir de la réunion, Cherif Belkacem, l'ancien ministre et compagnon de Boumediène et Bouteflika, a eu cette réplique à l'adresse des Boussaâdis qui lui demandaient des nouvelles du découpage. «On vous a oubliés car le cendrier était posé pile poil sur Bou Saâda», a-t-il lâché.
Fondée par deux religieux mystiques à l'époque où la chute de l'Andalousie a vu un reflux massif des Andalous vers le Maghreb, Bou Saâda doit son existence à Sidi Thameur et à Sidi Slimane Ben Rabéa El Fassi, venus s'établir dans cette accueillante oasis et acquérir l'auréole de saints vénérés à leur mort.
La cité médiévale se serait bâtie autour de ce noyau religieux et social qu'a toujours été la mosquée de Sidi Thameur. Au fil des ans, les descendants du saint homme ont fondé à leur tour les différents quartiers de la ville : Ouled Hmida, Ouled Harkat, les Ouled Attig, etc. Jusqu'à une époque récente d'avant l'indépendance, la ville se composait d'une médina médiévale avec son quartier juif et son pendant européen.
Ce sont probablement les Andalous qui ont apporté leur fameux savoir-faire et surtout leur savoir-vivre. Comme ils l'ont fait dans toutes les villes du Maghreb où ils ont posé pied après la «reconquista». Les Andalous ont révolutionné tous les domaines : techniques d'irrigation et agriculture, arboriculture, architecture, musique, enseignement, commerce, l'empreinte de leur raffinement civilisationnel s'est partout fait sentir.
C'est ainsi que la ville de Bou Saâda est devenue petit à petit un carrefour et une véritable plaque tournante du commerce caravanier entre le nord et le sud, l'est et l'ouest. Il faisait bon vivre sous ses douces latitudes et l'oued Bou Saâda , qui la traverse de part en part, la fécondait de vergers riants et de jardins luxuriants sous l'ombre fraîche des palmeraies qui bordent ses rives. C'est cette oasis enchanteresse à quelques encablures d'Alger que les Français découvrent à leur arrivée dans le pays et qu'ils vont surnommer, à juste titre d'ailleurs, «La cité du bonheur».
Le paradis des peintres et des artistes
Entre-temps, un quartier européen bâti au lieu-dit «Le Plateau» viendra s'adosser au vieux ksar médiéval. La ville a désormais changé de maîtres et la vie administrative va se concentrer pour l'essentiel dans la cité européenne venue se greffer à l'ancien noyau. Des voyageurs et des artistes viennent y faire des séjours prolongés dans les caravansérails de la ville. Bou Saâda devient peu à peu une destination touristique qui attire des voyageurs et des artistes en mal d'aventures ou d'exotisme.
L'un de ses artistes, peintre connu, en tombe follement amoureux et finit par «épouser», corps et âme, cette ville qui sait envoûter ses visiteurs comme une femme fatale. Etienne Dinet, dont les tableaux célèbrent la beauté, la lumière, la vie foisonnante de la cité, le charme irrésistible des très belles femmes des Ouled Naïl, la vie ordinaire de ces Algériens qu'il côtoie tous les jours, va contribuer à la faire connaître au point où son nom va finir par se confondre avec celui de Bou Saâda. Sa maison a été transformée en musée.
«Ses paysages aussi envoûtants que variés : palmeraie foisonnante émergée du désert, médina étagée, montagnes imposantes au nord, à l'ouest et au sud, sa lumière : quasiment du lever au coucher du soleil, douze mois sur douze, ses traditions locales, l'orgie de couleurs de sa palmeraie, font que Bou Saâda s'offre comme le cadre rêvé de l'artiste peintre», écrit Youssef Nacib dans Cultures Oasiennes, Bou Saâda , Essai d'Histoire Locale.
Bou Saâda devient la ville des peintres, puis des touristes avant de devenir quelques décennies plus tard celle des cinéastes qui la choisissent pour cadre pour tourner leurs films comme le mythique Tarzan d'Edgar Rice Burroughs.
Du vieux ksar bâti par les ancêtres et qui était l'âme de la cité, il ne subsiste plus que quelques vestiges qui racontent les trésors du passé. La façade d'une vieille maison par ici, une venelle avec des airs de Casbah, une porte en bois, un bout de façade ou un morceau de mur ici ou là. Les maisons modernes ont poussé partout sur les ruines des anciennes bâtisses et au vu des chantiers de construction le triomphe du béton et du parpaing promet d'être sans concession.
Seule l'antique mosquée du fondateur Sidi Thameur a échappé à la furie destructrice des hommes. A l'intérieur, les poutres maîtresses et le toit en bois qui portent la patine du temps ont, paraît-il, été coupés du temps où la forêt recouvrait encore la montagne de Kerdad.
«La vieille cité a été rasée sous l'ère du président Boumediène pour construire des maisons soi-disant modernes», affirme avec tristesse Hamlaoui Bencharef, l'une des figures du mouvement associatif et culturel de la ville et qui s'est dévoué à nous servir de guide. On a rasé le vieux bâti pour faire place au neuf.
La pierre, la terre et le bois ont été détruits au bulldozer pour être remplacés par du parpaing froid, sans âme et sans identité. «Maintenant qu'on a tout détruit, on essaie de restaurer selon soi-disant un cahier des charges», dit encore M. Hamlaoui. Mais le combat est perdu d'avance, car on sait pertinemment que personne n'est encore arrivé à restaurer une âme perdue. Au mausolée du peintre Etienne Dinet, sis au sud de la ville, de l'autre côté de Oued Bou Saâda, les lieux exhalent l'abandon et l'oubli.
La grille de fer maintenue avec un bout de ferraille s'ouvre en grinçant sur une courette dallée. Une petite kobba dont la porte est cassée au milieu abrite trois tombes, dont celle du peintre mort le 24 décembre 1929 et celle de son compagnon et ami Slimane Ben Brahim. Ces dernières années, il n'y plus beaucoup de touristes qui viennent en pèlerinage sur ces lieux de mémoire.
Ce mausolée a été construit sur les terres acquises par le peintre. C'est ici qu'il avait son atelier sur les rives de l'Oued Bou Saâda et une maison où il recevait ses amis. Selon notre guide, ces lieux sont aujourd'hui occupés par des familles qui s'y sont installées et refusent de les quitter sans contrepartie. Des associations s'activent à récupérer les lieux pour en préserver la mémoire, mais le combat semble ardu. En matière de pèlerinage, la zaouïa d'El Hamel conserve aussi une partie de l'âme de Bou Saâda. Haut lieu du tourisme religieux, elle reçoit des milliers de pèlerins et de visiteurs chaque année. (voir encadré).
La ville a besoin d'au moins une vingtaine d'hôtels
A un jet de pierre de l'Institut de l'hôtellerie et du tourisme de la ville créé en 1971, l'hôtel Le Caïd est également l'un des lieux de mémoire de la ville et l'un de ses joyaux architecturaux. Bâti en 1925 à l'époque des caravansérails, ce fleuron de la chaîne hôtelière nationale El Djazaïr a été restauré une première fois en 1967 par le fameux architecte Fernand Pouillon, puis rénové une deuxième fois en 1998 tout en gardant ce magnifique style mauresque qui fait tout son charme et son cachet. Fondé en 1913 sous le nom de «Le Petit Sahara», son alter-ego l'hôtel Kerdada est actuellement en cours de travaux de restauration.
«Selon des experts en tourisme tunisiens qui ont séjourné chez nous lors d'un séminaire, la ville de Bou Saâda a besoin d'au moins une vingtaine d'établissements hôteliers pour répondre à la demande actuelle en matière d'hébergement, son parc hôtelier ne comptant qu'une dizaine d'enseignes», argumente Hamlaoui Bencharef.
Signe des temps, sur la mythique place des chameaux, sise derrière l'hôtel Kerdada, il n'y a plus que des voitures.
A la belle époque du tourisme saharien, c'est d'ici que partaient les touristes en randonnée ou en méharée. Aujourd'hui, ces lieux sont devenus un hideux parking de voitures jonché de détritus. «Je me souviens que jusqu'aux débuts des années 80' il y avait encore beaucoup de touristes. Petit garçon, il m'arrivait de jouer au guide», dit Hamlaoui Bencharef.
Cascade d'eaux usées
«Quand nous recevons des touristes, nous proposons un circuit typique qui commence par le musée Etienne Dinet, puis le mausolée de Sidi Attia, ensuite passage par quelques-uns des 7 quartiers historiques de la vieille médina, la première mosquée de Sidi Thameur, ou bien encore Masdjid Ennakhla qui est le premier noyau de la ville de Bou Saâda et on finit par le mausolée Etienne Dinet, le Moulin Ferrero, puis le village traditionnel d'El Alligue», affirme notre guide.
L'un des hauts lieux du tourisme de Bou Saâda est évidemment le fameux Moulin Ferrero. Du temps où l'Algérie était encore une colonie française, un émigré italien du nom d'Antoine Ferrero avait choisi de construire son moulin hydraulique au bord d'une très belle cascade de l'Oued Bou Saâda. L'eau se jetait d'une hauteur de trois ou quatre mètres pour former une vasque où les enfants et les adultes venaient se baigner par les temps de grosses chaleurs. Sur ce lieu quasiment mythique où nous nous sommes rendus en pèlerinage coule aujourd'hui une autre cascade.
Celle des eaux usées nauséabondes d'une cité qui s'est installée non loin de là. Cette image résume à elle seule ce paradis perdu. Sur la route d'El Alligue, les sachets en plastique sont partout et la pollution du paysage accueille et accompagne le visiteur durant tout son périple. Renseignements pris, cette région reculée a pendant des années servi de dépotoir pour la ville de Bou Saâda.
Avant la réalisation de l'actuel Centre d'enfouissement technique des déchets dans ses environnants, plusieurs décharges sauvages ont été créées. Aujourd'hui fermées mais jamais traitées, ces décharges continuent d'enlaidir le paysage. Situé au sud de Bou Saâda, un petit village accroché au flanc d'une montagne ocre compte également parmi les curiosités locales qui attirent les visiteurs.
Pour avoir conservé quelque peu son aspect architectural, El Allig a déjà servi de décor naturel pour quelques films, notamment un western spaghetti intitulé Trois Pistolets Contre César, ou bien encore Le Vent du Sud de Mohamed Slim Riad.
Aujourd'hui, l'essentiel du vieux bâti est tombé en ruine et les rares tentatives de restauration ont échoué à lui rendre ce cachet d'authenticité.
Les week-ends ou en fin de journée torride, quelques rares touristes nationaux et des visiteurs en quête de fraîcheur s'aventurent jusqu'à ces lieux pour quelques photos souvenirs.
Tout compte fait, à Bou Saâda, le village d'El Allig est un autre lieu qui illustre parfaitement cette vocation perdue de destination touristique et cinématographique.


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