-L'invention des Ifoghas
Sur les cartes héritées de l'époque coloniale, l'Adagh est appelé «Adrar des Ifoghas». Pour un militaire, le monde est organisé on ne peut plus simplement : il suffit d'un chef unique à qui tous doivent obéissance pour que le monde se mette tout de suite en ordre. La première chose que les militaires français ont donc essayé de faire a été de trouver le chef de toutes ces tribus anarchiques auxquelles ils ne comprenaient rien. Ils envoyèrent des ethnologues (Gauthier en 1905, mission Cortier en 1908, Charles de Foucauld en 1911) pour y voir plus clair.
La société targuie de l'Adagh est constituée de plusieurs grandes tribus nobles (Ifoghas, Idnan, Taghat Mellet, etc.), elles-mêmes découpées en fractions (des sous-tribus), mais aucune de ces tribus n'avait à proprement parler de prééminence politique sur les autres. Avec l'arrivée des Français tout a été chamboulé. Ils en ont identifié une, les Ifoghas, la plus puissante à l'époque, et donnèrent son nom au pays. Arrangez-vous avec ça... Par la convention de Bourem de 1907, la France décida ensuite : «L'Adrar sera laissé aux Ifoghas et à ceux qu'il plaira aux Français d'installer.»
Les Accords de Tamanrasset de janvier 1991 mettent donc officiellement fin à la deuxième rébellion touareg. Signés par Iyad (Ag Ghali) ' qui appartient à la fraction Iriyaken des Ifoghas ' ils sont rapidement contestés par d'autres chefs de la rébellion issus, eux, d'autres tribus, qui lui reprochent de les avoir signés au seul bénéfice des Ifoghas. Et donc par là de perpétuer la domination des Ifoghas créée de toutes pièces par les Français. Pages 36 et 37
-«Comment vous faites pour savoir qui vous êtes '»
Vers 2004 ou 2005. J'oublie les dates. Avec Attayoub, en panne de voiture tout en haut des montagnes du Tegharghar. Trois jours à essayer de réparer cette foutue caisse. Des campements voisins, les nomades viennent nous aider. Ils nous apportent de l'eau et des repas, passent les soirées autour du feu avec nous, pour ne pas nous laisser seuls. A un moment, un nomade retire une grosse branche toute tordue du feu. Ça énerve les gerbes, des éclairs rouges bondissent en tous sens. Je lui demande pourquoi. «Cette branche est trop vilaine et elle fait un vilain feu... Tout ce qui est doit être par la beauté.» Je lui fais répéter deux fois.
Puis il me demande de quelle tribu je suis, chez moi, en France. Il y a un désert entre nous. Je lui explique que chez nous on n'a pas de tribus. Il me regarde, regarde le feu, reste silencieux un long moment. Nos visages sont brûlés par les flammes, nos dos gelés ; sitôt qu'on se recule on est happé par le froid. Nos ombres, laiteuses sur le sable bleu.«Alors, si vous n'avez pas de tribus, comment vous faites pour savoir qui vous êtes '» Je pourrais répondre qu'on a des psychanalystes, mais ce serait beaucoup trop compliqué... Il faudrait lui expliquer ce qu'est un individu tout seul dans sa tête. Pour finir, ne nous revoyant pas revenir, des gens d'Aguelhok partent à notre recherche en suivant nos traces à travers le désert et nous ramènent au monde. Page 89
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Posté Le : 17/05/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : El Watan
Source : www.elwatan.com