De nombreux séminaires et publications évoquent fréquemment les concepts de management - d'entreprises ou d'institutions à but non lucratif - ou de bonne gouvernance comme conditions d'une utilisation efficiente des ressources disponibles. Les néophytes sont perdus. A-t-on besoin de gouvernance ou de management ; et quelles seraient les similitudes et les différences ' Nous allons essayer de clarifier les interfaces et les disparités, tout en insistant sur le phénomène de la complexité. Même une thèse de doctorat d'Etat n'arriverait pas à cerner exhaustivement tous les contours de la problématique. Il nous faut donc être modestes et indulgents vis-à-vis des nombreux aspects qui ne manqueront pas d'être évacués de l'analyse.
Doctrine économique et sciences de gestion
Lorsque les pères fondateurs des sciences économiques ' Adam Smith, Walras, Jevons et autres ' bâtissaient petit à petit les sciences économiques, ils avaient en vue un objectif central précis : montrer qu'une économie de marché compétitive aboutissait à une allocation optimale des ressources. C'était leur conviction profonde, mais il fallait la formaliser par des modèles aussi harmonieux que pédagogiques. Depuis lors, nous avons assisté à une inflation de schémas conceptuels qui approfondissaient leur doctrine. Il faut souligner deux exceptions notables : Marx et Keynes.
Le premier, convaincu que l'économie de marché, n'est qu'une étape de l'évolution historique construisit tout un soubassement théorique pour prouver ses croyances philosophiques. Les concepts et les mécanismes décrits devaient bien sûr, conforter ses jugements idéologiques. Keynes, tout en indiquant qu'une économie de marché peut connaître des crises très sévères, montre que les pouvoirs publics disposent de leviers (dépenses publiques, taux d'intérêt, confiance) pour retourner à l'équilibre et ainsi faire perdurer le système. Toute cette rétrospective nous montre une chose : les économistes n'ont jamais eu pour souci de produire des outils pour gérer une entreprise ou une institution administrative. Ils supposent qu'elles sont efficientes par définition. C'est l'hypothèse de base des sciences économiques : la compétition aboutit fatalement à éliminer les mauvaises entreprises ; et avec une régulation appropriée, celles qui infligent des coûts exorbitants à la communauté. Bien sûr que par ricochet on développe de temps en temps un outil qu'on peut utiliser en gestion (exemple : l'élasticité de la demande).
Lorsque les théoriciens de la gestion (Fayol, Taylor, Drucker, Ansoff et autres) commençaient à développer des outils opérationnels pour gérer efficacement des entreprises et des institutions à but non lucratif, les schémas conceptuels produits par les théoriciens des sciences économiques étaient jugés en général inappropriés. Il fallait donc développer des outils propres aux sciences de gestion : comptabilité analytique, tableau de bord, stratégie, direction par objectifs, management de la qualité et autres. Ainsi, les préoccupations, les méthodes et les outils divergent fortement. Même lorsque l'économiste approche l'entreprise (coasse) il le fait avec prudence et sans développer des outils opérationnels utilisés en gestion des entreprises. Quelques rares exceptions existent (Herbert Simon et sa rationalité limitée), mais dans l'ensemble : sciences économiques et sciences de gestion ont pris des chemins très divergents.
Historiquement, chaque discipline a eu ses prestigieuses conquêtes. Les sciences économiques furent couronnées par un prix Nobel dès 1969. De nos jours, les effectifs des grandes universités mondiales sont composés à plus de 30% d'étudiants dans les disciplines de la gestion d'entreprises. Les besoins du marché sont beaucoup plus abondants pour ces spécialités. Les économistes sont surtout recrutés comme analystes par les très grandes entreprises, les banques, les Etats et les institutions internationales. Chaque discipline a essayé de devenir autonome vis-à-vis de l'autre alors qu'elles sont en fait complémentaires.
Gouvernance et management
Lorsque les économistes analysent un phénomène, ils se pénalisent en se privant d'introduire les paramètres développés en sciences de gestion. Par exemple, l'analyse des stratégies de développement est révélatrice. Durant les années soixante et soixante-dix, les mêmes schémas macroéconomiques donnaient des résultats différents. De nombreux pays d'Amérique latine et d'Asie avaient choisi au début une stratégie de substitution à l'import puis un modèle basé sur l'exportation. Plusieurs pays asiatiques ont pu réaliser leur décollage économique avec des taux de croissance de plus de 8%, alors que l'Amérique latine stagnait. On a beau passer au peigne fin les politiques macroéconomiques, on n'arrive pas à trouver une différence significative aussi bien dans les conceptions que les décisions économiques. On avait un puzzle. Les gourous des sciences de gestion connaissaient la réponse : «Il n'y a pas de pays sous-développé, il y a des pays sous-gérés», croyait-on. Ce n'est que plusieurs années plus tard que les experts des institutions internationales (banque mondiale, FMI, etc.) durent voir la réalité en face. Une même stratégie peut réussir ou échouer, dépendant des modes de management institutionnel mis en place : la fameuse gouvernance. Il fallait meubler aussi le terme. Donc, on inventa des séries d'indicateurs qualitatifs de la gouvernance : transparence, responsabilité, participation et le reste. Mais on n'y va pas plus loin. La doctrine de la bonne gouvernance s'arrête aux grands principes.
Le schéma de la gouvernance n'a pas produit les outils et les mécanismes pour rendre opérationnelles les différentes facettes de la gouvernance. Par exemple, comment améliorer la transparence ' Il y a l'accès à l'information pour tous, mais surtout les audits, les comparaisons, les données comptables, etc. Tout cela, les promoteurs du schéma de bonne gouvernance ne l'ont pas produit. Ils doivent les emprunter aux sciences de gestion. Mais le succès du concept de bonne gouvernance est phénoménal. Dès qu'il a été prononcé par les économistes des institutions internationales, il s'est popularisé à une vitesse vertigineuse, ce qui est positif en soi. De nos jours, beaucoup de politiciens prennent conscience qu'il ne suffit pas de décréter de bonnes stratégies et de bonnes politiques macroéconomiques pour que les performances s'améliorent. Il y a une autre condition : un management opérationnel efficace à introduire au sein des entreprises et des institutions publiques. Il est heureux de constater que les deux types de disciplines commencent à se donner la main pour être complémentaires. Nous avons perdu beaucoup de temps avant de comprendre qu'une bonne stratégie de développement peut facilement déraper à cause d'un management défaillant.
Maintenant, il nous faut prendre conscience que les concepts très utiles de la bonne gouvernance doivent être mis en pratique. Les sciences de gestion ont compris ces préceptes il y a fort longtemps (au moins avec Fayol en 1916). Mais pour rendre ces principes opérationnels, nous avons besoin d'outils et ces derniers existent déjà en sciences de gestion. Nous avons déjà réalisé une première avancée lorsqu'on considère que les principes de la bonne gouvernance contribuent énormément à rendre les stratégies et les politiques macroéconomiques efficaces. Mais nous aurons mieux cerné la question si on comprend que seules les sciences de gestion détiennent les clés, les outils qui peuvent distiller la bonne gouvernance. Bien sûr qu'il ne faut point idéaliser ces outils, car ils peuvent aussi induire des défaillances (Enron). La bonne gouvernance est un ensemble de principes de management enrobés dans une terminologie mieux ornée. Pour cela, on aurait tout compris si on parlait de management au lieu de bonne gouvernance. Mais dès lors que l'on évoque la gouvernance, nous devons savoir que les outils opérationnels existent et ont été développés il y a fort longtemps par les spécialistes des sciences de gestion.
Abdelhak Lamiri. PH. D. en sciences de gestion
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Posté Le : 28/05/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : El Watan
Source : www.elwatan.com