Les familles vivent dans l’angoisse permanente.
La présence policière massive et omniprésente crée, dans la cité de quelque 5000 âmes, une atmosphère des plus tendue et des plus oppressante. Mouvements entravés, nerfs à vif, provocations et altercations fréquentes entre les deux clans, magasins alentours non approvisionnés… Les riverains vivent le cauchemar. Et les premières victimes de cette «guerre psychologique» sont les enfants. Billel, petit bonhomme de huit ans, est tout excité. Il ne peut s’empêcher d’exhiber fièrement son «butin de guerre».
Le petit garçon sort de sa poche la douille d’une balle en caoutchouc. «Et j’en ai récolté encore beaucoup !», s’écrie-t-il en s’élançant vers sa chambre. Il en revient avec dans les mains un sac en plastique d’où il extirpe des bouts de liège, de petites sphères noires en éponge ainsi que de nombreuses douilles. Celles-ci sont vides, contrairement au projectile qui se trouve en permanence sur lui.
«La douille qui est dans ma poche est remplie de sable. C’est pour me défendre dans le cas où un policier venait à m’attaquer», explique-t-il en relevant le menton. La phrase, lourde de sens dans la bouche d’un enfant, résume à elle seule l’ambiance dans laquelle évoluent, depuis quelques semaines, les habitants de cette cité. Et c’est peu dire que les plus jeunes sont terrorisés.
Même les tout-petits. Ils ne savent des forces de l’ordre que ce qu’ils ont pu vivre et entendre cette dernière semaine. Et ils savent à peine parler que déjà ils en ont peur. «Ceux qui font du bruit, c’est la police. Ils me font peur. Ils sont méchants, ils ont fait pleins de bobos à mon papa», balbutie Sarah du haut de ses 3 ans. En vacances, les enfants sont appelés à assister aux différents assauts et autres scènes de violence. Pis, ils ne disposent d’aucune échappatoire. «Nos appartements sont petits. Les halls des immeubles et les cours extérieures sont les seuls endroits où nos enfants peuvent jouer tranquillement et à leur aise», raconte Zineb, maman de quatre enfants.
Seulement, depuis que les forces antiémeute ont pris leurs quartiers sur le pas de leurs portes, même sortir leur est devenu difficile. «Les policiers occupent leur espace. Ils sont effrayés. Et même lorsqu’ils se décident à sortir, nos nouveaux voisins bleus les intimident au point où ils ne peuvent que rentrer s’ennuyer à la maison», poursuit, indignée, la mère de famille. Quand ce n’est pas carrément les policiers qui intiment l’ordre aux petits de rentrer chez eux, comme en atteste le petit Billel.
Des vacances en enfer
«A la maison, vous faites de votre mieux pour les éduquer. Il suffit qu’ils sortent 2 minutes pour que tout cela soit ruiné et qu’ils rentrent avec dans la bouche les pires insanités, entendues des policiers», ajoute la maman, inquiète des répercussions qu’auront assurément sur les bambins tout ce à quoi ils assistent. Tandis que certains croient dur comme fer qu’ils vivent en temps de guerre, de djihad et entourés de moudjahidine, d’autres se cachent dès qu’ils entendent le moindre bruit inhabituel. «Mon fils ne me lâche pas de toute la nuit. Il se réveille en sursaut lorsqu’il entend un son. Il me demande inlassablement ‘ils sont revenus ?’», confie une mère de famille. Hana, 5 ans, pose aussi beaucoup de questions. Tout au long de la journée, ainsi que de la nuit, elle n’a de cesse de demander à ses parents les raisons des chamboulements qu’a connu sa vie. Et la conclusion à laquelle elle arrive, évidemment inspirée des propos des grands, n’augure rien de bon quant à la vision qu’elle aura des représentants de la loi.
«Les policiers veulent nous faire du mal. Parce qu’ils sont jaloux et méchants», articule-t-elle dans un sourire plein d’innocence.
En sus, les riverains affirment que les terrasses, où ont élu domicile les brigades antiémeute, ont été dépouillées de l’ensemble des paraboles satellitaires s’y trouvant. Donc plus de télévision. Et une occupation de moins pour les enfants. «Pauvres petits… A quelles vacances ont-ils droit ?», souffle Latifa, songeuse. «Comment peut-on agir de la sorte envers des enfants innocents ? On les prive d’une vie normale, de vacances scolaires paisibles, ainsi que d’un Ramadhan tranquille. Ils n’ont pas à payer les frais de la hogra, de l’avidité et de la cupidité de certains. Nous, nous sommes des adultes, mais eux n’ont rien fait», soupire-t-elle.
Les femmes, talon d’Achille…
Car les plus jeunes ne sont pas les seuls, loin s’en faut, à subir les affres de cette «occupation». Les femmes du quartier sont en première ligne, puisque ce sont elles qui sont appelées à côtoyer le plus ce nouveau voisinage si particulier. Cloîtrées dans leurs intérieurs, les femmes du quartier n’osent d’ailleurs plus sortir ni même se montrer à leurs fenêtres ou à leurs balcons. La raison en est évidemment les dizaines de policiers postés tout au long des rambardes ou sur les terrasses. «Ils restent là, debout devant nos portes. Ou alors ils sont allongés par terre, adossés à un mur, les jambes surélevées posées sur celui d’en face. Et ils ne daignent même pas avoir la correction de les ôter lorsque quelqu’un passe. Nous sommes obligées de les enjamber. Quelle honte !», s’indigne El Hadja, qui fulmine sous son foulard blanc. Feriel habite au rez-de-chaussée, l’étage le plus exposé lors des «descentes».
Dans cet appartement, elles sont trois femmes à vivre seules en compagnie de leur grand-mère. «Jeudi dernier, ils ont fracassé notre porte d’entrée. Nous sommes obligées de la bloquer, surtout la nuit, avec des barres de fer et des bacs de sable», explique la jeune fille, encore sous le coup de l’émotion. Allongée dans le salon, sa grand-mère a été victime d’un AVC et, depuis, elle est grandement amoindrie.
«C’est de l’injustice. Nous avons tout le temps peur», arrive-t-elle à articuler à grand peine, les yeux délavés noyés de larmes. Les femmes se voient ainsi confinées dans la partie de l’habitation qui ne donne pas sur le Bois. «Nous préférons éviter de rester dans la cuisine, par exemple. Tout simplement parce que les policiers campent sous nos fenêtres», ajoute Feriel.
Et il semblerait que les éléments des forces de l’ordre n’hésitent devant aucune provocation et autres comportements déplacés devant la gent féminine. «Ils sont postés sur les terrasses. Ils ne se gênent pas pour regarder les fenêtres et les balcons. L’on a même pu voir, à maintes reprises, certains braquer leur téléphone portable dans notre direction», fulmine, hors d’elle, une mère de famille. Sa fille, la vingtaine, poursuit : «Je suis même obligée de mettre mon voile pour étendre le linge !» Les femmes préfèrent d’ailleurs taire certaines choses à leurs maris, frères et fils, de crainte que la situation ne dégénère pour de bon. «Des insultes, des insanités, des mots et des gestes obscènes, des menaces et autres intimidations. Quel que soit l’âge de la personne, elle est agressée», affirme une jeune femme.
«Club des Pins au Bois des Pins…»
Alors, dans ce climat de frayeur, les locataires préfèrent réduire au maximum leurs sorties. Quitte à ne pas faire d’emplettes, pourtant indispensables en ce mois de Ramadhan. «De toute façon, les courses, nous sommes obligés de les faire dans d’autres quartiers. Les boutiques, ici, ne sont plus approvisionnées», déplore Zineb. Pourquoi ? «Cela fait des semaines qu’aucun marchand de légumes ambulant n’est passé. Ce matin, l’un d’eux s’est aventuré ici. Il a été stoppé par les policiers, puis fouillé», explique-t-elle dans un éclat de rire partagé avec sa voisine. «Heureusement qu’il nous reste cela : le rire et la solidarité avec nos voisins de toujours», commentent les deux femmes.
Car, selon les «intuitions» des riverains, la situation n’est pas prête à se décanter et le siège n’est pas près d’être levé. «Au vu des événements, les policiers sont là pour encore un moment», affirme Saïd, membre du comité des sages. «Ils ont même installé des parasols sur les terrasses. A défaut de vacances au Club des Pins, ils s’offrent des vacances au Bois des Pins…»
La DGSN nie les accusations
La Direction générale de la Sûreté nationale nie toutes les accusations de violences émises à l’encontre de ses éléments. La DGSN dément, par le biais d’un communiqué remis par Djillali Boudalia, chargé de la communication de cette institution, «les cas présumés de mauvais traitements».
«Cela est faux, il n’y a pas eu d’actes de violence perpétrés contre les citoyens. Les éléments de la Sûreté nationale sont tenus d’exercer leurs fonctions dans le respect des droits de l’homme», est-il affirmé dans le document. Ce qui répond, selon le communiqué, aux directives du DGSN en personne, qui «n’accepte aucun comportement qui contrevient à l’éthique de la sécurité nationale, la dignité des citoyens devant passer avant toute autre considération».
Pour ce qui est du maintien de brigades sur les lieux, la DGSN l’explique par des mesures qui relèvent «des fonctions de sauvegarde et de restauration de l’ordre public. De même, ce dispositif vise à assurer les biens privés et des installations publiques».
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Posté Le : 11/08/2011
Posté par : aladhimi
Ecrit par : Ghania Lassal
Source : ELWATAN Jeudi 11 août 2011