Ce qui était au début une visite des
différentes réalisations de la conservation des forêts au niveau de la commune
d'Aïn Romana s'est transformé en une aventure où la beauté de la nature le
disputait aux atteintes humaines et le calme serein à une peur diffuse rendue
plus présente par les armes des gardes communaux et l'absence quasi-totale de
circulation.
Déjà pas loin du chef-lieu de la commune, lorsque nous nous
engageons sur une piste forestière entre des arbres rabougris et rongés par le
feu, nous ressentons un picotement quelque part et nous nous surprenons à
tendre l'oreille. Il faut dire que nous roulons à flanc de montagne et nous
nous sentons vraiment seuls, même si dans les trois véhicules qui se suivaient,
il y avait au moins une douzaine de personnes. Le sentier, sinueux montait de
plus en plus, devenant très abrupt par endroit, rétrécissant pour s'élargir un
peu, surplombant des précipices profonds. Soudain, et à un détour, nous
apercevons un camion-citerne à l'arrêt et, surplombant le sentier, plusieurs
personnes plantant de petits arbres et les arrosant, M. Sekrane, le
conservateur des forêts de la wilaya de Blida, nous expliqua que c'était là la
dernière phase du reboisement qui a touché pour cette fois 250 ha, faisant
partie des milliers d'hectares de forêts ravagés par le feu durant les années
écoulées Plusieurs équipes se trouvaient disséminées à travers les monts et les
vaux, certaines nettoyaient la forêt des arbres calcinés, d'autres creusaient des
trous, suivies par des équipes de planteurs. Après avoir discuté quelques
instants avec ces hommes qui redonnaient vie à la forêt, nous continuâmes notre
route et, soudain, très bas, des maisons se dessinent comme sorties du néant,
formant un village niché au creux d'une vallée luxuriante traversée par un oued
aux eaux calmes et limpides. On se sent un peu déphasé après la première
crainte ressentie lorsque nous nous sommes engagés sur la piste forestière, il
y a de cela juste… une demi-heure ! A mesure que nous nous approchions, les
maisons grossissaient et, soudain, nous débouchons sur une route bitumée
récemment et on nous apprend qu'en l'empruntant, nous allons nous retrouver à
Mouzaïa et que cette localité a pour nom N'haoua et date de 1957. Nous nous
rendons chez plusieurs fellahs de la région qui ont bénéficié de l'aide de
l'Etat en ovins ou en bovins. Pour les ovins, ils avaient reçu 10 brebis et 2
béliers alors que pour les bovins les fellahs ont reçu chacun 3 vaches de race
locale. Certaines brebis ont déjà mis bas et les heureux propriétaires voient
leur troupeau grossir et se multiplier. Après avoir dégusté des beignets faits
maison et des makrouts succulents, nous reprenons notre route, sans que nous
sachions exactement vers où, notre guide ayant sciemment omis de nous le dire;
Nous nous retrouvons de nouveau à Aïn Romana mais nous ne nous y arrêtons pas.
La route sinueuse monte de plus en plus, les maisons se font plus rares et
après un détour, nous ne voyons que la montagne si haute que nous nous
demandons si nous allons pouvoir y arriver. Nous sommes à près de deux
kilomètres d'Aïn Romana quand nous nous retrouvons nez à nez avec un poste de
contrôle de la garde communale. Un agent nous salue libère la chaîne qui barre
la route. Le conservateur des forêts nous apprend que seuls les gens connus qui
se rendent sur leurs terres sont autorisés à passer. La peur reprend le dessus
mais nous ne disons mot, surtout que nous voyons une 404 bâchée revenir.
Nous continuons alors et nous roulons de moins en moins vite car
la route n'est plus en bon état puis, quand nous arrivons à un endroit assez
plat, nous voyons d'abord un bassin rempli d'eau provenant d'un ruisseau situé
plus, à flanc de montagne. En face, il y a un mausolée en ruine même si nous voyons
que des travaux commencent à y être entrepris pour sa réhabilitation. Il s'agit
de Sidi Brahim que les habitants des villes et villages voisins visitaient
régulièrement pour sa baraka de saint homme. Le P/APC nous informa qu'il a
entrepris de réhabiliter tous les mausolées de la région (au nombre de 4) afin
de faire revivre les us et coutumes de cette région, faite d'amour, de
fraternité, d'entraide. Juste après avoir dépassé le mausolée, nous remarquons
une barrière à travers de la route, c'est juste une chaîne, comme la première
mais là on nous apprend qu'il n'y a plus rien après. Nous nous engageons sur la
route après que le garde nous eut libéré le passage mais, à partir de là, le
silence s'installa un moment entre nous. Nous sommes seuls, quelques huit
personnes dans les deux véhicules, avec pour seul bruit provenant de la
civilisation celui des moteurs qui ronronnent doucement en montant allègrement
la pente assez abrupte. Au loin, nous entendons le coassement lugubre d'un
corbeau, ce qui augmente notre appréhension. Au fil de la discussion, nous
comprenons que nous sommes sur la route qui mène vers Tamezguida puis vers
Médéa. Et soudain, les souvenirs commencent à s'entrechoquer, des souvenirs
sanglants, faits de pleurs, de peurs, de carnages. Nous avons l'impression que
des fantômes vont se dresser au travers de notre route et nous souhaitons alors
rebrousser chemin, mais en notre for intérieur seulement. Des dizaines de
citoyens, des confrères journalistes, des militaires des agents de sécurité, de
simples citoyens qui ont osé dire non ont emprunté la même route que nous, mais
pour ne plus revenir. C'est comme si l'odeur du sang était toujours présente et
alors que M. Sekrane discutait paisiblement avec nous, nos réponses n'étaient
que des onomatopées entrecoupées de longs silences pensifs qui laissent
transparaître une crainte incontrôlable, celle que nous ressentons devant
l'inconnu. Dehors, il faisait un froid vif et nous avons dû remonter les
vitres. Puis, au bout d'à peine un quart d'heure –qui nous est apparu plusieurs
heures- nous sommes arrivés au sommet de la montagne, à quelques 1600 m
d'attitude. Nous ne croyions pas nos yeux, juste au-dessus de la route, nous
aperçûmes une stèle commémorative, encore en béton entourée d'une grille et autour
de laquelle se trouvaient une dizaine d'ouvriers. Il y avait du sable, du
ciment, du gravier et, curieusement, ce spectacle nous fit oublier toutes nos
craintes, et nous nous sommes surpris à rire de cette peur qui nous a saisis
après la deuxième barrière, interdisant aux civils d'aller plus pour juste
après le mausolée de Sidi Brahim. Après cet endroit, la route recommençait à
descendre et nous sûmes qu'à environ deux ou trois kilomètres, nous pouvions
voir l'un des lacs les plus hauts du monde en altitude et, bien sûr Tamezghida.
Autour de la stèle, il y avait des gardes communaux armés jusqu'aux dents.
Malgré cette fraîcheur, nous avions plaisir à respirer cet air propre, mélangé
aux senteurs de centaines d'espèces végétales que nous voyions s'étaler à nos
pieds car, au-dessus de nos têtes, il n'y avait que le ciel. Nous avons même
oublié que nous étions venus jusque là pour constater les dégâts occasionnés à
la forêt par les incendies qui se sont succédé des années durant, détruisant
des milliers d'hectares d'arbres aux essences parfois rares, qui faisant toute
la fierté de la région.
Les
forestiers nous informent que plusieurs actions sont entreprises pour nettoyer
la forêt des arbres mots et procéder au reboisement, tout en installant des
pare-feux et en sensibilisation toutes les couches de la population sur les
dangers sur l'environnement et, de là, sur notre vie. Le retour vers Aïn Romana
se fait plus rapidement, plus légèrement semble-t-il, et, après avoir déjeuné
en pleine nature, nous sommes rentrés, avec une pensée émue pour ceux qui sont
là-haut, en train de garder la stèle et ceux qui la restaurent.
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Posté Le : 11/04/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Tahar Mansour
Source : www.lequotidien-oran.com