Algérie

Blida: Un «chahid» bel et bien vivant



L'écriture de notre histoire contemporaine et, bien entendu, celle de la guerre de libération nationale devient réellement un devoir pour chacun de nous, d'autant plus qu'elle recèle un nombre incalculable de gestes de bravoure, d'amour inconditionnel pour l'Algérie et les exemples foisonnent dans ce sens.

Ammi Ahmed, plus connu parmi ses camarades de combat puis parmi les habitants de son petit village sous le sobriquet de «El Moustagdar», de son vrai nom Chérifi Ahmed, a un acte de décès établi en son nom en 1961 à la mairie de L'Arba, sa ville natale, alors qu'il n'avait que 21 ans, sur la déclaration du capitaine Nodolski qui lui avait tiré une balle à la tempe à bout portant.

 Nous l'avons rencontré, la mémoire encore vivace même s'il souffre d'une attaque d'hypertension qui l'empêche de bien entendre. Dès qu'il sut le motif de notre visite, son visage s'éclaira et a paru rajeunir. Ses yeux et sa voix nous emportèrent très loin en arrière, en 1957, quand jeune Algérien sans avenir sauf celui de mourir pour sa patrie, il décida de rejoindre le maquis et répondre ainsi à l'appel de ses frères. Cette année donc, la révolution algérienne était à sa troisième année, et il fut mis en contact avec les moudjahidine chargés des recrutements. Et comme tous ses prédécesseurs, on lui confia une mission qui lui permettra d'intégrer les rangs de l'ALN: «On me chargea de commettre un attentat à la bombe dans un bar d'El-Harrach, à quelque 17 kilomètres de chez moi».

 Cette première mission fut menée avec brio et il rejoignit le maquis au début de l'année 1959 et fut affecté à la zone 1, région 3 dans la wilaya IV historique dont le commandement se trouvait à Oued El-Maleh.

 Il s'aguerrit au contact de ses frères de combat et participa à plusieurs opérations contre la soldatesque française. Il parla peu de cette période qu'il jugea comme normale puis se reporta à l'année 1961, année de sa «mort». Il faut rappeler que cette année le général De Gaulle voulait mettre fin coûte que coûte à la guerre de libération nationale et il ordonna l'opération Jumelles. «Le 4 octobre 1961, nous avons constaté un grand mouvement de soldats français qui tentaient de prendre position à Oued El-Maleh afin de nous encercler. Nous fûmes donc obligés de nous diriger vers Béni Zermane, une région au relief fortement accidenté déclarée zone interdite par l'occupant et qui connaissait un calme relatif», nous a-t-il confié. Mais il était dit que les Français étaient vraiment décidés à mettre le paquet pour venir à bout des valeureux moudjahidine et même Béni Zermane vit arriver toute une armada de soldats par air et par terre.

 L'affrontement était inévitable et les crépitements des armes automatiques et des mortiers brisaient le silence habituel de la région. Ammi Ahmed fut parmi les premiers moudjahidine à être blessé, une balle ayant pénétré son oeil droit puis est ressortie par son oreille gauche. Il était très gêné par la douleur insupportable qui lui taraudait le visage et très peiné par la mort d'un camarade de combat, le moudjahid Remili Mohamed dont la gorge avait été traversée par une balle.

 Pourtant, il s'obligea au calme et attendit là, plié par la douleur, la tombée de la nuit pour essayer de se faufiler et sortir de ce piège sans se faire remarquer par les soldats français. En effet et alors que les soldats français étaient venus récupérer leurs morts et blessés par hélicoptère, il put se déplacer sous le feuillage dru de la forêt, alors que ses blessures commençaient à s'infecter car non soignées.

 «Les chacals ont essayé de me dévorer vivant, attirés qu'ils étaient par l'odeur du sang, mais j'ai réussi à les éloigner», raconte-t-il, les pensées perdues loin dans le temps, entendant peut-être encore le halètement et les grognements des chacals qui ont failli mettre fin à sa vie. Il souffrit seul pendant plusieurs jours, se traînant petit à petit, affaibli par les blessures et ne mangeant presque rien, mais il finit par rejoindre un douar à plusieurs kilomètres de là, heureusement guidé par sa connaissance des lieux. Dans la première maison de ce douar, il y avait des femmes de martyrs dont certaines le connaissaient. Elles l'aidèrent du mieux qu'elles purent et elles prirent contact avec des moudjahidine qui le croyaient mort. Plusieurs d'entre eux vinrent jusqu'au douar, accompagnés d'un infirmier qui lui prodigua les soins nécessaires.

 Il se souvient encore de ces journées si dures: «Je suis resté cinq jours dans cette maison où j'ai été pris en charge de manière formidable, puis j'ai été transporté jusqu'à l'infirmerie à Oued El-Maleh, qui n'était qu'une casemate creusée dans le sol, d'environ 2 m² juste à la lisière d'un bois. Je suis resté dans ce trou deux semaines en compagnie de sept autres combattants blessés eux aussi quand, le 3 novembre 1961, les troupes ennemies envahirent la région et vinrent directement vers l'infirmerie, ce qui confirma que nous avions été trahis». Il était devenu amer et ses yeux étaient embués, même s'il ne voulait rien laisser paraître. Les soldats lancèrent plusieurs grenades lacrymogènes dans la casemate, obligeant les occupants à sortir, mais ils n'ont pas laissé tomber les armes et sont morts, ainsi que ceux qui étaient chargés de leur protection. El Mestagdar se retrouva encore une fois face à son destin. Etant très mal en point, il n'était pas sorti de l'infirmerie et c'est un harki qui se trouvait avec les soldats français qui l'en tira. L'officier, le capitaine Nodolski, lui proposa alors d'appeler un hélicoptère pour le transporter à l'hôpital, surtout quand il apprit qu'il s'agissait du blessé que les troupes françaises poursuivaient depuis plusieurs jours. Mais notre héros refusa catégoriquement car il savait qu'il allait être interrogé sauvagement. Devant cela, le capitaine ordonna au même harki de le remettre dans la casemate après lui avoir demandé ses nom et prénom et sa date de naissance.

 A l'intérieur, un des harkis tenta de prendre la couverture avec laquelle il se couvrait mais il ne lâcha pas prise et lui dit: «cette couverture sera mon linceul». Le harki sortit et le capitaine vint vers Ammi Ahmed et lui réitéra la même offre, que refusera encore le moudjahid. L'officier, hors de lui, sortit son pistolet et en appliqua le canon sur la tempe d'El Mestagdar avec force. Ce geste furieux fit tourner la tête du moudjahid et la balle, tirée à bout portant juste en haut de la joue, ressortit par l'oeil. Le croyant mort, le capitaine sortit et jeta trois grenades dans la casemate. «Je rejetais la première et la deuxième car elles sont tombées sur mon torse mais la troisième, tombée près de mes pieds, fut introuvable et elle explosa, me blessant gravement au pied».

 Le capitaine et ses soldats s'en allèrent crier victoire auprès des leurs et Chérifi Ahmed fut déclaré décédé par le capitaine et un acte de décès dressé à la mairie de L'Arba, sa ville natale.

 Même les moudjahidine l'ont considéré comme mort, comme d'ailleurs tous ceux qui étaient avec lui. Pourtant Ammi Ahmed n'était pas mort, il était bel et bien vivant, mal en point mais il vivait toujours. Il creusa pour se faire un passage et sortir de ce qui a failli être sa tombe. Il ne réapparut que le jour de l'indépendance devant les membres de sa famille qui n'en croyaient pas leurs yeux, l'ayant déjà considéré comme tombé au champ d'honneur.




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