« Nous avons pensé à organiser ce séminaire
car, avec l'introduction de la contractualisation, il y aura de grands
problèmes avec la CNAS. En effet, avec la médecine gratuite, il était aisé pour
un malade de recevoir des soins dans n'importe quel hôpital, mais maintenant
c'est le médecin contrôle qui devra se prononcer sur l'opportunité de ces
soins. Et si pour les maladies somatiques le diagnostic est facilement
réalisable car se basant sur des données et des constatations physiques et
scientifiques, avec les maladies mentales il en va autrement», c'est ainsi que
le Pr Bachir Ridouh, chef du service de psychiatrie au CHU Frantz Fanon
explique le choix du thème pour ces 5ème journées psychiatrique Benmiloud,
tenues les 10 et 11 juin courant. En effet, et toujours d'après le Pr. Ridouh,
le malade mental peut obtenir un taux de 100 % d'incapacité chez un psychiatre
qui prend en compte le côté social et humain du malade et, en revanche, ne
bénéficier que de 10% chez un autre qui ne se laisse guider que par la science
pour déterminer ce taux. Les deux psychiatres ont raison mais c'est le médecin
contrôle de la CNAS qui va se retrouver devant un dilemme : devra-t-il accorder
100 ou 10% d'incapacité? C'est donc un problème de perception de la détresse
humaine car «les gens souffrant de maladie psychiatrique sont les plus démunis,
ils ne peuvent même pas se retrouver dans le dédale administratif avec les
va-et-vient entre les médecins contrôleurs, les services de la CNAS» enchaîne
le professeur Ridouh. D'ailleurs le malade est doublement pénalisé si le
médecin de la CNAS ne lui reconnaît que 30 ou 40 % d'incapacité car la DAS, qui
verse un pécule de 3000 DA aux handicapés à 100%, le lui refusera. Tous ces
problèmes sont dus au fait que le taux d'invalidité en psychiatrie ne peut être
défini de la même manière par les différents intervenants et c'est le malade,
déjà en détresse multiforme, qui en subit les conséquences, souvent
dramatiques. Les exemples foisonnent et nous prendrons
celui de Mme D.G. qui est arrivée en service de psychiatrie médico-légale pour
qu'elle subisse une expertise demandée par la CNAS.
La malade en question souffre d'une
pathologie mentale assez lourde mélangeant un sentiment de persécution,
d'injustice à son égard, de jalousie de la part des autres, ce qui a entraîné une
psychose chronique.
L'évaluation de son état par les
psychiatres les a amenés à proposer le maintien de son invalidité avec une
réévaluation une année après. Une décision contraire aurait conduit à une
aggravation de son état dépressif et elle la ressentirait comme une persécution
supplémentaire. Un autre exemple édifiant est celui de B.A. 42 ans, marié et
père de 4 enfants.
C'est un fonctionnaire dans une entreprise
nationale mais qui est en arrêt de travail pour maladie de longue durée depuis
3 ans. Victime d'un accident du travail qui lui a causé un traumatisme crânien,
B.A. a présenté par la suite des signes pathologiques mentaux comme un
sentiment profond d'insécurité, une céphalée, des vertiges. Il s'est présenté
chez un psychiatre qui lui a prescrit des anxiolytiques et des antidépresseurs
avec un arrêt de travail que le médecin contrôle de la CNAS a subordonné à une
expertise médico-légale.
Le psychiatre qui l'a examiné a conclu que
le malade devait bénéficier d'une prolongation de l'arrêt de travail car son
état de santé ne lui permettrait pas la reprise d'activité. Une année après, le
même malade se présente encore devant l'expert qui ne trouve aucun changement
dans son état, qui s'est d'ailleurs détérioré un peu plus malgré le traitement,
et préconise la prolongation de son arrêt de travail.
Le médecin contrôle le renvoie deux mois
après auprès du même expert qui devait dire si la maladie dont souffre BA entre
dans la catégorie des Maladie de Longue Durée (MLD). Le malade continue de bénéficier
de son congé de maladie de longue durée et, une année après, il est stabilisé
et ses crises s'étant atténuées, le psychiatre l'informe qu'il peut reprendre
son travail mais à la grande surprise du médecin le malade répond : «mais où
vais-je reprendre mon travail, l'entreprise «coulette» (a coulé)? C'est-à-dire
que l'entreprise a fermé ses portes.
Ce sont ces histoires dramatiques à plus
d'un titre que rencontrent quotidiennement les psychiatres. Mais il reste
toujours cette détresse humaine, ce sentiment d'abandon qu'ont les malades
mentaux face à une réglementation rigoureuse qu'ils ne comprennent pas. C'est
pour attirer l'attention de tous sur ces souffrances silencieuses et
dramatiques que le Pr. Ridouh et tous ceux qui sont avec lui que ces journées
ont été organisées. Mais il reste toujours que c'est l'installation d'un climat
de confiance et de dialogue qui doit prévaloir dans ces cas, car ce sont
souvent ces malades démunis, qui ont perdu toute attache et toute aide, que
nous retrouvons errants, sales, repoussants, perdus et mal compris, avec cette
lueur dans les yeux qui nous poursuivra toujours pour nous rappeler que ce sont
aussi des êtres humains comme nous et que nous nous devons de leur tendre la
main afin de les faire sortir de leurs conditions.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 14/06/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Tahar Mansour
Source : www.lequotidien-oran.com