"Le ciel reste désespérément bleu. On s'en inquiète tellement qu'on n'en parle pas. Les grandes craintes se rangent au placard. En surface rien." Ainsi commence Ali Malek, un nom à retenir dans la littérature algérienne, et qui récidive, après Les yeux ouverts, paru chez Barzakh, avec un nouveau recueil de nouvelles Bleu mon père, vert mon mari, sorti chez le même éditeur. Ali Malek use d'un verbe facile et de mots tranquilles pour raconter, en quatre nouvelles, les petits destins d'hommes et de femmes qui nous ressemblent, qui nous rapprochent d'une Algérie profonde, celle des villages perdus et des âmes en dérive.
"Ne savez-vous pas qu'un village, une agglomération ne sont pas dignes d'être habités s'il n'y a pas de temple", dit El-Hadj Meziane, qui aurait cent trois ans, mais son visage ne porte pas de rides, raconte Ali Malek dans la première nouvelle. Le mort a les yeux ouverts, ce centenaire est un peu l'âme de ce village qui s'accroche lui pour croire encore au miracle de la vie. Dans cette nouvelle, des personnages s'entrecroisent dans un espace presque clos, un village où tout circule, tout se sait. Il y a la directrice de l'hôpital, citadine échouée dans un vieux bourg avec ses jupettes et ses rondeurs qui attirent les regards masculins. Il y a aussi le petit Belkacem et son histoire traumatisante avec la découverte d'un cadavre à moitié enseveli.
La deuxième nouvelle, dont le titre est donné au recueil, sonde les profondeurs de l'âme féminine avec Malika. Cette femme, jeune, mariée à un homme vil et sans scrupules, est un prétexte saisi par l'auteur pour parler des frustrations et des traditions balourdes qui écrasent les femmes.
Malika prend goût au sexe avec un mari insatiable. En se donnant de la sorte, elle prend revanche sur une éducation stricte qui stérilisa son être. Mais son mari ne l'initie pas qu'aux plaisirs charnels, mais aussi à la boisson alcoolisée. Il l'entraîne même dans les bars dont les arrière-salles qui abritent les débats passionnels des filles de joie. Malika, séduite, par cette vie excitante, s'offre un amoureux.
"Vive la démesure, et quelle revanche sur ce village où les âmes ploient sous le joug humiliant du vide et de l'insignifiant", pense la jeune femme. Mais son vieux père, pieux et sage, n'aime pas ce gendre qui a débauché sa fille aimée. Il lui demande de divorcer. Mais Malika préfère son mari. Dans les deux autres nouvelles Le facteur oublie de sonner et Du couscous aux yeux bleus, l'auteur use d'un genre littéraire assez complexe, car la nouvelle reste une pratique qui exige de la technique et du doigté. Il prouve ses capacités en créant des personnages riches qui vont évoluer dans un temps et un espace limités, sans pour autant être dénaturés de leurs caractères. Qu'un facteur n'apporte que des lettres bizarres, il fallait l'inventer.
Et ces lettres souvent envoyées à des personnes mortes ouvrent les portes sur des souvenirs et des événements. Puis suit l'étrange histoire de cette jeune fille. Prise d'un accès de folie, elle s'est mise à danser jusqu'à la mort dans un mariage où elle n'était pas invitée. Et Yahia, qui n'avait d'yeux que pour elle, qui l'accompagne à l'hôpital, alors qu'elle gisait inerte à l'arrière de la fourgonnette, et qui aide à creuser sa tombe, sait que cet été ne sera plus comme les autres. Il décide alors d'aller sur la tombe de la jeune fille, les étés suivants, pour lui dire les chansons qu'il écrira pour elle. Ali Malek, né en 1968, a du talent et son écriture lisible et plaisante dénote d'une naissance littéraire à suivre.
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Posté Le : 17/07/2002
Posté par : nassima-v
Ecrit par : Nacéra Belloula
Source : www.liberte-algerie.com