Algérie

Biskra l’été, ses senteurs et ses saveurs



Biskra l’été, ses senteurs et ses saveurs
Publié le 27.07.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
ABDELHAMID ZEKIRI

Parler de Biskra surtout à ceux qui ne l’ont jamais visitée ou connue, c’est une grande aventure tant dans l’imaginaire des gens du nord du pays, c’est une oasis en plein désert avec comme toile de fond des tentes, des chameaux et un espace infini. Pourtant, c’est l’une des plus anciennes villes d’Algérie qui a vu défiler plusieurs civilisations qui, tour à tour, ont laissé des traces indélébiles.
Si à travers les textes connus ou méconnus, les écrits laissés par les nombreux auteurs on parle souvent du Biskri, il est rare de trouver des textes réservés aux différentes saisons, l’été de Biskra en particulier.
L’arrivée de l’été est annoncée tambour battant par les traditionnelles canicules accompagnées de vent de sable. D’habitude, les anciens fêtaient cette saison par un regroupement familial autour d’un frugal repas composé essentiellement de fruits de saison et de boissons fraîches dont la plus importante : le lagmi, ce succulent jus de palmier servi frais de préférence, car une fois fermenté, bonjour les dégâts ! Ce ne sont pas les vœux d’une bonne saison qui manquent surtout pour que la température soit clémente.
A Biskra, on se lève tôt pour profiter de la fraîcheur matinale pour faire ses courses, profiter des fruits et légumes frais et surtout venir aux nouvelles autour d’un thé à la menthe au niveau de plusieurs cafés qui entourent le marché central qui devient, en l’espace d’une matinée, un hémicycle de conciliabules qui prennent fin avant que le soleil n’ait raison de tous avec l’espoir de reprendre les débats le lendemain.
Ici, on n’est pas loin de haret Essoug, ou quartier du marché qui est le noyau central autour duquel s’articulent toutes les activités commerciales et sociales de Biskra.
Véritable lieu de rencontres de gens de tous horizons et de tous bords, c’est là qu’on vient faire son marché, procéder à l’achat ou à la vente, annoncer ou recevoir des nouvelles, exhiber de nouveaux habits ou tout simplement découvrir tout ce que la ville offre au quotidien.
Ce lieu, qui à l’origine, nous-dit-on, était une mare d’eau (El Guelta) où venaient s’abreuver les chameaux des caravaniers, avait été transformé par les ingénieux commerçants mozabites qui donnèrent à l’endroit une architecture néo-mauresque avec des arcades, des petites fenêtres et des passages entre les locaux que rien au monde ne pouvait déranger ou percer certains secrets liés aux familles et à la profession.
Ce lieu est aussi la destination privilégiée des touristes, visiteurs ou
transitaires qui y trouvent des épices, des produits de l’artisanat et apprécient les senteurs et les saveurs des Ziban. Ce quartier demeure très actif durant la matinée, l’après-midi, c’est le désert au même titre que Z’gag Berramdane, quartier mitoyen Z’gag ou Z’kak, comme il vous plaira de prononcer, ce n’est pas un néologisme, mais une simple appellation voulant dire, rue ou ruelle.
A Biskra, ce quartier est très animé durant l’été en particulier. Anciennement avenue Salah-Bey c’est l’une des rues les plus fréquentées et pour cause ! Durant l’occupation française, elle était traversée par une séguia qui servait de moyen d’irrigation aux palmeraies, séguias bordées par des fontaines en fonte pour alimenter les habitants en eau potable. Même si l’avenue était baptisée au nom de Salah Bey, d’aucuns s’accordent à l’appeler Z’gag Berramdane ou tout simplement Ezzegag.
Que ce soit les Biskris, les visiteurs d’un jour ou de toujours, peu connaissent la signification réelle de cette appellation ainsi que sa portée historique. Avec le temps, il signifie le lieu de rencontre le plus prisé qui rappelle les souvenirs d’un passé, d’un présent et d’un futur. A son évocation, des images enfouies au plus profond de la mémoire rejaillissent à la surface du présent. Ezzegag est aussi synonyme de nostalgie, il est une source inépuisable d’argent. On peut bâtir sa fortune ou du moins en poser les premiers jalons. Cette belle perspective fait courir toutes les couches de la société, jeunes et vieux, universitaires à la recherche d’un emploi.
Pour les visiteurs et les gens de passage, un tour à Z’gag Berramdane est indispensable pour dire qu’on a effectivement visité Biskra. Cet endroit est surtout un marché coincé entre les deux principales artères de la ville, l’avenue Emir-Abdelkader et Zaâtcha, adossé au lotissement Kablouti, on y trouve tout ce qu’un client potentiel semble chercher. Cela va du produit de première nécessité au produit made in là-bas importé des grands bazars d’Izmir, Dubaï ou Taïwan.
Ce marché semble vivre à part et tient à sa liberté, une liberté qu’il garde jalousement. C’est une entité autonome avec son propre rythme de vie, ses lois et sa réglementation. On y côtoie le badaud, le cadre, le fonctionnaire, l’intellectuel, l’analphabète, le policier et le pickpocket. C’est un marché matinal, c’est un lève-tôt, il s’étire et quitte son lit à l’aube. Les commerçants préparent leurs étals pour faire face aux premières vagues de clients. C’est au milieu d’un désordre ordonné que l’on tente de se frayer un chemin que l’on finit malgré tout par trouver. Ici tout le monde se connaît ou du moins semble se connaître, une forme d’habitude qui s’installe.
Tout en faisant ses emplettes, on discute des évènements, de l’US Biskra ; El Khadra est dans tous les cœurs. Au fil des heures et comme par enchantement, c’est le calme, les étals débarrassés de leurs charges semblent orphelins et attendent le lendemain. Z’gag Berramdane fait désormais partie d’une ville aux mille et une histoires.
En ces temps, les amateurs de gnawiya (gombo) ne manquent pas, comme c’est la saison au même titre que el berzguala, cette plante de la famille des euphorbes. Je vais me faire le plaisir d’ouvrir une parenthèse pour les amateurs de gnawiya essentiellement. Si la doubara et la chakhchoukha ont toujours été les stars incontestées, d’autres mets demeurent des moyens regroupant les fins gourmets qui en font aussi des occasions de convivialité et de partage. Ce sont le couscous (bendrague ou berzgala) de la famille des euphorbiacées très riche en fer et en protéines ainsi que le gombo appelé communément gnawiya ou corne grecque. Pour ceux qui ne connaissent pas legnawiya, c’est un petit légume très répandu à l’est du pays, particulièrement à Annaba, Guelma, Souk Ahras et Biskra, cette dernière qui en fait une culture exotique que les connaisseurs s’arrachent, quel qu’en soit le prix. La variété cultivée à Biskra est beaucoup plus tendre que ses sœurs du Nord et de taille plus petite dont la coupe transversale laisse apparaître un parfait pentagone recouvert de soie duveteuse.
Legnawiya est aussi une chasse gardée des cordons-bleus. Peu populaire, la préparation de ce plat reste du domaine réservé des maîtresses de maison qui savent choisir un morceau de viande d’agneau, des piments verts, le persil frais et surtout la galette (kh’mira), pour l’accompagner. D’une saveur incomparable, de consistance un peu gélatineuse, si legnawiya rebute quelques-uns au même titre que lemloukhiya (un autre plat sur lequel je reviendrai), elle est en fait très recherchée par les connaisseurs qui, devant ce plat, ont des yeux pétillants de bonheur, un bonheur que je souhaite à tous.
Tout en continuant notre balade estivale en plus de jeux, il y a des tenues vestimentaires typiques parmi lesquelles les sandales ou nails. Il est de tradition pour le Biskri, à l’approche des grandes chaleurs estivales, de se débarrasser des chaussures encombrantes et gênantes pour les pieds pour les remplacer par les traditionnelles nails, beaucoup plus légères et pratiques aussi bien pour la marche que pour les ablutions. Ces nails ou sandales sont devenues célèbres avec le temps. Avec la gandoura, c’est l’accoutrement par excellence en été pour les gens du Sud en général et pour les Biskris en particulier.
A Haret Essoug, encore une fois, c’est un chapelet de cordonniers, de tailleurs, de dinandiers et même un forgeron qui semblent se tenir compagnie en défiant le temps et surtout s’opposer aux produits made in là-bas qui ont envahi le marché.
Pour Lebsakra, chaque année, une paire de nails est indispensable pour étrenner la nouvelle saison estivale. Pour les plus aisés, ce sont deux voire trois paires qu’on se fait « monter » par respect à l’expression d’usage. De couleurs différentes, marron, blanches ou noires, elles sont savamment décorées et découpées sur un cuir bien traité et résistant.
Chez les plus avertis, on essaie d’avoir un modèle unique, manière de se différencier des autres ou même de se faire distinguer. Les mêmes dessins des nails seront reproduits sur l’éventail fabriqué à base de produits du palmier, ce qui donne une tenue d’apparat estivale avec laquelle on procède à des parades interminables le soir venu.
La légèreté et le bien-être de ces tenues n’ont d’égal que le plaisir qu’on se fait de les porter. Heureusement pour nous, ces produits, même si le look accuse quelques changements, restent les dignes garants des traditions ancestrales que l’on garde jalousement comme un patrimoine. Toujours durant l’été, ce sont les palmeraies qui deviennent les directions les plus privilégiées car en plus de l’ombre qu’elles offrent, ce sont les petits bassins d’irrigation qui se transforment en plans d’eau pour les jeunes et les adultes. Pour d’autres plus veinards, ils peuvent se payer le luxe d’aller à la piscine olympique du complexe sportif d’El Alia ou celle semi-olympique d’Erremchi quand d’autres, beaucoup plus nantis, se dirigent vers les complexes touristiques dotés de piscine ou, mieux encore, vers l’aquaparc des Ziban. Pour le rappel, ces moments de détente incitent bon nombre à se faire plaisir autour d’une partie de dominos, de cartes (rounda) ou de dames qui se jouent sur les terrasses particulièrement le soir où l’on guette la moindre brise pour un semblant de fraîcheur.
Ailleurs, sous les bougainvilliers ou à l’ombre du ficus, les vieux s’amusent à la kharbgua, dérivé de jeux de dames ou d’échecs et là, gare au vaincu, car il sera dans l’obligation de payer la tournée de thé à la menthe ou de café à toute l’assistance. Comme dirait l’autre «la note fait moins mal que la partie perdue», traduire : «Ma dharrouniche lek hawi, dharreni ennak’ch.» Pendant que certains sont à la recherche d’un semblant de fraîcheur, quand d’autres se dirigent vers le littoral, Biskra redevient la destination d’une clientèle insolite : les amateurs de sablothérapie qu’on appelle « erraddama ». Ce sont notamment des personnes âgées, des routiers ou des gens souffrant de rhumatismes qui viennent s’enfouir dans le sable chaud de Aïn Bennaoui sous l’œil vigilant d’experts locaux, moyennant quelques dinars, qui s’occupent de cette clientèle qui profite également des bienfaits de Hammam Salihine ou de Hammam El Baraka. Il s’agit là d’un job d’été pour de nombreux jeunes. Des jeunes qui, le soir venu, se dirigent vers les nombreux stades de proximité pour les interminables tournois interquartiers de football. Ceci pour les garçons, pour les filles, elles attendent impatiemment la rentrée scolaire et surtout celle universitaire pour ressentir un petit air frais de liberté.
De nos jours, alors que le cadre bâti ayant totalement changé, le torchis ayant cédé sa place au béton, les séguias porteuses de fraîcheur ont été déviées de leurs cours pour disparaître à jamais. Par conséquent, les figuiers, les grenadiers et autres vignes ne sont que des souvenirs immortalisés sur des cartes postales, quand celles-ci existent.
La climatisation, bien que nécessaire, a dégradé, voire même détruit l’environnement. Que de ferraille sur les murs. Avant, c’était des ouvertures pour y introduire une boîte à ventilation ou un humidificateur, aujourd’hui, avec les nouvelles productions, ce sont les doubles corps avec une boîte imposante accrochée à l’extérieur soufflant le chaud qui s’ajoute au mercure, le bruit assourdissant ne s’arrête qu’en cas de panne d’électricité ou de délestage de la société distributrice d’énergie.
Autrefois, le soir venu, on se pressait à prendre place sur les terrasses des maisons, qui, après un abondant arrosage, procuraient fraîcheur et détente. Sur un trépied, une outre fabriquée à base de peau de chèvre pend en dégageant une odeur d’huile de cade. C’est à la lumière d’une lampe tempête que se réunissaient les membres de la famille autour d’une gassaâ contenant un couscous au lait garni d’oignons et de fèves concassées. Au dessert, c’est des grands quartiers de pastèque ou de melon qui sont équitablement répartis. Le reste de la soirée, parfois un thé à la menthe vient agrémenter ces moments de partage, où les vieux, synonyme de sagesse, racontent des histoires qui, associées aux étoiles, nous faisaient voyager dans le monde de l’imaginaire. Souvent, ce sont des bouqalas qui s’invitent et donnaient lieu à de véritables compétitions entre filles et garçons. Ah, qu’il faisait bon vivre !
En ces temps, il n’y a vraiment pas un grand choix, ce sont des soirées interminables dans des conciliabules, des parties de dominos ou bien un enfermement dans des cages à poules qu’on appelle des bâtiments ou HLM sous la brise du climatiseur et l’on conjugue le verbe zapper à tous les temps sauf au temps qu’il faut en pensant au temps qu’il fera demain !
Abdelhamid Zekiri




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