Algérie

Biographie de Sidi El Houari



MOHAMMED BEN OMAR EL—HAWARY (1)
Le cheikh, le pieux waly, celui qui avait une connaissance parfaite de Dieu, le pôle du monde surnaturel, Abou Abdallah, voyagea beaucoup en Orient et en Occident, sur terre et sur mer. Il fit ses premières études à Fez, sous la direction de Mouça El-Abdoucy et d'El-Qabbab, et, à Bougie, sous celle des deux cheikhs Ahmed ben Idris (2) et Abderrahman EI-Ouaghlicy. Il aimait à parler des habitants de cette dernière ville, dont il louait l'amour pour les étrangers et pour les fakirs musulmans ainsi que la façon honnête dont ils se comportaient à leur égard. Ayant quitté la ville de Fez pour se rendre en Orient et s'acquitter du devoir du pèlerinage, il entra en Égypte, où il se mit en rapport avec les savants du pays, dont il suivit les cours d'enseignement, entre autres le célèbre El-Qarafy. De là, il se rendit dans les villes sacrées de La Mecque et de Médine, où il séjourna un certain temps. Puis il partit pour Jérusalem, afin de visiter la maison sainte et d'y faire ses prières. Il parcourut la Syrie et alla s'installer dans la mosquée des califes ommiades (à Damas) (3). Pendant ses pérégrinations, il s'était retiré dans un bois touffu où il vivait familièrement avec les lions et les autres animaux féroces qui venaient le visiter (4). Il vint ensuite se fixer à Oran, où il se voua entièrement à l'étude de la science divine, à la pratique du bien et à l'exercice de la perfection dans toute sa conduite ; c'est ainsi qu'il se rendit utile à tous ceux qui avaient le bonheur de l'approcher. Vers la fin de sa vie, la plupart de ses discours, dans ses conférences, roulaient sur l'annonce de la miséricorde et de la clémence infinies de Dieu.
« Sous le rapport de la sainteté, dit certain auteur, nul ne peut lui être comparé. Il eut pour disciple Ibrahim Et-Tazy. On lui doit l'ouvrage dont nous avons déjà parlé et qui porte le titre de Tenbih. (Avertissement). Il mourut à Oran, en l'année 843 (12 septembre 1439). » -
Voici les renseignements que nous fournit le cheikh Abou Abdallah ben El-Azreq : « J'ai lu ce qui suit, dit-il, dans un ouvrage sorti de la plume de l'un de nos contemporains : Lorsque cheikh, le pieux ami de Dieu, le célèbre Abou Abdallah El-Hawary eut composé le livre intitulé Es-Sehou (L'oubli) et l'Avertissement (Tenbih) qui l'accompagne, le jurisconsulte Abou Zeïd Abderrahman, plus connu sous le nom d'El-Moqellech (Le difforme) (5), prit cet ouvrage et en retoucha les vers et le style ; puis il vint trouver le cheikh et lui dit : Sidi, j'ai corrigé • votre Sehou. — Le Sehou que vous me présentez, lui dit alors le cheikh, s'appelle le Sehou d'El-Moqellech ; quant au mien, c'est le Sehou des fakirs ; ils ne doivent examiner que le sens qu'il renferme et non la correction du langage de Mohammed El-Hawary ou la régularité de ses vers. Mon Sehou restera donc tel que je l'ai écrit. »
Ibn El-Azreq fait à ce propos la remarque suivante :
« C'est dans le même sens que plus d'un poète a dit :
«.Un langage correct et châtié qui n'exprime pas des idées pieuses ne sert de rien ; et un langage incorrect et barbare n'a jamais déparé un homme pieux. »
« Quant à Abderrahman, ajoute-t-il, il fut pris d'un tremble-ment convulsif et mourut pour avoir voulu contrarier le cheikh. »
La faveur dont jouissait sidi Mohammed El-Hawary auprès de Dieu est légendaire : elle est connue des Grands et des Petits. Tout le monde -vénère la mémoire de ce cheikh et s'accorde à reconnaître que sa sainteté était bien supérieure à celle des autres saints qui furent ses contemporains en Occident. Pour le visiter et lui, présenter ses hommages, sidi Lahcên ben Mekhlouf se rendit à pied et pieds nus, des portes de Tlemcen à sa demeure à Oran.".C'est ainsi que les saints ou ceux qui ont goûté quelques-unes de leurs grâces savent apprécier le mérite des saints.
« Entre autres miracles qu'il opéra, dit sidi Mohammed Es-Senoûsi,.' en voici un que m'a raconté le cheikh, le saint, le très savant, le distingué sidi Soleïman ben Iça, devant sa maison sise à Qala'at-Hawara (Kalaa, arrondissement de Mascara, commune mixte de l'Hillil) : « J'avais écrit, me dit-il, une lettre d'environ soixante-dix lignes au cheikh Mohammed El-Hawary, dans laquelle je me plaignais de certaines choses et l'interrogeai sur d'autres. Lorsque mon envoyé fut parti avec ma missive, une idée me traversa l'esprit et je me dis : « Comme il se pourrait que mon commissionnaire ne retint pas exactement les réponses du cheikh aux questions que je lui ai posées dans ma lettre, il est plus prudent que je me rende en personne auprès de celui-ci pour entendre de mes oreilles les réponses qu'il me fera. » Je partis donc sur les traces de mon envoyé, mais il m'avait devancé auprès du cheikh et lui avait déjà remis mon écrit en lui disant: Ceci est une lettre de sidi Soleïman ben lça. d'El-Hawara. — Qui l'a apportée ? lui demanda le cheikh; Est-ce toi ou celui qui l'a écrite? — A cette question, mon messager demeura tout étonné, car il n'en comprit pas la raison. Je pénétrai subitement chez le cheikh juste au moment où il venait de demander à mon coursier si c'était lui ou moi qui avais apporté la lettre, et à l'instant même où celui-ci lui répondait: « Sidi, ceci est une missive de Sidi Soleïman. » En me voyant saluer le cheikh, mon envoyé fut stupéfait de la question qui venait de lui être posée et de ma présence en ces lieux, sachant m'avoir laissé à Hawara. Il se tut et ma lettre resta par terre devant le cheikh, qui, sans la ramasser, ni l'ouvrir, ni m'interroger sur son contenu, se mit à répondre jusqu'au bout, ligne par ligne et dans l'ordre où je les avais écrites, à toutes les questions qu'elle renfermait; puis il répondit à toutes celles que je lui posai mentalement, sans qu'il.fùt nécessaire que je dise un seul mot. Tout ce que j'avais vu m'avait tellement émerveillé qu'il m'incita à composer un poème dans lequel j'ai loué le cheikh et les faits 'extraordinaires dont il m'avait fait le témoin. Cette poésie contient plus de soixante vers. » « Je ne me souviens plus (dit sidi Mohammed Es-Senoûsî) s'il me dit : plus de soixante ou plus de soixante-dix vers. Il nous en récita alors quelques-uns, et comme nous lui demandâmes de nous communiquer ,le poème, il le chercha sans pouvoir le trouver à ce moment.. Arès sa mort, son fils nous promit de nous envoyer cette poésie mais il mourrut lui aussi sans que Dieu lui eût permis de tenir sa promesse.
« Le cheikh, le saint, le savant accompli, celui qui sous le
rapport de la générosité et de la compassion pour les malheureux, était une insigne merveille de la puissance divine, sidi Abd-el-Hamid El-Asnouny qui avait été l'un des amis les plus intimes du cheikh sidi Lahcén ben Mekhlouf, m'a, dans sa demeure sise à Ouencheris, raconté le fait suivant : « Je m'étais rendu à Oran, dit-il, pour faire une visite au cheikh sidi Mohammed El-Hawary. Je le saluai et m'assis. Un individu l'ayant alors interrogé sur une question scientifique : « Il n'y a, lui répondit le cheikh, qu'Ibn Merzouq, qui n'a pas d'enfants, qui puisse répondre à cette question. » je fus étonné de ces paroles: gui n'a pas d'enfants, que venait de prononcer le cheikh, car je savais pertinemment que le cheikh sidi Mohammed ben Merzouq avait deux fils. Arrivé à Tlemcen, j'allai trouver le cheikh sidi Lahcén, et après l'avoir salué, je voulus l'informer de ce qu'avait dit le cheikh. « Ne me raconte rien, me dit-il, avant d'avoir fait connaître la chose au cheikh sidi Mohammed ben Merzouq. » Je partis. Comme il faisait très chaud, je me dirigeai vers la medersa du quartier de Menchar el Djeld, en me disant : « Je ne peux vraiment pas me rendre chez le cheikh à cette heure ; il vaut mieux que j'entre dans cette medersa pour me mettre à l'ombre et que j'y reste jusqu'à la prière de midi, heure à laquelle je rencontrerai le cheikh, s'il plait à Dieu. » Or, pendant que je faisais cette réflexion, voilà que le cheikh sidi Mohammed ben Merzouq me tira par derrière, et m'ayant attiré du côté du passage réservé aux imams de la mosquée : « Raconte-moi, me dit-il, ce que tu as entendu dire au cheikh sidi Mohammed El-Hawary. » Grand fut mon étonnement de voir qu'il avait deviné ce qui s'était passé, car je venais d'arriver d'Oran et n'avais rien dit de cela à personne. Lorsque je lui eus rapporté les paroles prononcées par le cheikh sidi Mohammed El-Hawary : « Louange à Dieu qui me débarrasse d'eux ! » s'écria-t-il ; il avait, en effet, conclu des paroles du cheikh que Dieu avait révélé à celui-ci qu'il perdait sous peu ses deux enfants; or, les événements confirmèrent cette prédiction. »
« Mon frère sidi Ali m'a raconté l'anecdote que voici : « Lorsque, dit-il, le sultan (de Tunis) Abou Faris se dirigea vers Tlemcen, sous le règne du sultan Ahmed, celui-ci, ayant grande peur de son ennemi, descendit (à Agadir) chez le cheikh sidi Lahcén et lui dit: « Vous savez, sidi, que ce prince fait route vers nous je viens donc vous consulter pour savoir lequel des trois partis suivants il faut que je prenne: dois-je aller à la rencontre de mon ennemi et l'attaquer en chemin ? Dois-je attendre son arrivée? Ou bien dois-je me rendre au port de Honeïn et m'y embarquer pour l'Espagne? — Je ne sais que vous dire, lui répondit le cheikh, mais il y a ici quelqu'un qui pourrait vous être utile dans cette circonstance ; je veux parler du cheikh Bakhty, le serviteur du cheikh sidi Mohammed El-Hawary ; dépêchez-le auprès de son maître avec une lettre de vous dans laquelle vous lui demanderez ce qu'il convient de faire. » Sidi Lahcén manda alors le serviteur du cheikh sidi Mohammed EI Hawary, et quand celui ci se présenta, le sultan, qui était assis, lui dit : « Je désire que vous m'apportiez sans retard la réponse du cheikh. » Sidi Bakhty s'étant engagé à remplir cette mission, le sultan, après avoir regagné son palais, lui remit une lettre autographe scellée de son sceau. « Lorsque j'entrai chez la cheikh avec la lettre du sultan, raconta sidi Bakhty, il me dit, avant même de l'avoir vue et avant que je lui eusse parlé du sultan et de son affaire : « Bakhty, nous n'avons pas besoin d'entrer en relation avec le sultan; qu'est-ce doue qui nous a poussés vers lui » — Sidi, lui répondis-je, c'est en présence du cheikh sidi Lahcén que ceci a eu lieu et je n'ai pu m'y soustraire. » Quand il m'entendit nommer le cheikh sidi Lahcèn dans cette affaire, il éprouva une certaine joie ; puis il me dit : « Réclame la bechara (6) à ton mandant, et dis-lui: « Vous ne verrez pas le sultan Abou Faris, qui, lui non plus, ne vous verra jamais (7). »
« Lorsque, sans avoir perdu une minute, sidi Bakhty retourna à Tlemcen, dit mon frère sidi Ali, il se présenta d'abord devant le cheikh sidi Lahcèn et voulut l'informer de la réponse du cheikh sidi Mohammed El-Hawary ; mais le cheikh lui interdit de parler et lui dit : « Garde le secret de la chose qui t'a été confiée jusqu'à l'arrivée de celui à qui tu dois le communiquer. » Puis le cheikh sidi Lahcén manda auprès de lui le sultan Ahmed, qui arriva après la prière de l’asr, et s'aboucha avec sidi Bakhty, le serviteur du cheikh sidi Mohammed El-Hawary. Sidi Bakhty fit alors connaitre la réponse de son maître au sultan qui en éprouva une grande joie, et remit au serviteur de sidi Mohammed El-Hawary la somme de vingt dinars pour le récompenser de la bonne nouvelle qu'il lui avait apportée et des démarches qu'il avait faites. Selon moi, le sultan aurait dû, si l'on considère l'immensité du danger dont le Très-Haut le préserva, lui donner cent dinars et même davantage. En ce qui concerne le sultan Abou Faris, voici le sort que Dieu lui réserva : lorsqu'il eut atteint la montagne d'El-Ouencheris, et qu'il en eut soumis la population par la force, il s'en retourna précipitamment àTunis dans le plus piteux état, et mourut dans cette ville sans avoir été malade, le jour de la fête de la rupture du jeûne (1e Chawal 837 = 11 mai 1431), au moment où les jurisconsultes attendaient qu'il sortit de son palais pour aller assister à la prière solennelle de cette fête (8). C'est ainsi que les événements confirmèrent la prédiction de sidi Mohammed El- Hawary. »
« Mon frère sidi Ali, dit sidi Mohammed Es-Senoûsi, m'a également raconté cette autre histoire: « Le chef de tribu Othman ben Mouça El-Meç'oudy El-Aamery était un grand scélérat qui ne se faisait aucun scrupule de s'approprier le bien d'autrui et d'égorger les gens sans motif. il s'empara une fois d'une très forte somme d'argent appartenant à un protégé du cheikh sidi Mohammed El-Hawary. Le cheikh dépêcha aussitôt un de ses serviteurs au cheikh sidi Lahcèn pour lui faire dire ceci : « Comme je ne connais pas cet Othman et que vous le connaissez, je vous prie de vouloir bien lui écrire afin qu'il restitue ce qu'il a pris à mon ami. » Au reçu de ce message, le cheikh sidi Lahcèn s'empressa d'adresser une lettre à Soleïrnan ben Mouça, frère d'Othman, dans laquelle il le priait instamment de se rendre en personne auprès de son insensé de frère et de lui tenir à peu près ce langage : « N'as-tu pas trouvé d'autres personnes à détrousser que le protégé de sidi Mohammed El-Hawary ? Tu verras quelles seront les suites de ton action si tu ne lui rends pas immédiatement ce que tu lui as ravi ! » Le cheikh sidi Mohammed avait, de son côté, envoyé une lettre au brigand Othman ben Mouça, pour l'inviter à. restituer ce qu'il avait pris à. l'homme qui se réclamait de sa protection; mais cela ne fit qu'accroître l'insolence du malfaiteur qui se saisit du serviteur que le cheikh sidi Mohammed El-Hawary lui avait dépêché pour lui remettre son message, et le mit aux fers.
« Voici ce que certaine personne a entendu dire au cheikh sidi Ibrahim Et-Tazy : « Le cheikh El-Hawary était assis à sa place habituelle quand il apprit que le serviteur qu'il avait envoyé pour porter sa lettre avait été mis aux fers par Othman. A cette nouvelle, il entra dans une colère si violente que tout son visage devint noir. Puis il se leva aussitôt et pénétra dans sa cellule où il demeura quelques instants. Je l'entendis alors qui disait : « Broyé! broyé! » comme s'il indiquait à un personnage invisible la manière dont il devait faire périr Othman. Or, une noce avait lieu ce jour même dans la tribu d'Othman. Celui-ci ayant pris part à une fantasia qu'on avait organisée à cette occasion, avait lancé sa monture à toute vitesse, quand, soudain, tous les assistants, hommes et femmes, virent un fantôme blanc l'enlever de son cheval et le jeter avec violence sur le sol. Lorsqu'on vint le relever (Dieu nous préserve d'une pareille fin !), on s'aperçut que la tète lui était entrée dans l'estomac. »
« Mon frère utérin, sidi Ali, m'a dit ceci : u Le lendemain de la mort d'Othman, nous étions dans la mosquée à attendre la venue du cheikh sidi Lahcèn pour nous mettre à l'étude, lorsque nous le vimes entrer excessivement souriant. Quand il se fut assis, il nous dit : « Le brigand a subi hier le châtiment qu'il méritait; Dieu l'a fait périr d'une manière à la fois étrange et atroce; le cheikh ne lui a laissé aucun répit et a hâté sa vengeance. » Il voulait dire, par ces mots, que le cheikh sidi Mohammed El-Ilawary, s'étant vivement courroucé contre le voleur, l'avait maudit avant que la lettre adressée par le cheikh sidi Lahcén à son frère le cheikh Soleïrnan lui eût été remise par ce dernier, et sans attendre que celui-ci eût tenté d'obtenir de lui, par la douceur, ce qu'on lui demandait. Aussitôt que Dieu eut fait périr le brigand, les femmes mirent en liberté le serviteur du cheikh sidi Mohammed El-Hawary, et on rendit l'argent à son protégé, car tout le monde était convaincu que Dieu n'avait fait mourir Othman qu'à cause du cheikh. Un peu avant la mort d'Othman, sa mère l'avait mis en garde contre la colère du cheikh et lui avait prédit que cette colère entraînerait sa perte ; mais il ne voulut point écouter ses sages avertissements, non plus que ceux qui lui furent donnés par d'autres qu'elle, car il était écrit qu'il devait périr misérablement. Dieu nous garde d'offenser les saints et de nuire à ceux qu'il a choisis pour amis ! »
« Le cheikh sidi Ahmed ben Amer Et-Talouty El-Ansary, qui jusqu'à sa mort étudia avec constance la jurisprudence et s'adonna aux pieuses pratiques, m'a dit : « Au temps qui a précédé ma vocation religieuse, j'étudiais le Coran chez les Bédouins; je chevauchais avec eux et les suivais dans toutes leurs excursions. Nous entràmes une fois dans la ville d'Oran. Les cheikhs, mes compagnons, étant allés faire une visite au cheikh sidi Mohammed El-Hawary, je les suivis à contre-coeur, tant j'étais ignorant et sot. Lorsqu'ils furent sortis de chez le cheikh, je m'avançai et le saluai. Il me demanda alors qu'elle était ma profession. Je lui répondis que je vivais dans la société des Bédouins et que je les aimais. «Sépare-toi d'eux, me dit-il, tu gagneras énormément à cette séparation. » Puis il se prit à porter ses regards tantôt vers le ciel et tantôt vers moi, en me disant : « Quel bien immense serait le tien, si tu te séparais d'eux ! » Il me répéta plusieurs fois ces paroles en regardant chaque fois tantôt le ciel, tantôt moi. Je sortis de chez lui sans former le dessein de quitter mes compagnons, mais Dieu m'en sépara malgré moi. Voici comment : Pendant que j'étais malade, mes compagnons s'étant révoltés contre l'autorité du sultan, se retirèrent dans le Sahara ; leurs ennemis furent nommés chefs à leur place et il me fut impossible, à cause de la crainte que ceux-ci m'inspiraient, de séjourner dans le pays de Talout. Forcé par le destin, je me réfugiai à Tlemcen, bien que je n'aimasse pas cette ville,et que je n'eusse jamais eu l'intention d'y entrer. Je me mis alors, pendant quelque temps, à excursionner dans les montagnes qui dominent Tlemcen et chercher des trésors, pensant, tant que j'étais ignorant et tant mon coeur était absorbé par l'amour des biens de ce monde, que le bien qui, selon la promesse du cheikh sidi Mohammed El-Hawary devait m'arriver en quittant les Bédouins, était un bien temporel ; je ne supposais pas, en effet, qu'il y eût d'autres biens que celui-là. Puis Dieu me prit par la main et je descendis (à Agadir) chez le cheikh sidi Lahcén ben Mekhlouf. C'est cette céleste inspiration qui m'a valu la grâce de chérir les biens de l'autre monde et qui a fait que j'aimerai et servirai la science utile jusqu'à la mort. C'est à ce cheikh que j'entendis lire plusieurs fois, d'un bout à l'autre, la Riçala du cheikh Ibn Abou Zeïd ; sa lecture était si parfaite que je ne crois pas me tromper en affirmant qu'on n'a jamais entendu la pareille. Je fis ensuite la connaissance du cheikh sidi Mohammed ben Merzouq. Ce n'est qu'après avoir goûté les biens spirituels que je m'aperçus de l'abjection de ce monde et de la yileté de l'amour qu'on a pour lui, et que je compris clairement le sens des paroles du cheikh sidi Mohammed Et-Hawary. »
« Mon frère sidi Ali m'a raconté cet autre fait : « Un jour, dit-il, un homme venu d'Oran demanda une audience au cheikh sidi Lahcén, et le cheikh la lui ayant accordée, j'introduisis cet homme auprès de lui. Le visiteur tira alors de sa poche un acte renfermant des déclarations de témoins; puis il me le passa et je le lus devant le cheikh. Voici quelle en était la teneur : « Les personnes dont les noms sont inscrits après la date du présent acte témoignent contre le cheikh, le saint, le pôle — on énumérait ensuite une foule de qualités du cheikh sidi Mohammed EI-Hawary — qu'il garantit à un tel fils d'un tel — c'est à dire au visiteur — qu'on ne portera atteinte ni à sa personne ni à ses biens. » Le cheikh sidi Mohammed El-Hawary avait écrit de sa main, au bas de cette pièce, qu'il approuvait tout ce qu'elle contenait. Lorsque le visiteur se fut retiré et que je fus demeuré seul avec le cheikh, j'exprimai à celui-ci tout mon étonnement et toute ma surprise de voir que pareille chose avait pu avoir lieu. « Sidi Mohammed EI-Hawary, me dit alors sidi Lahcèn, est du nombre des hommes parfaits; il ne faut pas trouver étrange ce qu'il a fait, car cela lui est permis à l'exclusion des autres saints qui n'ont pas atteint son degré de sainteté. Que Dieu nous fasse retirer profit et avantage du cheikh et de ses pareils! Amen ! »
« Le pieux cheikh, le.très béni pèlerin sidi Mansour Ed-Dilmy m'a rapporté le fait suivant : « M'étant rendu à Oran, dit-il, j'allai faire une visite à sidi Mohammed El-Hawary. Le cheikh, qui savait que j'avais une zaouia (9) et que les gens se réclamaient de moi pour mettre en sécurité leurs personnes et leurs biens, me dit après m'avoir interrogé sur l'état de ma santé: « Celui-là seul a le droit d'avoir une zaouia et d'accorder sa protection aux autres, qui jouit lui-même de la protection divine, à la personne ou à l'honneur duquel nul ne peut attenter, et qui peut tout au moins, rien qu'en les touchant ou en les faisant toucher du bout de son vêtement, faire éprouver des douleurs aiguës à ceux qui s'avisent de nuire ou de s'attaquer à ses protégés ; sinon il trompe les gens. » Tel est à peu près le discours qu'il m'adressa. Lorsque le cheikh se fut retiré, je montai à l'étage supérieur de sa zaouia pour aller faire une visite au cheikh sidi Ibrahim Et-Tazy. Celui-ci avait entendu de sa chambre le propos que le cheikh venait de me tenir et où il est parlé de douleurs aiguës. Quand je l'eus salué, il rue dit : « Le cheikh-vous fournissait là une belle occasion et vous n'en avez pas profité. — Quelle est donc cette occasion que j'ai laissé échapper ? lui demandai-je. — Vous auriez dû, répondit-il, lorsque le cheikh vous a dit : « Celui qui veut s'ériger en protecteur doit tout au moins, rien qu'en les touchant ou en les faisant toucher du bout de son vêtement, faire éprouver des douleurs aiguës à ceux qui s'avisent de lui manquer dé respect », vous auriez dû, dis-je, lui répondre ceci : « Sidi, je vous demande de m'accorder ce pouvoir, et je compte sur vous pour l'obtenir. — C'est ma sottise qui m'a empêché de penser à cela, lui dis-je. — Puisque, répliqua-t-il, vous avez laissé échapper l'occasion de solliciter cette grâce, je vous la ferai tout de même obtenir, s'il plaît à Dieu. » Je fus si sot et si stupide, dit sidi Mansour, que je partis d'Oran sans demander cette faveur à sidi Ibrahim Et-Tazy,. Ce cheikh avait acquis auprès de sidi Mohammed EI-Hawary des trésors de connaissances mystiques; c'est grâce à lui qu'il put arriver aux stations extraordinaires de la vie contemplative et s'y établir fermement ; nul doute qu'en le voyant, on ne s'aperçût aussitôt, à son air, du rang élevé qu'il occupait dans la hiérarchie des soufis ou mystiques. Voici un de ses prodiges dont j'ai été le témoin. C'était à la fin de décembre ou dans les premiers jours de janvier que nous nous décidâmes à partir de chez lui pour retourner à Tlemcen en compagnie des fakirs sidi Yahia ben Abd-el-Aziz et ses disciples. Comme depuis quelques jours il faisait beau, nous voulûmes profiter de cette circonstance pour nous mettre en route, craignant que la pluie ou toute autre cause de mauvais temps ne survint et ne retardât notre voyage. Sidi Yahia et ses compagnons demandèrent alors au cheikh l'autorisation de partir et de profiter de cette période de beau temps, mais il la leur refusa ; nous la lui demandâmes après eux, et ils la sollicitèrent encore plusieurs fois inutilement. Fatigués de faire de vaines démarches, nous nous étions résignés à attendre qu'il décidât de lui-même à nous donner l'ordre du départ. Or, un matin que le ciel se trouvait chargé de nuages, que l'atmosphére était ténébreuse et qu'il pleuvait à torrents, un matin qui ne convenait certes pas à un départ et où, du reste, personne n'eût songé à se mettre en route, le cheikh nous envoya dire ainsi qu'aux fakirs de venir lui faire nos adieux. Nous primes donc congé de lui, le coeur navré à l'idée de partir par une pareille tempête, et, contraints d'obéir, nous nous mimes en route sous une pluie battante. Mais à peine eûmes-nous dépassé les portes de la ville, que la pluie cessa ; les nuages s'étant dissipés, le soleil apparut radieux ; le vent fit place à un calme absolu; il ne faisait plus froid et nous avancions en nous roulant dans les grâces qu'il avait plu au Très-Haut de nous octroyer. Nous passâmes cette nuit-là en plein champ sans souffrir du froid : on eût dit que nous étions au printemps ou en été. Nous fîmes la rencontre d'un groupe de cavaliers qui battaient la campagne dans le but d'arrêter les voyageurs; ils passèrent devant nous, mais nous continuâmes notre chemin sans détourner la tète ; Dieu leur avait lié les mains et ils se mirent à nous regarder stupéfaits jusqu'à ce qu'ils nous eurent perdus de vue. Quand nous fûmes arrivés à Tlemcen, le ciel se couvrit de nuages et il ne cessa pendant longtemps de pleuvoir et de neiger. Nous fûmes émerveillés de voir que le cheikh Ibrahim Et-sidi Tazy avait deviné le temps qu'il ferait. »
(Extrait de : Vertus des quatre derniers saints par Mohammed Es Senoûsi) (10).


Notes
1Voyez sa biographie dans Complément de l'Histoire des Beni. Zeiyan, p, 346 et suiv., et dans Neïl el-ibtihadj, p. 317.
« Mohammed El-Haouary était originaire de Haouara, postérité de Haouar, fils de Mazigh ben Bernès. La plupart des Haouara sont fixés dans la Tripolitaine. Chez ceux de Mesrata se trouve le tombeau du cheikh Zerrouk. Je citerai encore les Haouara qui forment la population de Kalâat-Asnane, bourgade où les Hannacha de Et-Tmetmatet entreposent actuellement leurs hardes et leurs grosses provisions; puis les tribus des environs de Kairouan, qui marchèrent sous la conduite de leur prince, Akkache ben Ayoub, contre Hendala ben Safouan El-Kelby, gouverneur de l'Afrique au nom de Hicham ben Abd-el-Malek et le battirent.
« Enfin les Haouara sont nombreux à Tozer, et dans le Djerid. Dans le Maghreb central, les Haouara de Mesrata, fixés près de la Kalâa des Beni-Rached, sont célèbres. Leur nom eut de l'éclat dans cette ville, dont la Kasba ou forteresse, fondée par Mohammed le Haouarite, acquit une grande réputation entre les mains des Beni-Youçof, postérité de Mohammed ben Ishaq.
« Haouar était frère utérin de El Lemt. De ce dernier est issu le cheikh Ouaggag El-Lemti, dont nous avons déjà dit un mot. Selon le cheikh Ibn Safouan, le cheikh Mohammed El-Haouari était originaire des Maghraoua. Voici le passage de l'hymne où il en parle : « Le cheikh des cheikhs, modèle de constance et de fermeté, Sidi Mohammed ben Omar ben Othman ben Sabi ben Ayacha ben Okkacha ben Seiyd en-Nas El-Maghraouy, surnommé le Haouarite, etc. » Il mourut, je crois, le matin du samedi,deuxième jour du mois de Rabi' second 843 (12 septembre 14139). (Revue africaine, année 1879: Voyages extraordinaires et nouvelles agréables, par Bou Ras, traduction de M. Arnaud, interprète militaire, p. 136.)
« La prise d'Oran par les Chrétiens fut amenée par l'invocation que fit Mohammed El-Haouari, à la suite du meurtre de son fils tué par les Beni-Zian. Sidi Ali El-Asfer et-Tlemcèny fut le témoin de ce fait. Le cheikh Ibrahim, disciple du cheikh El-Haouari, prévint les Beni-Zeïyan des conséquences de leur crime, dans un poème rimé sur la lettre ta.
« A cette cause de l'entrée des Chrétiens à Oran, il faut joindre celle-ci :
Abou'I-Abbès sidi Ahmed ben Youçof, l'un des plus grands amis et des plus fervents adorateurs de Dieu, demeurait chez les Haouara et était originaire des Beni-Ouaboud
« S'étant un jour rendu à Oran, il y fut admirablement accueilli par la population. Le caïd, ou gouverneur de cette ville, écrivit aussitôt au prince des Beni-Zeïyan :
Il existe chez les Haouara un homme très dangereux pour votre pouvoir.
« - Envoyez-le moi ou tuez-le, répondit l'Emir.
« Lorsque Sidi Ahmed ben Youçof vint auprès de sa famille, à Ras-el-Ma, le gouverneur communiqua au chef des Haouara, Ahmed ben Gbanem, les ordres qu'il avait reçus au sujet du cheikh. Ce dernier eut vent du complot tramé contre lui, il quitta la contrée en lançant cette malédiction :
Ils nous chassent de notre pays, que Dieu les chasse à leur tour de terre et de mer. »
« Peu de temps après, Dieu, pour chasser les Beni-Zeïyan de la mer, se servait des Infidèles, qui prirent Oran, et, pour les chasser de terre, employait les Turcs, qui entrèrent à Tlemcen. Sidi Ahmed se dirigea chez les Beni-R'edou. Un parti de Soueïd l'arrêta en chemin. Ce juste prit trois cailloux, les pressa dans ses mains et les réduisit en une poussière ténue comme de la cendre.
« — Si vous vous opposez à mon passage, s'écria-t-il, en s'adressant à ces coupeurs de route, Dieu vous brisera comme j'ai brisé ces pierres.
Ces gens, terrifiés et repentants, firent acte de soumission. D'après Es-Sebbagh, sidi Ahmed ben Youçof avait une fille appelée Aïcha.
« Les miracles de ce saint homme, mort eu 931, sont innombrables. Son tombeau, situé à Miliana, est très visité.» (Ibid., p. 139.)
Sur Sidi Ahmed, ben Youçof, voyez R. Basset, Les dictons satiriques de Sidi Ahmed ben Youçof, p.22 et une étude de Destaing.
Pour Sidi Mohammed El-Hawary, voyez les références données par M. René Basset, Fastes chronologiques de la ville d'Oran, in bulletin de la Société de Géographie d'Oran, 15' année, tome XII, fasc. LII, janvier-mars 1892, p. 61. Cf. Fey, Histoire d'Oran, et Doutté, Les Marabouts, p. 13 et 60.
2Ahmed ben Idris El-Bedjaouy mourut à Bougie postérieurement à l'année 760 de l'hégire (inc. 3 décembre 1358). On lui doit un commentaire sur le Précis d'Ibn Et-Hadjib. Voyez sa biographie dans le Dibadj, p. 83,, et dans Neél el-ibtihadj, p. 50.
3>/B>Pour la Mosquée des Omméïades, voyez R. Dozy, Essai sur l'histoire de l'Islamisme, un vol., Leyde, Paris, 1879, p. 486 et suiv.
4La kheloua (retraite) de Sidi Mohammed El-Hawary se trouve dans la commune-douar de Barkéche, chez les douairs, commune mixte d'Aïn-Témouchent, près d'Aïn-el-Arba.
5"Le Neil el-iblihadj le nomme tantôt EI-Meqlachy, tantôt El-Meqlach.
6La bechara est une somme d'argent que l'on donne à celui qui apporte une bonne nouvelle, ou à celui qui fait retrouver un animal ou un objet volés.
7Cf. Ez-Zerkéchy, Chronique des Almohades et des Hafcides, p. 210 de la traduction.
8D'après El-Ouenchericy, le sultan Abou Faris serait mort subitement, non à Tunis, mais dans les montagnes du Ouencheris, à son retour de l'expédition de Tlemcen. Voyez Neïl el-ibtihadj, p. 303, ligne 13. Cf. Ez-Zerkéchy (Chronique des Almohades et des Hafcides, p. 210 de la traduction) qui le fait mourir le 9 de Dhou'1-hiddja 837.
9Une zaouïa est à la fois une chapelle qui sert de lieu de sépulture à la famille qui a fondé l'établissement.; une mosquée pour faire la prière en commun; une école où le Coran et le droit sont enseignés, et un lieu d'asile où tous les hommes poursuivis par la loi ou persécutés par un ennemi, trouvent un refuge inviolable. C'est aussi le lieu où se réunissent les membres d'une même confrérie religieuse.
10La biographie de Sidi Mohammed El-Hawary se lit aussi dans Parterre de jonquilles ou Vertus des quatre derniers saints, par Ibn Sa'ad, publié par Destaing.



bonjour sid el houari est natif de Sour (mostaganem) et non oran
bouridane hassane - commerçant - oran, Algérie

01/05/2023 - 553624

Commentaires

j ai lut le biograpgie de sidi elhouari, c ete bien , mais je veut rajouter autre chouse, que moi j avais (jedi) shikh sidi ahmed lhouari a tinijdad-errachdia ce dernier le fils de sidi elhouari de ouahran.
abdelhafid tahiri - homme d afire - errachidia, Maroc

08/02/2012 - 26764

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