Algérie

Biographie de Bou Abdallah Ech-Choudhy El-Achebily



Bou Abdallah Ech-Choudhy El-Achebily (1)
Originaire de Séville, ce cheikh est plus connu sous le sobriquet d’El-Halouy (marchand de bombons) qui lui resta. Il fut le coryphée des contemplatifs, la couronne des réels amis de Dieu. Le prince des hommes vertueux et l’un des plus grands dévots mystiques.
Voici ce que l’imam Abou Ishaq Ibrahim ben Youçof ben Mohammed ben Dahhaq El-Aoucy, plus connu sous le nom d’Ibn El-Meraa (2), nous a raconté :
« Je vins, dit-il, de Murcie pour voir une tante paternelle que j’avais à Tlemcen et rien ne me réjouit tant que de la retrouver en vie. Un jour que je me promenais dans les rues, je rencontrai ce cheikh tenant à la main un plateau en bois, rempli de pâtes sucrées qu’il vendait aux petits enfants, et je crus reconnaître en lui les traits caractéristiques des adeptes du soufisme. Je le suivis, et voici que les enfants qui passaient prés de lui battaient des mains pendant qu’il dansait ou récitait des vers sur l’amour de Dieu. En voyant cela, je ne doutai pas que le cheikh fut du nombre des hommes vertueux. Mais je le vis ensuite acheter un morceau de pain de semoule avec l’argent qu’il s’était procuré en vendant des gâteaux, et en faire l’aumône à un orphelin vêtu de haillons qu’il savait dans le besoin, je me dis en moi-même : « assurément, c’est un sait à la conscience délicate et scrupuleuse » Nous étions alors dans le mois de ramadhan. Lorsque le jour de la rupture du jeûne fut arrivé, j’achetai de la semoule et du miel et je dis à ma tante : « faites-moi quelques gâteaux de l’espèce dite « mechehda » (galette molle au beurre) pour le repas de la rupture du jeûne, que je ferai en compagnie d’un saint homme. Elle fit selon mon désir. La prière solennelle de la fête achevée, je cherchai le cheikh parmi la foule, mais je ne parvins pas à le découvrir. « Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu Très-Haut ! », m’écriai-je, puis j’adressai mentalement cette prière au ciel : « O mon Dieu ! en considération des mérites du cheikh, faites que nous nous trouvions réunis tous les deux dans ce moment ». J’avais à peine terminé cette prière que j’aperçus le cheikh à ma droite. Il me regarda et me dit : « votre tante a-t-elle préparé les mechehda ? – oui, sidi, répondis-je. – Eh bien, ajouta-t-il, retirons-nous en quelque lieu pour manger les mechehda que voici, puis nous irons à la demeure de votre tante. Lorsque nous fûmes hors de la mosquée, il tira de dessous ses habits un plat recouvert d’un foulard propre qu’il dénoua, et les plus belles mechehda qu’on ait jamais vues et que jamais femme au monde ait si bien réussies sous le rapport de la cuisson, de la préparation et de l’abondance des condiments gras, s’offrirent à ma vue. Après en avoir mangé, nous nous rendîmes chez ma tante qui nous présenta les mechehda qu’elle avait préparées, mais nous ne les trouvâmes comparables en rien aux premières, et c’est à peine si nous y touchâmes. Le repas terminé, le cheikh me dit : « quelle est votre profession ? – Etudiant, répondis-je. – Voulez-vous, ajouta-t-il, prendre des leçons auprès de moi ? – Volontiers, lui dis-je. – Venez donc me voir demain, répliqua-t-il ; je me trouverai, s’il plait à Dieu, à la mosquée qui est dans le fossé d’Aïn-el-Ksour (3), au bas de la porte des Tuiliers (4), et je vous donnerai là, s’il plait à Dieu, toutes les leçons que vous désirerez »
« M’étant donc rendu le lendemain au lieu indiqué, je le trouvai, comme il me l’avait promis, assis dans la mosquée. Je le saluai et me plaçai devant lui. « Que voulez-vous lire ? Me demanda-t-il. – Ce que Dieu vous inspirera de me faire lire, répondis-je. – Lisez d’abord le livre du tout-Puissant, ajouta-t-il, car il mérite qu’on commence par lui. » Je me mis alors à implorer le secours de Dieu contre Satan le lapidé, puis je lus : « Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux. » Il mit dix jours à expliquer l’excellence de ces paroles. Après le Coran, je lus les hadith du prophète, puis un peu de littérature »
« Toutes les connaissances littéraires que je vous communique, disait Ibn Dahhaq à ses disciples, je les ai puisées auprès de ce cheikh en l’espace de deux ans, pendant lesquels son assiduité répondit constamment la mienne »
On dit qu’Abou Ishaq Ibn Dahhaq aimait à répéter les paroles que nous venons de citer : « Oui, disait-il souvent, toutes les choses que vous m’entendez dire, quand je traite une question quelconque, sont le fruit de mon assiduité auprès de ce cheikh »
Sidi El-Halouy ne mangeait jamais pendant le jour et passait les nuits en prières.
Parmi ses compositions poétiques, l’on cite les vers suivants :
« Quand Dieu (5) lève la voix pour parler aux mortels, il y a des gens qui prêtent une oreille attentive à son langage.
« Ce langage n’offre rien d’inintelligible ; l’étourdi seul est incapable de le comprendre.
« Tiens ton esprit en éveil, tu seras appelé comme ceux qu’on appelle de prés, et ne sois pas au nombre de ceux qu’on appelle de loin » (6)
Sidi El-Halouy avait été cadi à Séville vers la fin de l’empire des Beni-Abdelmounen (Almohades), mais il abandonna ces fonctions et se retira à Tlemcen pour vivre à la manière des medjnoun ou fous. Le cheikh Abou’l-Hacèn El-Majorqy m’a dit que le cheikh Abou Abdallah El-Halouy fut un des plus grands dévots. Il mourut à Tlemcen. Son tombeau, qui se voit encore en dehors de la porte d’Ali (Bab-Ali) (7) est très fréquenté et les prières qu’on adresse en ce lieu sont exaucées. Les vertus de Sidi El-Halouy sont innombrables.
(Extrait du livre intitulé : Objet désiré par ceux qui sont en quête de l’histoire des rois de la dynastie des Beni Abd-el-Ouad)

Notes

1 Voyez dans la revue Africaine, n° de février 1860, un article de M.Brosselard, intitulé : mosquée et tombeau de Sidi Haloui. Cf. Tlemcen, ancienne capitale du royaume de ce nom, par l’abbé Bargès, p.417 et suivantes
2 Abou Ishaq Ibrahim ben Youçof ben Mohammed ben Dahbaq el-Aoucy, plus connu sous le nom d’Ibn-El-Merâ, était originaire de malaga, mais il habita Murcie. Après avoir voyagé pendant quelque temps, il se rendit à Fez où il se fit le disciple d’Aboul’Hacen ben Djobéir et d’Abou ‘l Hacen Ali ben Ismaïl ben Harzehem. Il était très versé en théologie scolastique. On lui doit un commentaire sur l’Irchad d’Abou’l Ma’ali et d’autres ouvrages. Il mourut à Murcie au milieu de l’année 611 de l’Hégire (inc.13 mai 1214)
Voyez sa biographie dans le Dibadj, p.90, dans Djedhouat el-Iqtibas, p, 87, et dans l’Ihata, p.180 du 1er volume
3 Aïn-ksour est la source qui arrose la plaine connue actuellement des indigènes sous le nom de kasr ech-chara dont nous avons fait, en le francisant, kirchera. La mosquée dont il est question a disparu depuis longtemps ; il n’en reste aucun vestige.
4 La porte appelée Bab-el-kermadin, ce qui signifie porte des tuiliers, est située au nord de la ville, au croisement des routes d’Hennaya et de Négrier, au bas de la porte actuelle du nord, Elle était flanquée de deux tours rondes, dont on voit encore les imposants débris. Cette porte est fameuse dans l’histoire de Tlemcen ; elle soutint, à diverses reprises, plusieurs assauts, dont le dernier fut celui des Espagnols en 1518.
5 Le mot oudjoud est ainsi défini par Ibn Araby, dans les définitions des termes techniques employés par les Soufis : « c’est le sentiment de la présence de dieu dans l’extase)
6 C’est- à -dire : écoute attentivement cette voix, tu la comprendras clairement, comme comprennent ceux à qui l’on parle de prés ; mais si tu n’y prete qu’une oreille distraite, tu seras comme ceux qu’on appelle de loin ; ils n’entendent que confusément les paroles qu’on leur crie.
7 Cette porte, qui s’ouvrait au nord de Tlemcen et qui dominait le petit plateau où s’eleve le tombeau de sidi el-Halouy, s’appelait aussi Bab-ziry, du nom d’une petite mosquée située dans son voisinage. Elle n’existe plus aujourd’hui.


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