Algérie

Biographie d'une étincelle


Au fond qu'est-ce qu'un démocrate dans un pays arabe ? C'estun homme comme vous et moi. Par fatigue, par révolte, par souci d'hygiène oupar conséquences, il décide un jour de prendre le nom du peuple pour prendre laparole et demander au Pouvoir de prendre sa retraite. Fort de sa jeunesse ou deses livres, il peut fonder un parti ou en faire partie pour défendre une utopiesaine, bâtie sur un meilleur repas collectif et sur un usage plus général del'honnêteté. En face de lui, comme un vis-à-vis nécessaire ou un alter egomalsain, le Dictateur et sa dictature qui se tient par le pétrole, lalarbinerie et les polices. Le démocrate consacre généralement quelques années àémettre sur les mêmes ondes le même discours : démocratisez. En clair, ils'agit d'un appel pour que la dictature cède la place, laisse le peuple choisirses propres images et représentants, avec un oeil sur l'argent de tous, une loivalable pour tous et quelques journaux pour les surveiller tous. Chemin faisant,et après quelques gifles, quelques prisons et quelques menaces, le démocrate (s'ils'en sort vivant et entier) comprend cinq choses : ilfaut de la force (et pas seulement la raison) pour faire changer le rapport deforces, il faut des alliés pour gagner, il faut des ruses pour gagner du temps,il faut une guerre pour atteindre la paix et il faut des années pour se fairecomprendre par le peuple. La conclusion de dix ans de vie d'un démocrate esttoujours la même : avoir raison ne suffit pas. Il faut en avoir les moyens. Lesquels? Ceux que l'on connaît et déjà le démocrate commence à perdre sa fascinanteinnocence qui lui attirait tant de clients et de sympathies.Le Démocrate, déjà quadragénaire, commence alors à fairedes concessions. Il aura compris que le peuple ne le mérite pas. Ou pas encoreet qu'il faut une pédagogie avant la Démocratie, une alliance avant le changement. Presquece que dit la dictature sauf que, elle, elle s'empresse de l'oublier aprèsl'indépendance. A quarante ans, un démocrate linéaire comprend que le mal c'estla dictature mais que le pire, c'est le peuple : il ne correspond pas à sonrôle de peuple, ni à sa misère, ni à ses rêves. Dans le procès qui oppose leDémocrate au Dictateur pour mauvais traitement du peuple, le peuple vient à labarre et déclare qu'il n'a jamais déposé plainte, qu'il ne veut pas changer, qu'ilne connaît pas le démocrate, qu'il se porte bien, n'a jamais été torturé et quec'est Dieu qui le veut. Parfois, le peuple ne vient même pas au procès. Aquarante-cinq ans, un Démocrate isolé est un homme offusqué qui cherche uneissue esthétique à son drame qu'il assume, entretient des correspondances avecdes intellectuels occidentaux qui l'ont découvert sur son île déserte et necroit presque plus à la fidélité entre indigènes. Son analyse est froide : letiers-monde est irréversible. Dans un bon pays arabe absolument coincé entrereligion et régime, le démocrate n'a plus que deux choix : devenir gros, méfiant,fluorescent et historien de ses propres actes, ou attendre la fin du monde avecplus d'empressement qu'un Djihadiste. Son drame leplus subtil est que le peuple a inconsciemment choisi sa dictature et que la Dictature le sait et leperpétue par des moeurs malsaines. Le démocrate est parti sur une idée, ledictateur sur un cageot, le peuple sur un repas. Au paradis, les gens ne sontpas tous polis ou obligés d'être responsables et engagés, ils sont tousrassasiés. C'est ce lien alimentaire qui soude la Dictature et l'offreislamiste. Le démocrate, lui n'offre qu'une bonne conversation désabusée pourles élites et un monde juste et sans l'épopée de la rapine pour le peuple. Acinquante ans, un Démocrate entré dans une ère glaciaire, poursuit son orbiteautour du peuple avec une froide clairvoyance et une mathématique exacte pourcalculer ses ellipses. Soit il se met à détester tous les démocrates qu'ilcroise et surveille avec paranoïa, soit il continue son périple selon la loid'un élan suranné, mais sans cette queue de flamme flamboyante qui distingue lecaillou d'un chasseur d'oiseaux, de la météorite du cosmos qui bâille àl'infini. Il n'est plus soutenu que par son éthique refroidie ou par laconscience qu'on lui doit une explication ou du respect. Lorsque c'est un hommebien, le Démocrate se retire de la vie et se met à la sous-titrer. Lorsqu'ilest mauvais, il réclamera à la Dictature un salaire pour avoir animé la scène depuis desannées.Dans tous les cas, la dictature aura gagné : elle aurafabriqué un cosmos où le peuple ne vote pas «démocrate» à cause des islamist es, ne vote pas «islamiste» à cause du Pouvoirmais ne vote pas «Pouvoir» à cause du manque d'alternatives.
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