Algérie

Biographie d'Ibrahim ben Yekhlef Et-Tenessy



Ibrahim ben Yekhlef ben Abd-Es-Salam Et-Tenessy El-Matmaty (1)

Il fut le plus habile professeur et le plus illustre jurisconsulte de tout le Maghrib. De Tlemcen et de toutes les villes de l’Ifriqiya, on lui écrivait pour le consulter. Il est l’auteur d’un commentaire sur le Talqin (Iniation) d’Adb-el-Ouahhab (2), en dix volumes, commentaire qui a disparu pendant le siège de Tlemcen. Le sultan Abou yahia Yar’moracen avait insisté auprès de lui pour qu’il vint se fixer à Tlemcen, mais il avait toujours refusé, se contentant d’y paraître en visiteur et d’y séjourner un mois, après quoi il s’en retournait à Ténès. Lors de l’affaire des Maghraoua (3), il se décida cependant à chercher un refuge dans la capitale, où les juristes s’empressèrent de lui faire leur visite. Le sultan se rendit aussi auprès de lui et le supplia de nouveau de s’établir à Tlemcen. Le cheikh finit par acquiescer au désir du prince et se fixa définitivement dans la capitale, où il ouvrit un cours d’enseignement qui attira une foule innombrable d’auditeurs : on venait même de toutes les parties de l’Orient et de l’Occident pour profiter de ses doctes leçons.
Il était du nombre des amis de Dieu et connaissait aussi bien le sens littéral que le sens mystique du Coran
Parmi ses disciples, il convient de citer le cheikh Abou Abdallah ben El-Hadjj El-Abdèry, auteur de l’ouvrage intitulé : « L’introduction » (4)
On raconte plusieurs faits extraordinaires qui lui sont arrivés ; nous citerons les deux suivants. Le premier est rapporté par Ibn El-Qattan (4 bis), qui le tenait de la bouche même de son auteur. Voici donc ce que lui dit Ibrahim ben Yekhlef Et-Tenessy :
« Lorsque je fus arrivé à la Mecque et que je me suis mis à faire le tour de la Kaaba, je me souvins de ces paroles du Très-Haut : « Or, quiconque entre dans son enceinte, est en sécurité » (Coran, sour, III, v. 91), et je me dis en moi-même : les opinions se contredisent les unes les autres et les écoles diffèrent sur le sens indiqué dans les mots « en sécurité ». Puis, je me mis à répéter ces mêmes mots : en sécurité, en sécurité, mais au sujet de quoi ? Ajoutai-je. Alors, j’entendis derrière moi une voix qui cria deux ou trois fois : « Mais en sécurité et à l’abri du feu, à” Ibrahim » (5)
Voici maintenant le second fait extraordinaire qu’on lui attribue. L’imam Ibn El-Hadj El-Abdéry a raconté ce qui suit : « Notre cheikh Abou Ishaq Et-Tenessy, dit-il, était très scrupuleux. Nous étions à voyager avec lui, parcourant ensemble des villages de l’Egypte, quand nous nous trouvâmes en proie aux ardeurs de la soif. Un de ses disciples étant alors venu nous offrir un vase plein de lait sucré, le cheikh refusa de boire. – Eh quoi ! Cher maître, lui dis-je, vous refusez cette boisson pendant que vous en éprouvez le plus grand besoin ? – je crains, répondit-il, que mon disciple n’ait voulu, en agissant ainsi, me payer des leçons que je lui ai données ; c’est pourquoi j’ai refusé de boire ; je crains aussi qu’en acceptant, Dieu n’amoindrisse la récompense qui m’est due au ciel pour lesdites leçons » Puis il rendit le vase à son élève.
Dans ses voyages, il eut l’occasion, soit en Egypte, soit en Syrie, de rencontrer des savants qui avaient été les compagnons d’Abou’l Hacèn (6). Pour la science des traditions, il suivit les leçons d’Ibn Koheïla (7) et celles d’Abou Ali Nacir-ed-Din El-Mecheddaly (8). A Tunis, il eut pour maitres une foule de savants ; au Caire, il étudia le Mahsoul (de l’imam Er-Razy) (9), sous la direction de Chems-ed-Din El-Isbahany (10), la logique et la dialectique, auprès d’El Qarafy (11). Il assista aux leçons du cheikh Seif-ed-Din El Hanafi sur le kitab el irchad (traité de la bonne direction) d’El amidy (12). Le professeur expliqua ce livre en entier, sans que notre cheikh se permit de faire la moindre observation, mais lorsqu’on expliqua une deuxième fois le livre et que Seif-ed-Din se mit à développer le texte de l’auteur, le cheikh Abou Ishaq prit la parole et dit : « j’ai une autre version de vos explications sur ce texte. Comme le maître lui demanda alors de la produire, Abou Ishaq la lui exposa. Le lendemain, il apporta les notes qu’il avait prises dans les précédentes leçons du professeur, et ayant été invité à les lire, il les lut d’un bout à l’autre, et cette rédaction lui mérita l’approbation de toutes les personnes présentes : c’est le commentaire qui se trouve maintenant entre les mains de tout le monde ; il y en a, il est vrai, qui l’attribuent à Seif-ed-Din lui-même
Le cheikh Abou Ishaq mourut dans la ville de Ténès. Tels sont, dit Ahmed Baba, les renseignements que j’ai puisés dans certains recueils (13)

Notes

1 Voyez la note 88. Cf. complément de l’histoire des béni Zeiyan, par l’abbé Bargès, page 9 et suivantes.
2 Le cadi Abd el-Wahhab ben Ali, natif de Bagdad, de la secte de Malik, est mort en 442 de l’hégire (inc.29 décembre 1030)
Voyez sa biographie dans le Dibadj. P170
Le Talqin fi’l-forou’ (Initiation à la jurisprudence) est mentionné par Hadji Khalfa, tome II, p418, n°3571)
3 L’auteur fait allusion aux troubles qui agitèrent le territoire des Maghraoua, dont la ville de ténès faisait partie
Voyez Ibn Khaldoun, histoire des berbères, tome III, p.357 et suivantes de la traduction.
4 Le titre complet est : El-medkhel ila tenmiat-el-a’mal bi-tehsin en-niyat, initiation à la manière d’augmenter la valeur des actions par la bonté des intentions. Cet ouvrage a été publié ; il a été utilisé par Goldziher, Doulté, Marçais et Destaing.
Le soufi Abou Abdallah Mohammed El-Abdéry, plus connu sous le nom d’Ibn el-Hadjj el-Maghriby el-Facy, fut le disciple d’Abou Mohammed ben Abou Djemra. Il mourut à Fez, l’an 737 de l’Hégire (inc 10 Août 1336)
Voyez sa biographie dans le Dibadj, p284 et dans Djedhouat el-Iqtibas, p142
4, bis Le grand cadi de Tunis, Abou Abdellah Mohammed ben Abderrahman el-Belaouy el-Qattan mourut en 785 de l’Hégire. Voyez Ez-Zerkéchy, chronique des Almohades et des Hafcides, p.180 de la traduction de M.Fagnan
5 On lit ce qui suit dans la bibliothèque Orientale, par d’Herbelot, article Caaba, p.433 du premier tome :
« Abou’n-Nadjam Es-Soufi faisant ses dévotions au temple de lka Caaba, dit à dieu : seigneur, vous avez promis que quiconque visiterait votre temple serait en sûreté comme dans un asile, sur quoi particulièrement cette assurance tombe-t-elle ? Il entendit alors une voix qui lui répondit : c’est sur la délivrance des peines de l’enfer »
6 C’est Abou’l Hacen Ali ben Abdallah ben Abd el-Djabbar Ech-Chadhily. Voyez la note 179.
7 Abou Faris Abd el-Aziz ben Koheila el-Bedjaouy était cadi de Bougie. Il mourut dans cette ville l’an 685 de l’hégire (inc.27 février 1286)
8 Nacir Eddin Abou Ali Mansour ben Ahmed el-Mecheddaly disciple d’Izz-eddin ben Abd-es Salam, mourut à Bougie l’an 731 de l’Hégire (inc.15 Octobre 1330)
Voyez sa biographie dans neil el-ibtibhadj, p.377
9 Fakhr-eddin er-Razy naquit à Réï (l’ancienne Raghès), prés de Téhéran, le 7 février 1149 et mourut à Hérat en 1209 de J-C. Son Mahsoul est un traité de jurisprudence. On lui doit aussi le Mohassal, dont Schmoelders et Schreiner se sont occupés et qui traite de physique et de métaphysique
Voyez sa biographie dans Ibn Khallikan , tome II, p.265
10 Chems-eddin Mohammed ben Abou’l-Qacim el-Isbahany qui a commenté le précis des fondements du droit, par Ibn el Hadjib, mourut au Caire l’an 745 de l’Hégire (inc.15 mai 1344)
11 Abou’l Hacen Ali el-Qarafy, disciple d’Izz-eddin Abd es-Salam, mourut au Caire l’an 704 de l’Hégire (inc.4 août 1304)
Cf. revue Africaine, vol.XIII, p.264. La bibliothèque d’Alger possède deux ouvrages de cet auteur, n°1355 et 1356
12 « Rokn eddin Abou-Hamid el-Amidi de Samarcande, savant jurisconsulte, mort à Bokhara en 1218 de J.C, traita sous le titre de Mir’at el-Ma’ani (le miroir des différentes pensées), la question de l’indépendance du microcosme, le corps humain, par rapport au macrocosme, d’après une traduction persane d’un ouvrage Indien. De Guignes, Gildemeister et Pertsch se sont occupés de ce livre. On a aussi de lui deux manuels de dialectique et de controverse (Et-tariqa el-Amidiyya et El-irchad) et un traité de talismans (Haudh el-hayât). » (Littérature arabe, par Clément Huart, p.274)
Voyez la biographie d’El Amidy dans Ibn Khallikan, tome II. P.270.L’irchad est mentionné par hadji Khalfa, tome I, n°510.
13 Cette notice biographique est extraite du neil el-ibtihadj, p8
Ibrahim ben Yekhlef et-Tenessy fut enterré à El-Eubbed où son tombeau se voit encore. Cf. Mohammed ben Abd el-Djalil et-Tenessy, p25 de la traduction de l’abbé Bargès, et Roghiat er-rowad par Abou Zakaria Yahia Ibn Khaldoun, frère cadet du célèbre historien Abderrahman Ibn Khaldoun


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