Tlemcen - Ahmed Ben Mohammed Ben Zekri (Sidi Zekri)


C’était un juriste versé dans les principes du droit canonique, en même temps qu’un rhétoricien et un logicien.
Il était encore fort jeune quand il perdit son père. Placé sous la tutelle de sa mère, il fut mis en apprentissage chez un tisserand. Or, il arriva que le cheikh, le saint Sidi Ahmed ben Abderrahman ben Zaghou (1), ayant apporté un jour, chez le tisserand, de la laine filée qu’il voulait faire tisser, entendit chanter le jeune Ben Zekri. Charmé, il s’écrira : « Quelle belle voix !Qu’il est regrettable que celui qui la possède ne sache pas lire ! »Ayant demandé le patron de l’atelier, il lui fut répondu qu’il était absent. Il remit donc le fil à l’apprenti en lui disait : « Fais savoir à ton maître que Ben Zaghou le prie de lui tisser ce fit ». Quand le patron rentra, l’apprenti fit la commission dont il avait été chargé. Le tisserand défit le paquet de fil et se mit à le tisser, mais le fil ayant manquée pour le trame de tissu, il envoya le jeune Ben Zekri Ben Zaghou pour lui rapporter le manquant. L’apprenti se rendit chez le cheikh et le trouva à la mosquée expliquant à ses élèves le Précis de jurisprudence d’Ibn El-Hadjib. On traitait en ce moment la question du vêtement de soie et des souillures, et on en était au passage où Ibn El-Hadjib dit : « Si les deux (la soie et les souillures) sont réunies) sont réunies (quand on fait la prière), les avis les plus répandus sont celui d’Ibn El-Qacim (2) pour ce qui concerne la soie, et celui d’Asbagh (3) pour les souillures. » le professeur avait interprété deux avis touchant ce point de droit et les avait exposés aux élèves pour qu’il sussent à se prononcer en faveur de l’un ou de l’autre. Mais aucun d’eux n’avait compris la question, sauf Ben Zekri. Lorsque le cheikh (qui était sorti pour aller chercher le fil demandé) revint : « Maître, dit l’apprenti, j’ai compris la question. –Voyons, dit Ben Zaghou, expose-la moi telle que tu l’as comprise. » Ben Zekri l’ayant alors exposée au maître, celui-ci lui dit : « Dieu te bénisse, mon fils. » Puis le dialogue suivant s’engagea entre le cheikh et l’enfant :
- Il est mort
-Et ta mère ?
-Elle est en vie.
-Quel est ton salaire ?
-Un demi dinar par mois
-Je te donnerai pareille somme chaque mois, si tu veux te consacrer à l’étude, car je prévois qu’un brillant avenir t’est réservé. Allons !accompagne-moi chez ta mère.
-Volontiers
Le docteur et Ben Zekri se rendirent au domicile de la veille femme à laquelle Ben Zaghou demanda :
-Combien ton fils gagne-t-il à l’atelier ?
-Un demi-dinars par mois, répondit-elle.
-Je te donnerai d’avance cette somme tous les mois, dit le cheikh, si tu consens à envoyer ton fils à l’école.
-Veux-tu m’en avancer la moitié, fil-elle.
-Volontiers, dit Ben Zaghou, en tirant aussitôt de sa poche la somme réclamée et en la remettant à la bonne femme.
A partir de ce jour l’enfant suivit les cours d’Ahmed ben Zaghou. Mais quelque temps après, celui-ci mourut et Ben Zekri se fit le disciple de Sidi Mohammed ben El-Abbès (4) qui professait au village d’El-Eubbed.
-Il partait de Tlemcen le matin et ne revenait que le soir. Un jour qu’il avait beaucoup neigé, Ben Zekri s’était rendu au village selon son habitude, mais après avoir prise sa leçon chez son maître Sidi Mohammed ben El-Abbès, il appréhenda de s’en retourner de s’en retourner à Tlemcen par un froid si rigoureux pour revenir le lendemain matin il ne voulait pas sa leçon, voici ce qu’il fit : Lorsque son professeur quitta la medersa pour rentrer chez lui, Ben Zekri le suivit par derrière en tapinois et entra après lui dans la maison sans être aperçu de son maître. Il s’arrêta dans le vestibule où se trouvait attaché le cheval du cheikh. La crêche était garnie de paille ;Ben Zekri s’y coucha. Un moment après la négresse au service du professeur étant venue renouveler la provision de paille au cheval, aperçut le jeune homme endormi. Elle courut prévenir son maître : « Il y’a un homme couché dans la paille du cheval », lui dit-elle. Le cheikh sorti et trouva, en effet l’individu qu’on lui avait signalé. L’ayant réveillé, il le reconnut et lui dit :
-Qu’est-ce qui t’a porté, mon fils, à faire cela ?
-Maître, répondit Zekri, c’est le froid.
-Pourquoi ne m’en as tu rien dit (5) et le pria de vouloir bien assigner à son élève une cellule dans la médersa. Le sultan accorda à Ben Zekri non seulement une cellule, mais encore une pension alimentaire un lit, le beurre, l’huile, la viande, le charbon, enfin tout ce qui était nécessaire à son entretien.
Ben Zekri dut ce profit à la bénédiction qu’attire la science sur ceux qui la cultivent avec zèle conformément à ses paroles du Prophète :« Dieu assure la nourriture à celui qui s’adonne à l’étude de la science ; la subsistance lui viendra sans peine ni souci, tandis que les autres ne l’obtiendront qu’avec beaucoup de peine et de sollicitude. L’étudiant devra cette faveur particulière aux prières de ses maîtres, à la satisfaction que ceux-ci éprouveront de sa part, ainsi qu’aux bons offices qu’il leur rendu. »
On raconte de Ben Zekri le trait suivant : Il alla un jour avec ses condisciples à la montagne des Beni-Ournid acheter du charbon pour son professeur Sidi Mohammed ben El-Abbès. L’achat fait, on chargea la marchandise sur des âne, mais la pluie étant survenue, le charbon trempé par l’eau devint trop pesant pour les animaux qui n’eurent plus la force de le porter. Ben Zekri mit alors le charbon dans son haïk, et le chargea sur son dos. La pluie tombant toujours, le haïk, pénétré par l’eau noircie qui dégouttai du charbon, ne tarda pas à prendre la couleur de ce dernier. Il arriva enfin chez le cheikh qui le voyant dans cet état, ne put s’empêcher de pousser un grand cri d’admiration. Puis le cheikh, le serrant contre sa poitrine, implora le Ciel en sa faveur.
Autre anecdote. – Les savants de Tlemcen s’étaient entendus pour donner des conférences sur l’interprétation du Coran, et avaient choisi pour conférencier Sidi Mohammed ben El-Abbès. Celui-ci, après avoir prononcé les deux formules initiales : « Je cherche un refuge auprès de Dieu contre Satan le tapidé » (6) et : « Au nom de Dieu Clément et Miséricordieuse », récita 1er premier chapitre du Coran et donna toutes les explications nécessaires. Mais il arriva que celui qui faisait office de lecteur, au lieu de passer immédiatement au second chapitre, passa brusquement à la quarante-huitième sourate et lut : « Nous avons remporté pour toi une victoire éclatante… » Déconcerté, le cheikh se trouva fort embrassé pour continuer ses explications, car il n’avait pas préparé ce chapitre. Il faut dire que la chose avait été concertée par les juristes qui avait voulu ainsi déshonorer le cheikh aux yeux du sultan devant qui cette conférence était faite.
Sidi Ahmed ben Zekri, se plaçant alors devant son maître, lui dit : « Cher maître, le mot inna remplace ici un terme circonstanciel d’état. (Voyez Alfiya, vers 179). Mis ainsi sur la voie, le cheikh, qui dans toutes les branches de la science s’était frayé un chemin, se mit à expliquer le mot inna, de dix heures du matin à une heure de l’après-midi ;et à l’issue de la séance, il serra Ahmed ben Zekri contre sa poitrine en lui disant : « Puisse Dieu t’ouvrir ta voie comme tu as ouvert la mienne. »
Puis le sultan ayant demandé des renseignements sur les assistants, le cheikh les fournit. Il dit en lui montrant chacun d’eux : « Colui-ci est tel fils d’un tel ; celui-là est un tel fils d’un tel. » Quand le tour d’Ahmed ben Zekri arriva, le sultan demanda au cheikh le nom du père du jeune homme : « C’est le fils de ses œuvres » qui me plaise, dit le sultan c’est un bon jurisconsulte. »
On dit que le cheikh Sidi ahmed ben Zekri était de ceux qui ont le pouvoir de se transporter en un clin d’œil dans les localités les plus lointaines, et d’entrer en tout lieu, les portes closes. Voici d’ailleurs ce qu’on raconte et qui prouve qu’il jouissait de ce pouvoir : A l’époque où le cheikh était imam de la grande mosquée, il tomba un jour une grande quantité de neige qui renversa des maisons et fil déserter les rues de la ville. Le lendemain, Ben Zekri se rendit à ladite mosquée pour y faire la prière du matin. N’y ayant trouvé personne, il s’écrira : « il n’y a de dieu qu’Allah et il n’a pas d’associé ! »Le muezzin, qui se trouvait dans le minaret, ayant entendu sa voix, descendit, mais il ne trouva d’abord aucune trace des pas de Sidi Ben Zekri ; en cherchant bien, il finit cependant par en découvrir deux : l’une à la porte de ta mosquée, et l’autre près du mihrab vert ; quand au cheikh, il faisait sa prière du matin dans la mosquée dont toutes les portes étaient closes.
Ben Zekri s’était voué à la science et à l’enseignement. Il revenait quelquefois trois ou quatre jours sur la même question jusqu’à ce qu’il fût aperçu quelle avait été comprise par tout le monde. Tous les musulmans ainsi que tous ceux qui assistèrent à ses conférences retirèrent le plus grand profit de ses leçons ; il n’y eut qu’un seul étudiant qui ne profita pas de son enseignement : « Sidi Ben Zekri, disait-il, rabâche tous les jours la même question. »
Parmi les ouvrages que Sidi Ahmed ben Zekri composa, il convient de citer :
- un livre contenant des questions relatives aux jugements judiciaires et aux fetoua ou décisions juridiques ;
- un commentaire sur l’Article de Foi d’Ibn El-Hadjib, qu’il intitula :Objet désiré par l’étudiant ;
- un grand poème sur la théologie scolastique, qui contient plus de mille cinq cents ;
- d’autres poèmes ;
- le commentaire d’un ouvrage intitulé : Les feuilles, qui traite des principes fondamentaux de la jurisprudence, et reconnaît pour auteur l’Imam des deux villes saints, Abou’l-Maâli (7).
Outre ces ouvrages, on lui doit de nombreuses fetoua ou décisions juridiques qui ont été transcrites par le cheikh El-Ouenchericy (8) dans son ouvrage intitulé L’étalon.
Citons parmi ses disciples :
1-l’imam Sidi Ahmed Zerrouq
2-le savent prédicateur Ahmed ben Mersouq, surnommé Hafid-el-Hafid, c’est-à-dire l’arrière petit-fils (9) ;
3-le prédicateur Abou Abdallah Mohammed fils de l’imam Ibn El-Abbès
4-Sidi Ahmed ben El-Hadjj El-Minaouy El-Ournidy.
Sidi Ben Zekri discuta avec Sidi Es-Senoûcî de nombreuses questions, chacun soutenait opiniâtrement son opinion et réfutait celle de son adversaire.
Il mourut l’an 900 de l’hégire (inc. 2 octobre 1494), et son tombeau qui est connu se trouve dans le cimetière où repose le cheikh Es-Senoûsî (10).

Notes

1 Voyez sa biographie à la page 45
2 Abderrahman Ben el-Qacim el Atqy, propagateur de la doctrine de l’imam Malik ben Anes, mourut au Caire l’an de l’Hégire 191 (inc 17 nov 806). C’est le rédacteur de el-Maçail el modawana, questions de droit enregistrées, ce livre renferme les décisions de Malik et forme la principale base du système de jurisprudence enseigné par cet imam.
Voyez la biographie d’Abderrahman ben el-Qacim dans Dibadj p.153
3 Abou Abdellah Asbagh Ben el-Fredj, compagnon d’Achleb. Mourut au Caire l’an de l’Hégire 225 (inc 12 nov 839)
Voyez sa biographie dans Dibadj, p99.

4 Voyez sa biographie à la page 256
5 C’est le sultan Abou Abdallah Mohammed, surnommé El-Motawakkil’al Allah, qui a régné de 866 à 880 (1462 à 1475 de j.c)


6 Voyez coran, sur.XVI, v. 100

7 Dhia Eddin Abou’l-Ma’ali Abd-el-Malik ben Abdallah el-Djoweïny, docteur métaphysicien qui pporte le titre d’Imam el Haramain, c'est-à-dire, l’imam des deux temples, de la Mecque et de Médine, vivait sous le regne de Malik-chah le Seldjoucide et a professé la doctrine d’Ech-chafi’y à Nichapour où il eut le fameux El-Ghazaly comme disciple. On a de lui un ouvrage intitulé waraqat fi’l oçoul (publié à Tunis avec commentaire de Mohammed El-Hattab). Cet ouvrage traite des fondements du droit. Il y a encore de lui d’autres livres : El açalib fi’l-Khilafiyat, de la diversité et de la contrariété des opinions ; Irchad fi’l kalam, traité de théologiescolastique ; Moghith el Khalqoù il montre la superiorité de la doctrine Chaféïte sur les autres, et le Nihaïat el matlab, traité des doctrines Chaféïtes, dont on disait que l’islamisme n’avait jamais rien produit qui lui fut égal.
Abou’l Maali naquit le 12 février 1028, à Bochtanikan, village prés de Nichapour, et mourut dans son village natal le 20 Août 1085.
Voyez sa biographie dans Ibn Khallikan, tome I, p 514
8 Voyez sa biographie à la page 57
9 Voyez sa biographie à la page 56

10 Voyez la biographie de sidi Ahmed ben Mohammed ben Zekri dans Neïl el-ibtihadj, p70




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