Publié le 21.02.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
YAZID YAHIAOUI
C’est l’histoire d’un Algérien qui avait été condamné en 1917 à 15 ans de travaux forcés, pour avoir abattu un caïd de la région de Bouira, plus exactement aux Ath Laâziz.
Amar Salhi, l’auteur de cet acte condamné par la force coloniale qui était maîtresse à bord à l’époque et qui l'avait condamné à 15 ans de travaux forcés, pour avoir tué un de ses vassaux, en la personne du caïd de la région de Bouira dont le pouvoir s'étendait jusqu’aux territoires des Ath Laâziz au nord, devait être envoyé au bagne de Cayenne, en Guyane française ; là où des centaines d’Algériens, qui avaient pris les armes contre les Français, étaient envoyés.
Or, les temps étaient à la Première Guerre mondiale et les bateaux qui emportaient les bagnards étaient réquisitionnés par l’armée française pour le transport des troupes. Amar Salhi était donc interné pendant plus de 4 ans à la prison d’El Harrach en attendant son expédition vers le bagne de Cayenne. Ce qui arrivera en 1921 avec des dizaines d’autres condamnés.
Arrivé sur place, après une traversée des plus pénibles où plusieurs prisonniers avaient trouvé la mort qui par dysenterie ou autres maladies, qui par malnutrition, Amar Salhi, au même titre que tous les prisonniers, essayera, par tous les moyens, de s’évader de cet enfer à ciel ouvert. L’évasion aura lieu, une année plus tard, en 1922, en compagnie de six autres prisonniers Algériens. Après plusieurs péripéties et obstacles tant naturels, comme la lutte contre les animaux sauvages (anacondas et caïmans entre autres), que humains avec les chasseurs de primes ; il arrivera sain et sauf au Venezuela où il réussira à faire du commerce et à se marier en prenant un autre nom, Salim Mijoba...
En 1962, après l'indépendance du pays et se sachant enfin libre, il rentrera au pays, non sans avoir averti sa femme et ses enfants ; des enfants et des filles, qui ont tous grandi et réussi dans leurs vies processionnelles ; un avocat, un ingénieur, un diplomate, un médecin, etc.
Amar Salhi rentrera en Algérie en 1962, après 40 ans d’exil forcé dans l’espoir de retrouver sa femme qu'il avait quittée en 1917 alors qu’elle était enceinte. Quand il rentrera au pays, il trouvera un fils devenu un homme âgé de plus de 44 ans, marié et père de plus de 12 enfants, garçons et filles ; dont certains sont mariés et pères et mères eux aussi.
Amar Salhi apprendra sur place la mort de sa femme, il y avait déjà plusieurs années. Il passera le restant de sa vie aux côtés de son fils unique, Ali. Amar Salhi épousera une autre femme qui s’occupera de lui et mourra à Ath Laâziz en 1980 à l’âge de 94 ans.
Auparavant, sa femme vénézuélienne et ses enfants viendront à plusieurs reprises pour le voir et le supplier de les rejoindre, mais il leur expliquera que sa fin devait être sur la terre de ses ancêtres et en tant que musulman, il mourra en terre d’islam. Ses vœux seront exaucés. Onze ans plus tard, son fils unique, Ali, né en 1917, le rejoindra en 1991 dans l’Au-delà.
Ce samedi, au niveau de la bibliothèque municipale de la commune d’Ath Laâziz, des vieux du village mais également des jeunes, parmi eux beaucoup d’étudiants, étaient venus écouter l’écrivain Mustapha Hadj Ali, invité par un collectif de citoyens des Ath Laâziz, raconter l’infatigable militant Slimane Chabane.
Les dizaines de présents, hommes et femmes, étaient là pour écouter les péripéties qui avaient mené l’écrivain à écrire cette histoire romancée.
Un roman certes mais tiré d’une histoire réelle et pour laquelle, dira-t-il, «il a fallu lire une trentaine de livres témoignages des autres bagnards, surtout les Français qui avaient écrit sur le bagne et leur passage dans ce lieu inhumain».
L’histoire qu’il a recueillie auprès de témoins natifs des Ath Laâziz et qui l’avaient entendue de la bouche du défunt Amar Salhi, l’avait poussé, dira-t-il, «à vérifier et à apprendre l’itinéraire pris par l’évadé, connaître les distances entre les villages traversés et comprendre la nature et les moyens utilisés pour les déplacements, pirogues et autres sardiniers, bateaux», les traversées à pied, etc.
L’écrivain, et tout au long de son intervention, essayera de ne pas rentrer dans les détails, préférant «laisser le lecteur découvrir de lui-même ces détails en lisant le roman».
Il rappellera cependant certains témoignages comme celui de l’ex-ministre Leïla Aslaoui qui a lu le roman et qui l’a contacté pour lui dire combien elle était émue par cette histoire. Elle voulait voir cette histoire sur les écrans et elle le mit en contact avec le réalisateur Ahmed Rachedi qui a promis de s’y mettre dès que possible.
L’écrivain autodidacte a déjà publié d'autres essais historiques, notamment Les bagnards algériens de Cayenne où il rappellera qu’ils étaient plus de 20 000, dont 20 femmes, à passer par cet endroit inhumain ; puis un autre essai sur Les algériens de Nouvelle-Calédonie qui étaient plus de 2000 à y être expédiés notamment durant l’insurrection d’El Mokrani, dont son adjoint, Ahmed Boumezrag ; puis un troisième essai, Des révoltes populaires aux déportations, là où il raconte d’autres expéditions issues des autres régions du pays, autres que la Kabylie ; puis en 2019, Prisons et camps de concentration de la guerre d’Algérie où l’auteur fera une autre lecture et une rétrospective sur les différents camps de concentration et leur raison d’être, celui de couper les moudjahidine du peuple qui les nourrissait et les cachait.
Le conférencier dira que le ministre des Moudjahidine l’avait reçu et l’avait félicité pour ce travail de mémoire, «un pan de l'histoire de l’Algérie qui n’a pas été abordé suffisamment par les historiens», rappelle-t-il. D’ailleurs, le ministre, pour encourager l’écrivain et l'historien à aller plus dans ses travaux de recherche, a accepté de rééditer deux de ses ouvrages, en attendant de prendre le reste, et de les distribuer à travers toutes les bibliothèques universitaires du pays afin de profiter aux étudiants dans leurs travaux de mémoire de fin d’études.
Dans la salle des conférences où étaient présents les dépendants de l’ex-bagnard de Cayenne, lors des débats, des étudiants se sont engagés à traduire le roman L’évadé de Cayenne en tamazight et en arabe afin que le travail de mémoire soit connu par le maximum d’Algériens.
La conférence, qui a été précédée par un recueillement et la lecture de la Fatiha sur les tombes de Amar Salhi nom d’exil «Salim Mijoba», et de son fils Ali, au cimetière de Draâ-El-Bordj à Bouira, durant la matinée, s’est terminée tard dans l’après-midi, par une séance de vente-dédicace.
Yazid Yahiaoui
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Posté Le : 21/02/2024
Posté par : rachids