Algérie - Autres scientifiques

Berbrugger, Adrien (Paris, 1801 – Alger, 1869) – fondateur de la bibliothèque-musée d’Alger et de la Revue africaine, premier inspecteur des monuments historiques en Algérie



Élève du lycée Charlemagne à Paris, comme le sera après lui son ami Cherbonneau*, il fait partie de ces enfants de la Révolution aux ambitions universelles. Professeur de langue (le manuel de français pour ses élèves espagnols qu’il publie en 1825 connaît un succès durable ainsi que son Nouveau Dictionnaire de poche français-espagnol de 1829) et de mnémotechnie (Histoire de France mnémonisée, 1827), il fait des études de médecine (1824-1829) et suit les cours de paléographie de Champollion-Figeac à l’école des Chartes (1829-1832). Un séjour à Londres pour y consulter des archives sur l’occupation anglaise de la France au xve siècle achève sans doute de le convaincre que le progrès passe par la défense de l’ordre, de la paix et de la liberté, valeurs qu’il croit pouvoir être garanties par l’application des théories de Fourier. En mission phalanstérienne à Lyon, il dénonce la « fausse association » saint-simonienne et les théories républicaines qui veulent s’imposer par la violence et invite à explorer « le domaine de la nature » pour tirer des passions un « essor harmonique » (Conférences sur la théorie sociétaire de Charles Fourier , 1833). Il prolonge son voyage en accompagnant à Alger comme secrétaire particulier le comte Bertrand Clauzel parti inspecter ses domaines acquis du temps de son commandement (octobre-décembre 1833). Clauzel ayant été replacé à la tête des affaires à Alger, il le suit à nouveau en août 1835, pour s’installer cette fois durablement. Chargé de la rédaction du Moniteur algérien, journal officiel, il fonde la bibliothèque d’Alger, à laquelle il annexe en 1838 un musée. Il les dote des objets qu’il rapporte des expéditions militaires auxquelles il participe, sauvant à Tlemcen et à Constantine les manuscrits arabes du vandalisme militaire (1836-1837). Des excursions à travers le pays sont aussi l’occasion de collectes, en même temps que de relations reproduites dans la presse et les premiers vade-mecum touristiques (Guide du voyageur en Algérie par Quétin, 1844). Membre correspondant de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et titulaire de la Commission scientifique de l’Algérie depuis 1839, il se révèle un des acteurs principaux de la définition d’un patrimoine algérien. Il compose le texte qui accompagne les planches des trois volumes in-folio de L’Algérie historique, pittoresque et monumentale (Jules Delahaye, 1843-1845) et s’oppose à la constitution d’un musée algérien à Paris qui aurait dépouillé le musée d’Alger de ses chefs-d’œuvre. Resté fidèle au fouriérisme quand il considère qu’il faut jouer du mouvement des passions pour l’apprentissage des langues, il s’est rapproché des saint-simoniens bien représentés à la Commission scientifique de l’Algérie avec Enfantin, Carette, Warnier et Urbain* – comme ce dernier, il a eu une fille d’un mariage musulman. Il a acquis suffisamment d’arabe pour publier dans le cadre de l’Exploration scientifique une traduction des Voyages d’el-Aïachi et Moula Ahmed dans le sud de l’Algérie et des États barbaresques (1846). Il complète aussi la Description géographique de l’empire de Maroc de Renou par des « Itinéraires et renseignements sur le pays de Sous et autres parties méridionales du Maroc » et augmente le volume de Périer par un « Mémoire sur la peste en Algérie » (1847). Envoyé en 1851 par d’Hautpoul en mission dans le Sud, jusqu’au Souf, il en donne une relation dans L’Akhbar, journal indigénophile dont il est un rédacteur fidèle, puis dans la Revue de l’Orient, organe de la Société orientale dont il est membre correspondant. Modéré en 1848 (il a été candidat aux élections du 9 avril, finalement reportées), il se satisfait du coup d’État du 2 décembre 1851 au nom de l’ordre, condition de la prospérité. Ses relations avec les autorités religieuses sont bonnes. En 1840, il fait partie de la mission envoyée par l’évêque d’Alger, malgré l’avis de Bugeaud, auprès d’Abd el-Kader, en garantie d’un échange de prisonniers. Lorsqu’en 1853 la démolition d’un fort turc d’Alger met à jour un squelette, il y voit celui de Géronimo, un maure enseveli vivant en 1569 pour avoir refusé de retourner à l’islam, selon le récit du bénédictin Diego de Haëdo, qu’il réédite après en avoir déjà donné une traduction en 1847 (Géronimo, le martyr du fort des vingt-quatre heures à Alger, 1854). Cette identification, fausse selon G. Delphin*, entraîne le transfert des reliques à la cathédrale et suscitera l’instruction d’un procès en canonisation peu fait pour pacifier les relations entre chrétiens et musulmans. En 1854, il est chargé de l’inspection générale des monuments historiques et des musées archéologiques d’Algérie, avec l’appui du gouverneur général Randon. Deux ans plus tard, il fonde la Société historique algérienne et sa Revue africaine, où il publie un nombre considérable d’articles et de notes. Lors de la restructuration du tissu urbain algérois, il invite à conserver une partie du patrimoine mauresque, avec succès : le palais Mustapha-pacha, sauvé de la destruction, abrite à partir de 1863 la bibliothèque-musée. L’empereur le fait commandeur de la Légion d’honneur lors de son voyage à Alger en 1865 et l’invite à mener une campagne de fouilles au Tombeau de la Chrétienne. Savant respecté, il est cependant détesté par les adversaires de la politique du royaume arabe : en 1867, comme il a pris part au cortège funèbre d’un ancien employé musulman de la bibliothèque, on insinue qu’il s’est converti à l’islam. Or, c’est au mouvement spirite d’Allan Kardec qu’il s’est rallié. À sa mort, qui suit de peu celle de son ami Bresnier*, Oscar Mac-Carthy le remplace à la tête de la bibliothèque-musée. Son œuvre, éclatée, reste précieuse par l’acuité de ses observations, entre mouvement du voyageur et précision de l’érudit.

Sources :
Revue spirite, août 1869 ;

DBF (notice par M. Prévost) ;

Hommes et destins, t. VII, 1986 (notice par X. Yacono) ;

M. Émerit, Les Saint-simoniens en Algérie, Paris, Les Belles Lettres, 1941 ;

Robert Dournon, Autour du Tombeau de la Chrétienne, documents pour servir à l’histoire de l’Afrique du Nord [Lettres d’Adrien Berbrugger à sa fille, 1865-1866], Alger, Charlot, 1946 ;

Topographie et histoire générale d’Alger par Diego de Haëdo (1612), traduit de l’espagnol par le Dr Monnereau et A. Berbrugger, présentation de Jocelyne Dakhlia, Saint-Denis, Bouchène, 1998 ;

N. Oulebsir, Les usages du patrimoine. Monuments, musées et politique coloniale en Algérie (1830-1930), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004.

Représentations iconographiques :
Esquer, Iconographie…, vol. III, n° 592 et 873 ;

Edmond Chappuis, 1830-1930. Le Centenaire de l’Algérie française, Strasbourg, A. et F. Kahn, 1930, p. 145.




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